Nico Steinmetz et Arnaud De Meyer sont à la fois investisseurs, maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage et occupants de leurs nouveaux bureaux. (Photo: Annabelle Denham)

Nico Steinmetz et Arnaud De Meyer sont à la fois investisseurs, maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage et occupants de leurs nouveaux bureaux. (Photo: Annabelle Denham)

Messieurs, votre bureau d’architecture était jusqu’à présent très fortement lié au quartier de Clausen. Pourquoi avoir choisi de quitter ces locaux?

Arnaud De Meyer: «C’est vrai que Clausen est le décor de notre histoire et que le caractère de l’atelier a toujours été intimement lié à ces lieux particuliers. Nico a fondé l’atelier en 1989 au rez-de-chaussée de ce qui était sa petite maison dans ce faubourg très particulier. Ce rez-de-chaussée de la maison est vite devenu trop petit, et nous avons occupé pendant quelques années une partie d’une autre maison du quartier. 2001 a vu la naissance de SteinmetzDemeyer ainsi que l’extension de l’habitat et de l’atelier dans les deux maisons voisines. L’équipe s’est à nouveau retrouvée rassemblée en un seul lieu. La famille et l’atelier ont évolué côte à côte pendant des années, suivant l’évolution de notre recherche architecturale, une sorte de laboratoire. Si bien qu’avec le temps, l’atelier a fini en 2008 par occuper la totalité de l’espace, épuisant jusque fin de l’année dernière la moindre ressource des lieux. Nous étions pour finir 40 personnes réparties dans trois petites maisons. L’arbre a bien grandi, calmement et à son rythme, mais il est devenu trop imposant pour le lieu, et le lieu trop étroit pour lui. L’évidence nous est apparue en 2010 quand nous avons remporté le concours pour la nouvelle Luxexpo. Alors s’est posée la question: ‘Comment transplanter cet arbre sans nuire à ses racines?’ Clausen nous a marqués, comme nous avons marqué la rue Malakoff par nos projets. Comment bouger, se donner un nouveau cadre, en renforçant l’âme du bureau? Comment trouver un lieu qui nous corresponde, qui nous ressemble et où l’on nous reconnaisse? C’était le défi qui était devant nous.

Comment s’est alors passée la recherche de votre nouveau lieu?

Nico Steinmetz: «Tout d’abord, il était évident pour nous de rester en ville. La proximité des transports en commun nous était chère aussi, de manière à limiter l’utilisation de la voiture. Le quartier de la Gare a donc été ciblé puisqu’il correspondait à nos critères et offrait un bon compromis entre la ville et sa connectivité, et les prix de l’immobilier.
A. D. M.: «Nous souhaitions pouvoir concevoir notre nouveau cocon, tout comme nous avions pu expérimenter à Clausen, en nous rendant bien compte que cette fois ce serait plus grand, un design plus global, avec d’autres possibilités d’évolution et de variations internes. Nous voulions un lieu chaleureux et brut, qui reflétait l’esprit ‘atelier’ qui nous est cher, pas un bureau propre et aseptisé.
N. S.: «Dans un premier temps, nous avons cherché parmi les bâtiments existants. Toutefois, aucune opportunité d’acquisition ne s’est présentée à ce moment-là. Par ailleurs, nous ne souhaitions pas aller dans un grand bâtiment au sein duquel nous aurions été noyés au milieu d’autres entreprises. Le quartier de la Gare est aussi intéressant car il offre un parcellaire qui permet des largeurs de façade généreuses. Nos bureaux à Clausen avaient le charme des petits bureaux imbriqués. Mais ce type d’espace n’est plus du tout charmant lorsqu’on atteint 40 membres dans une équipe et nous recherchions donc un espace où nous pourrions nous rencontrer, nous parler facilement.

Et finalement, vous avez opté pour une parcelle occupée par des logements.

N. S.: «Cet emplacement est en fait une opportunité. Nous avons vu une affichette de vente qui traînait depuis plusieurs mois sans que la maison ne trouve acquéreur. Il faut dire que la situation n’est pas aisée: nous sommes en bordure de la rocade, à proximité immédiate des voies de chemin de fer. Nous avions déjà l’expérience de travailler dans un lieu totalement improbable à Clausen, ce type de configuration ne nous a pas effrayés et nous nous sommes lancés dans un projet qu’aucun promoteur n’aurait osé faire. Nous avons discuté avec le propriétaire, puis la Ville de Luxembourg pour le PAP. Ce qui a joué en notre faveur, c’est que nous sommes aussi urbanistes et que cette question d’insertion dans le tissu urbain existant ne nous effrayait pas. De plus, nous n'avons pas le discours d'un investisseur voulant maximiser les surfaces habitables. C’est grâce à ce positionnement différent que nous avons pu relever ce défi.

