L’eurodéputée luxembourgeoise préconise de concentrer les efforts européens sur la finalisation de l’accord Ceta amené, selon elle, à servir de modèle pour les futurs accords commerciaux de l’UE. (Photo: PPE)

L’eurodéputée luxembourgeoise préconise de concentrer les efforts européens sur la finalisation de l’accord Ceta amené, selon elle, à servir de modèle pour les futurs accords commerciaux de l’UE. (Photo: PPE)

L’emballement médiatique est quelque peu retombé après les déclarations du ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, sur la mort clinique des négociations sur l’accord TTIP. L’exécutif français s’était engouffré dans la brèche pour signifier l’arrêt pur et simple des discussions, tandis que la Commission européenne défendait une position plus nuancée.

Pour l’ex-commissaire à la Justice et aux Droits fondamentaux et eurodéputée luxembourgeoise Viviane Reding, «les négociations sur le TTIP sont en hibernation profonde». Elle a convoqué lundi matin une conférence de presse à Luxembourg afin d’expliquer en détail les tenants et aboutissants d’un accord qui a fait couler beaucoup d’encre.

«Nous avons vu que les Américains n’étaient absolument pas intéressés par le TTIP», assène Viviane Reding. «Ils venaient de signer le TPP avec le Pacifique, dans lequel ils ont imposé leur point de vue, et ils avaient beaucoup espéré une fois le TPP signé, ils auraient pu imposer un TPP bis à l’Europe. Le résultat, c’est qu’il n’y a pas eu de résultat.»

Car les champions du libéralisme apparaissent paradoxalement comme ceux du protectionnisme lorsque l’on regarde les points d’achoppement des négociations entamées en 2013. Les États-Unis ont opposé leur veto à de nombreuses propositions des négociateurs européens sur l’élimination réciproque des barrières tarifaires et non tarifaires dans le but de faciliter le commerce et l’exportation de biens et de services entre les deux territoires.

Un marché américain verrouillé

Marchés publics, télécommunications, services financiers… Dans une dizaine de secteurs, ce sont bien les négociateurs américains qui bloquent. «L’ouverture des marchés publics pour les entreprises européennes ne se fait pas», explique Viviane Reding. Les agences fédérales et toutes les entités subventionnées par les fonds fédéraux sont obligées d’acheter américain. «C’est surtout un problème pour les PME: les barrières non tarifaires sont tellement élevées qu’elles n’ont pas la capacité ni l’argent pour les dépasser.»

«Nous avons reçu une fin de non-recevoir pour la reconnaissance des indications géographiques protégées et l’accord UE/USA sur le vin ne sera pas étendu. Cela veut dire qu’on peut toujours acheter du vin californien qui s’appelle riesling de Moselle!» Idem pour les services financiers. «Le sujet n’est même pas sur la table. Les Américains sont d’avis qu’ils ont la meilleure réglementation du monde…»

Même sur l’élimination symétrique des droits de douane – la plus simple à réaliser –, Washington s’est montrée intraitable. Les négociateurs sont aussi restés inflexibles sur le principe du risque réel s’opposant de plein fouet au principe de précaution alimentaire comme environnemental en vigueur en Europe.

Les négociations sur le TTIP sont en hibernation profonde.

Viviane Reding, eurodéputée luxembourgeoise (CSV/PPE)

Et les prochaines élections américaines ne présagent pas une reprise rapide des discussions. «En 2017, il y aura un nouveau gouvernement, une nouvelle administration avec un nouveau programme – ce sera un miracle s’ils sont prêts à revenir aux négociations en 2018», estime Viviane Reding. «Les négociations sont donc en hibernation profonde, mettons notre énergie et nos capacités à profit pour d’autres intérêts.»

L’eurodéputée milite en effet pour que l’UE reporte ses efforts sur un accord qui, selon elle, est une réussite: Ceta, l’accord négocié avec le Canada. Un accord prêt à être formellement signé puisque la Commission européenne a soumis cet été les textes finaux. Il ne reste au Conseil qu’à les parapher – une fois que le Parlement européen se sera prononcé.

«Ceta, c’est l’anti-TTIP: ce que nous n’avons pas réussi à avoir dans les négociations avec les Américains» est inscrit noir sur blanc dans l’accord avec le Canada», assure l’ex-commissaire européenne. «Les entreprises européennes sont les seules non canadiennes à pouvoir participer à des appels d’offres à tous les niveaux, 145 indications géographiques protégées sont reconnues au Canada, l’accord préexistant sur le vin est renforcé, les droits de douane sont éliminés sur tous les produits industriels et le marché canadien va s’ouvrir progressivement dans les transports, les télécommunications et les services financiers.»

Avec Ceta, il y aura un modèle d’accord presque idéal où tout ce que l’Europe a voulu est inscrit, et tout ce qu’elle n’accepte pas est exclu.

Viviane Reding, eurodéputée luxembourgeoise (CSV/PPE)

Le Canada s’est aussi engagé à appliquer la convention de l’Organisation internationale du travail. Le principe de précaution européen est préservé et le droit à réguler maintenu – c’est-à-dire que le législateur peut à tout moment intervenir dans un secteur libéralisé.

«Avec Ceta, il y aura un modèle d’accord presque idéal où tout ce que l’Europe a voulu est inscrit, et tout ce qu’elle n’accepte pas est exclu, avec des garanties de part et d’autre», juge Viviane Reding, qui garde en arrière-pensée les 1.400 accords transatlantiques passés depuis les années 1970 et qui mériteraient d’être revus à l’aune des avancées obtenues pour le Ceta.

L’accord canado-européen a entamé sa dernière ligne droite. La Commission a publié en juillet sa proposition de texte final à signer et à ratifier par les États membres après accord du Parlement européen. «Il reste encore des protocoles additionnels pour clarifier l’une ou l’autre question, par exemple le fait qu’il n’y aura aucune privatisation dans le secteur public ou ce qui relève de la compétence de l’UE ou des États», précise Viviane Reding. Ce qui fera l’objet des discussions du prochain sommet des ministres du Commerce à Bratislava le 23 septembre.