Dans l’attente de la décision de la Cour, les acteurs peuvent déjà envisager les conséquences d’une condamnation. Qui se chiffrerait en plusieurs millions à l’échelle de la Place.  (Photo: David Laudent / archives)

Dans l’attente de la décision de la Cour, les acteurs peuvent déjà envisager les conséquences d’une condamnation. Qui se chiffrerait en plusieurs millions à l’échelle de la Place.  (Photo: David Laudent / archives)

Ses conclusions sont restées jusqu’ici sans grand retentissement, mais elles pourraient bien être suivies de conséquences importantes pour la Place. L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne, Juliane Kokott, a rendu ce jeudi 6 octobre ses conclusions dans l’affaire «C-274/15» qui oppose la Commission européenne au gouvernement luxembourgeois.

Au cœur du litige entre les deux parties: les modalités de traitement de la TVA au sein des groupements autonomes de personnes (Gap).

La pomme de discorde réside dans les modalités d’application de la directive TVA, celle-ci ayant été transposée en droit luxembourgeois sans problème principal. En revanche, le règlement grand-ducal et la circulaire ad hoc qui précisent les exonérations possibles au sein et via un Gap font dire à la Commission européenne «qu’il y a violation du droit de l’Union européenne de la part des dispositions luxembourgeoises».

Des échanges intragroupes essentiels

Si l’appellation de «Gap» n’est pas forcément connue du grand public, elle est au cœur du mécanisme de nombreuses entités du secteur financier, qu’il s’agisse de banques ou autres assureurs qui, entre leurs différentes entités, échangent des services de fonctions de support ou, plus rarement, des ressources humaines par l’intermédiaire de cette structure. 

Un Gap peut ainsi disposer d’une personnalité juridique, le cas le plus connu étant Dexia Technologie Services (DTS). Mais les Gap ont majoritairement été construits sur la Place, tout à fait légalement, par voie contractuelle, sans personnalité juridique et donc sans personnel sous leur payroll. 

«Si le régime du Gap venait à tomber, tous les groupes bancaires et d’assurance qui ont fait un usage important du régime devront réviser leurs structures et potentiellement les démanteler», déclare Erwan Loquet, tax partner chez BDO Luxembourg.   

C’est un modèle qui est aussi remis en question par les conclusions de l’avocat général.

Applications contestées

Le Gap était un moyen discret - et légal donc - d’exonération de TVA des prestations intragroupes. Les sommes en jeu peuvent d’ailleurs se chiffrer en plusieurs millions d’euros.

Dans son avis notifié adressé en 2011 au gouvernement luxembourgeois, la Commission européenne, en demandant officiellement une adaptation de la législation, pointait notamment que «les membres du groupement sont autorisés (au Luxembourg) à déduire la TVA facturée au groupement sur ses achats de biens ou services». La Commission européenne reproche aussi que l’exonération «vaut aussi dans l’hypothèse où les services fournis par le groupement sont utilisés pour l’activité taxée d’un membre, chaque fois que le chiffre d’affaires de l’activité taxée n’excède pas 30%, et dans certains cas particuliers, 45%, du chiffre d’affaires total». Enfin, «les opérations effectuées par un membre en son nom, mais pour le compte du groupement, sont considérées comme non taxables».

Pour la législation européenne, les activités du groupement qui sont exemptées doivent être liées exclusivement aux activités exemptées de membres du groupement. En 2012, le gouvernement luxembourgeois avait effectué un premier pas en excluant les groupements dont les services servent, à titre principal, pour des opérations taxées. Une modification insuffisante selon la Commission, qui l’avait conduite à saisir la Cour de justice de l’UE en 2014.

Quelle porte de sortie?

Les juges de la Cour de justice de l’UE suivant généralement l’avis de l’avocat général, il est fort probable que le Luxembourg soit condamné à terme.

«Dans ce cas, Il serait nécessaire de modifier la législation pour l’avenir, sachant que la condamnation, le cas échéant, n’aura pas d’effet rétroactif», ajoute Erwan Loquet. «Le secteur financier doit s’y préparer. Les acteurs doivent réviser leurs modalités de groupement et préparer probablement leur disparition.»

Un signal lancé par la Cour qui aura probablement des répercussions dans les pays voisins. Reste aux acteurs de la Place luxembourgeoise à analyser les possibilités de contourner ce qui s’apparente à un problème de fond dans les architectures intragroupes. La consolidation en matière de TVA à l’échelle des groupes, à l’instar de ce qui se pratique en Angleterre ou en Allemagne, apparaît comme une première solution.