Avez-vous eu un partenaire financier pour ce projet immobilier?

N. S.: «Au début, nous ne savions pas vraiment si nous allions avoir les reins assez solides pour supporter ce projet. Nous avons commencé à travailler, à faire les estimations et nous nous sommes dit que nous verrions en cours de route s’il était nécessaire de prendre un partenaire ou non. Finalement, nous avons choisi de monter une société immobilière, Edacor, qui est détenue par Arnaud De Meyer et moi, et qui est propriétaire de l’immeuble. Le bureau SteinmetzDemeyer est locataire de quatre étages; le 1er étage et le rez-de-chaussée sont disponibles à la location. La BCEE nous a bien encadrés et nous avons pu bénéficier de taux très bas, ce qui rend l’effort plus digeste.

Le choix de l'emplacement de notre bureau était intimement lié aux possibilités d'utiliser les différents modes de transport

Parlez-nous un peu des caractéristiques de ce nouveau bâtiment?

N. S.: «C’est un petit immeuble urbain passif (classe A) et low-tech, avec une surface commerciale de 110m2 au rez et cinq niveaux de bureaux de l’ordre de 125m2 chacun. Une structure de béton atypique, conçue avec Marc Ewen du bureau InCA, comportant des dalles à épaisseur variable, offre des surfaces à portée libre intérieures de 11×12 m. Les allèges sont des poutres inversées, pour éviter les retombées de béton en façade, permettant aux fenêtres de toucher le plafond, pour maximiser l’entrée de lumière naturelle. Nous avons travaillé avec une majorité de parois en prémurs béton, laissés apparents à l’intérieur. Les bétons des voiles et dalles coulés sur place, sans souhait particulier de finition, sont également restés apparents, avec leurs défauts et irrégularités. Des parquets de chêne massif apportent la chaleur, et le fini noble apporte le contraste avec le gros œuvre ‘brut de décoffrage’. L’escalier, balancé pour être le plus compact possible, est assez particulier: en acier brut ciré, une grande tôle centrale de plus de 15m de haut est suspendue à la dalle de toiture, les marches en tôle pliée sont fixées aux voiles béton périphériques et à la tôle suspendue via des écarteurs qui laissent glisser la lumière le long des parois.

Ce déménagement a-t-il eu une influence sur votre organisation de bureau?

A. D. M.: «La configuration des lieux de la rue Malakoff y est probablement pour quelque chose. Avec toutes les petites pièces, notre atelier s’est organisé comme une fédération de petits ateliers: six équipes, menées chacune par un architecte-directeur, qui prennent en charge le suivi et la production des différents projets attribués, avec un maximum d’autonomie sur le plan opérationnel. Une équipe administrative est le support logistique et graisse les rouages de la mécanique au quotidien. Ces différentes équipes sont rendues solidaires et unies par des spécialisations transversales. Cette organisation permet aux deux associés de se consacrer au maximum à la conception architecturale, à l’animation des séances de conception des projets, à la valorisation et la communication de notre production. L’esprit et l’identité individuelle de chaque équipe sont très forts et très chers aux collaborateurs. À Bonnevoie, nous avons non seulement voulu retrouver cette caractéristique humaine, mais également renforcer l’esprit général de l’atelier. Nous ne sommes plus dans des espaces distincts, mais partageons des espaces communs ouverts. Il faut donc faire attention que chacun puisse se retirer pour une tâche spécifique, pour la concentration, pour une réunion improvisée.

Nous sommes attentifs à la symbiose entre intérieur et extérieur

Qu’avez-vous fait comme choix pour l’aménagement intérieur?

N. S.: «Nous avons laissé les plafonds le plus nus possible. Tout l’équipement technique et électrique provient du sol. Pour le mobilier, nous avons choisi des meubles de bureau sobres auprès d’un équipementier. Il n’y a que la banque d’accueil qui est faite sur mesure. Les finitions sont simples et brutes, aussi pour une question de budget. Nous avons préféré investir en ville et économiser sur les finitions. En revanche, pour chaque élément, nous avons recherché l’optimisation en restant cohérents avec nos positions.

Au niveau énergétique, comment se comporte votre bâtiment?

