Zeilt, qui a produit et réalisé Mr Hublot, a un litige avec le fisc luxembourgeois sur la question des droits intellectuels. (Photo: Zeilt Production)

Zeilt, qui a produit et réalisé Mr Hublot, a un litige avec le fisc luxembourgeois sur la question des droits intellectuels. (Photo: Zeilt Production)

L’affaire sera plaidée devant la Cour administrative le 29 avril ou 8 mai prochain, après avoir été appelée mardi matin par les juges, a fait savoir le greffe de la juridiction. Laurent Witz ne lui accorde pas énormément d’importance, jugeant que le litige de sa société de production de films d’animation Zeilt Production est à ses yeux «très secondaire», surtout en raison des montants «ridicules» qui sont en jeu: «Quelques milliers d’euros», précise-t-il dans un entretien à paperJam.lu.

Pour autant la bataille qui le met aux prises avec l’Administration des contributions directes n’a rien d’anecdotique: «Il s’agit», indique le producteur mosellan qui a rapporté cette année des États-Unis un oscar pour le court métrage Mr Hublot, de «clarifier des points de vue différents» sur l’étendue et le point de départ des mesures de défiscalisation en matière de propriété intellectuelle, sachant par ailleurs que les droits d’auteurs ne sont pas défiscalisables au titre du régime luxembourgeois mis en place en 2007 et accordant 80% d’exonération au titre de l’article 50 de la loi sur l’impôt sur le revenu.

L’affaire tire son origine de la contestation de deux bulletins d’impositions (revenu des collectivités et base d’assiette de l’impôt commercial communal) pour les années 2008 et 2009. Zeilt se voit refuser l’exonération à hauteur de 80% de la plus-value réalisée lors de la cession des droits intellectuels, à savoir un montant de 29.836 euros en 2008 et de 50.758 euros en 2009. Motifs invoqués par le fisc luxembourgeois pour refuser de faire droit à la demande d’exonération: les dessins et modèles n’ont pas été enregistrés auprès de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle (OBPI). Les dirigeants de Zeilt n’avaient pas jugé opportun de le faire. De plus, la loi ne les y oblige pas.

Or, pour prétendre au régime de défiscalisation des droits intellectuels, une circulaire du 5 mars 2009 du directeur de l’Administration des contributions directes impose aux titulaires des droits à faire un dépôt à l’OBPI (qui est censé uniquement protéger les œuvres contre la contrefaçon, donc cette exigence est totalement étrangère au droit fiscal), ce qu’aucune réglementation au Luxembourg ne prévoit pourtant.

Principe de la réalité économique

Même si ce n’est pas prévu par les textes, l’enregistrement auprès de l’Office Benelux comme condition préalable à l’octroi du régime fiscal favorable sur l’IP faciliterait les démarches du fisc luxembourgeois, notamment pour vérifier les dates de dépôts. Car pour profiter de l’exonération, les droits doivent être postérieurs au 31 décembre 2007. Cette «exigence supplémentaire» par rapport à la réglementation posée par le directeur de l’ACD n’aurait rien «d’arbitraire» et se justifierait pour des motifs «d’équité, de conception et de contrôle objectif». 

Le fisc a reproché justement devant les juges à Zeilt de ne pas avoir apporté la preuve que la date de constitution pour les dessins et modèles pour lesquels elle réclamait l’exonération se situait après le 31 décembre 2007. 

Zeilt Production, qui n’avait pas encore cette grande visibilité que lui a conférée son oscarisation, a contesté cette approche du fisc devant le Tribunal administratif. Leur différend porte surtout sur l’interprétation de la notion de constitution du droit auquel le régime IP luxembourgeois se réfère, face à l’absence de dispositions claires de la part du législateur. Si pour l’ACD, la date du dépôt à l’OBPI est une solution de facilité, pour la société de production audiovisuelle il faut tenir compte de la «réalité économique» de sa situation, «à savoir l’existence de dessins et de modèles (qui) ont été générateurs de revenus, quelle que fût la qualité de la protection de ces dessins et modèles». «Mon mandant», écrivait en mars 2012 l’expert comptable de Zeilt dans une lettre à l’ACD, entend (…) insister sur le réalisme du droit fiscal qui veut que la fiscalité connaisse la réalité économique d’une situation plutôt que l’observation purement juridique de cette situation».

Le fisc a outrepassé la loi

Comme l’ont constaté les juges administratifs en première instance, l’article 50 LIR «ne fournit aucune précision quant à la notion de constitution du droit, ni quant à la date à partir de laquelle le droit litigieux est à considérer comme constitué». Ils ont aussi considéré que la circulaire du 5 mars 2009 «ne saurait valablement exiger des conditions supplémentaires allant au-delà des termes de la loi».

Pour déterminer une date de départ, il faut, ont dit les juges, à défaut d’un enregistrement à l’OBPI, prendre en compte la date de divulgation au public: «la constitution d’un droit plus particulièrement sur un dessin ou un modèle peut, à côté de l’enregistrement auprès de l’OBPI, et en l’absence d’une réglementation plus précise à travers l’article 50 LIR, être située au moment de la divulgation au public». «En restreignant la notion de constitution du droit (…) à l’enregistrement auprès de l’OBPI, le directeur (de l’ACD, ndlr) n’a pas respecté les termes de l’article 50 LIR» ajoute le Tribunal.

Pour autant, la société de Laurent Witz s’est fait débouter en première instance, le Tribunal administration jugeant le 6 novembre dernier ses recours en annulation des bulletins d’imposition 2008 et 2009 «non justifiés», dans la mesure où Zeilt n’aurait pas fourni d’éléments suffisamment précis au Tribunal pour lui permettre d’apprécier si la constitution du droit se situait au-delà du 31 décembre 2007. D’où l’appel devant la Cour administrative. La suite le 29 avril ou le 8 mai.