A. D. M.: «Le bâtiment est très bien isolé et pourvu de triples vitrages généreux optimisant l’éclairage naturel et cadrant de belles vues sur les paysages urbains voisins impressionnants de la gare et des rotondes, avec en arrière-plan les forêts et champs du sud de la ville. Des protections solaires extérieures et automatiques limitent les charges externes en été et une ventilation naturelle par des fenêtres automatisées permet de réactiver l’inertie thermique des dalles en béton les fraîches nuits d’été. Aucune production de froid n’a dû être installée. La ventilation des espaces de travail se fait par des simples VMC individuelles à chaque étage, qui ont un rendement de récupération de chaleur particulièrement élevé et qui évitent les lourdes installations de groupes de ventilation et gaines de distribution à travers tout l’immeuble. Le chauffage, quand nécessaire, profite du raccordement au chauffage urbain et se limite ainsi à de simples pompes de distribution et calorimètres.

Le lien avec le contexte urbain est très fort. Pouvez-vous nous en parler?

N. S.: «Cet immeuble se trouve dans une rue en pente. Son gabarit marque le dénivellement de la rue, mais avec un accent dans la descente, qui est donné par le volume saillant. La façade est en bardage de mélèze carbonisé, ce qui le rend très dur et forme une protection naturelle. À l’intérieur, nous profitons également de notre environnement grâce aux larges fenêtres ouvertes sur le paysage. Nous avons vraiment l’impression d’être dans la ville. Nous sommes attentifs à la symbiose entre intérieur et extérieur dans l’ensemble de nos projets, à ce que l’architecture donne à son environnement et ce que l’architecture prend du site. Il est intéressant de s’adapter au contexte, de le vivre positivement, sinon, c’est un conflit perpétuel.

Comment avez-vous abordé la question de la mobilité?

N. S.: «Le choix de l’emplacement de notre bureau était intimement lié aux possibilités d’utiliser les différents modes de transport. En étant proche de la gare, on bénéficie de la situation idéale du pôle intermodal avec les trains, les bus, prochainement le tram, mais aussi les taxis, les voitures, la marche, les vélos. Auparavant, nous avions sept emplacements de parking. Aujourd’hui, nous en utilisons trois pour le bureau et en avons deux de disponibles pour nos futurs locataires, via des locations à long terme dans le parking Rocade. Nous avons trois voitures qui peuvent être empruntées par un système de réservation géré par le secrétariat. Par ailleurs, nous avons acheté des vélos électriques. Mais surtout, avant de démarrer un chantier, nous étudions précisément les moyens de déplacement qui sont à notre disposition. Un petit groupe de travail analyse les différents modes de transport, le temps de déplacement, le coût, les disponibilités, la fréquence, etc. pour déterminer quel est le mode de transport à privilégier. On observe surtout que ce sont les habitudes qui doivent évoluer. Par ailleurs, en tant qu’urbanistes, cela nous semble important que nous puissions expérimenter la ville autrement que derrière le volant d’une voiture. Cette question nous a beaucoup stimulés dans le choix cet emplacement.»

Parcours
SteinmetzDemeyer
Associés depuis 2001, Nico Steinmetz et Arnaud De Meyer dirigent le bureau SteinmetzDemeyer qui compte aujourd’hui 40 collaborateurs, constitués d’architectes, dessinateurs, techniciens, collaborateurs administratifs.
Une taille qui leur permet d’avoir accès à des concours d’envergure. La signature d’un projet SteinmetzDemeyer est avant tout un contexte initial placé au cœur du processus de conception. Par «contexte», on entend lieu, en corrélation avec les attentes et les besoins du maître d’ouvrage, et surtout compréhension du site, ce lieu auquel il va falloir donner un nouveau sens. Parmi leurs réalisations marquantes, on relève le Centre Guillaume II à Luxembourg, l’imprimerie Victor Buck, le bâtiment du Meco, l’ascenseur du Pfaffenthal, des logements collectifs (Jardins de Luxembourg, Baulücken) et de nombreuses maisons privées.
Nico Steinmetz, Luxembourgeois de 52 ans, a fondé son atelier d’architecture et d’urbanisme à Luxembourg en 1989. Depuis 2013, il est président du conseil d’administration de la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, désormais rebaptisée Luca. Arnaud De Meyer, lui, est belge. Âgé de 43 ans et diplômé, tout comme M. Steinmetz, de l’Institut supérieur d’architecture Saint-Luc à Bruxelles, il collabore depuis 1995 (l’année de son diplôme) à l’atelier d’architecture de Nico Steinmetz. Les deux hommes se sont associés en 2001 pour fonder ce qui est toujours aujourd’hui SteinmetzDemeyer.