Julien Licheron, Observatoire de l'habitat. (Photo: Mike Zenari)

Julien Licheron, Observatoire de l'habitat. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Licheron, quelles sont les tendances marquantes que l’on peut retenir des derniers chiffres compilés par l’Observatoire de l’habitat?

«Pour ce qui est du prix des logements, la tendance des dernières années se confirme, avec une augmentation des prix de vente pour les appartements d’environ 4,5%. En 2014, cette hausse est légèrement plus contenue pour les appartements neufs que pour les anciens. Parallèlement, le Statec a également relevé en 2014 une hausse d’environ 6% pour les maisons anciennes. On est donc, depuis 2009, c’est-à-dire depuis que les effets de la crise se sont estompés, sur une tendance de croissance régulière nominale.

Y a-t-il une différence notable entre ces prix de vente «réels», basés sur les actes notariés, et les prix affichés dans les annonces immobilières?

«Selon les communes, il y a une marge de négociation qui oscille entre 5 et 10% et qui se réduit plus on se rapproche de la capitale. On note aussi un décalage entre six et neuf mois entre les prix annoncés et les prix enregistrés, ce qui correspond, en toute logique, au délai moyen entre le dépôt d’une annonce et la finalisation de l’acte de vente. Cela veut en tous les cas dire qu’une grande partie du prix est fixée par l’offreur…

La tendance observée depuis 2009 est donc très linéaire. Cela signifie-t-il qu’elle semble totalement immuable et insensible aux différentes mesures qui ont été prises à plus ou moins grande échelle ces dernières années?

«Depuis 2009, en effet, cette tendance est portée à la fois par la forte demande, directement liée à la croissance démographique, et par les taux d’intérêt historiquement bas. Chaque année, nous sommes sur une base de 5.000 ménages supplémentaires à loger, ce qui reste un niveau exceptionnel comparé aux pays voisins.

La source de croissance des prix de l’immobilier est évidente, puisque dans le même temps, l’offre n’a pas pu augmenter aussi rapidement, que ce soit pour des contraintes administratives, mais aussi parce que les terrains ne se débloquent pas aussi facilement. Le phénomène de rétention foncière est important, même sur les terrains qui sont pourtant prêts à recevoir des logements.

Les initiatives du gouvernement vont dans le bon sens pour débloquer ces terrains disponibles, mais cela prend du temps…

Définitivement, vous estimez que le marché n’est pas dans une situation de bulle?

«Plusieurs études ont été réalisées sur ce sujet ces dernières années, notamment par la Banque centrale du Luxembourg, et aucune n’a détecté l’existence d’une telle bulle, par la simple raison que les prix sont en droite ligne avec les fondamentaux de l’économie, avec une croissance très forte de la demande et une offre qui ne suit pas. C’est aussi simple que ça. Les pays dans lesquels on a pu observer une telle bulle, comme en Irlande ou en Espagne, sont des pays dans lesquels a été notée une surproduction de logements… Cette idée, ici, est irréaliste! Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a pas, au Luxembourg, de ‘problèmes’ avec les prix. Mais il n’y a pas, à mon sens, de mouvement spéculatif de fond susceptible de faire dévier les prix de leurs fondamentaux…

Le Pacte logement, instauré par le précédent gouvernement, produit-il vraiment les effets escomptés?

«Peut-être en a-t-on trop attendu. Mais il faut bien dissocier deux aspects différents: il y a d’abord la convention entre les 98 communes signataires et l’État, dans laquelle sont inscrits des objectifs de croissance. Mais cette croissance est finalement déjà atteinte par la seule croissance démographique naturelle.

Il y a ensuite la question des dispositifs autorisés pour toutes les communes, et pas uniquement celles signataires du Pacte logement, comme le droit de préemption, le droit d’emphytéose ou encore la mise en œuvre de taxes sur les logements vacants ou sur les terrains non bâtis. Et là, clairement, ces dispositifs n’ont pas encore atteint le plein potentiel. Par exemple, la taxe sur les logements vacants n’a été implémentée que dans cinq ou six communes. Cela reste des instruments marginalement utilisés.

Si toutes les communes mettaient en œuvre ces taxes, cela pèserait-il davantage sur les conditions de marché?

«Il est difficile à chiffrer un tel impact, mais en effet, il y en aurait forcément en termes de mobilisation des terrains à bâtir. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement a bien saisi l’enjeu qui est d’augmenter l’offre de logements sur le marché… Et, à mon sens, une augmentation de l’offre constitue la seule façon de limiter la hausse des prix.

Autrement dit, pour l’heure, il n’y a pas de raison que la tendance ne change...

«Il n’y a en effet, actuellement, aucun signal qui nous permettrait de dire que les prix pourraient baisser: le solde migratoire reste conséquent et il n’y a pas d’indice sur une prochaine augmentation des taux bancaires. Quant à l’offre, elle reste limitée par une mobilisation du foncier rendue difficile, car une partie des propriétaires ne veut pas vendre! Contenir la tendance actuelle serait déjà très bien! Par ailleurs, une baisse des prix ne serait pas forcément un bon signe dans un pays qui compte 70% de propriétaires.

Qu’en est-il du marché locatif? La tendance est-elle la même?

«On est en effet, là aussi, sur une hausse moyenne de 4,5%. Depuis 10 ans que nous suivons cette série statistique, nous constatons une augmentation d’environ 4% par an. Plus spécifiquement, il est à noter que ce sont les loyers des studios qui sont ceux ayant le plus fortement augmenté. D’une manière générale, ces hausses se concentrent surtout sur les biens de petite taille. C’est beaucoup moins le cas concernant les plus grandes surfaces et encore moins les maisons.

Comment l’expliquez-vous?

«Souvent, les logements de petite taille servent d’installations temporaires ou de lieux de transit pour des personnes qui disposent de leur résidence principale dans un autre pays. Mais on note aussi que l’attrait pour ces petits logements constitue souvent une première étape dans un processus d’habitation qui mène vers des logements plus grands voire, à terme, vers une maison.

L’offre s’adapte-t-elle à ce changement dans les comportements?

«Oui, et depuis longtemps. Il y a 30 ans, 70% des biens construits étaient des maisons. Aujourd’hui, les nouvelles constructions sont à 60% des appartements. Et pour un type de bien donné, les surfaces construites sont en moyenne à peu près les mêmes que dans les années 80.

En outre, il n’y avait pratiquement pas de tout petits studios par le passé. Il y en a aujourd’hui de plus en plus, notamment dans la capitale et dans le sud du pays. Et tout cela s’est fait en préservant une certaine forme de paysage urbain et en évitant les grandes densités. On reste, au Luxembourg, sur une approche de petits immeubles collectifs et non pas des gros volumes. Le modèle français des années 70 n’a pas été transposé ici.

Pourquoi l’Observatoire de l’habitat ne fournit-il pas des chiffres plus détaillés sur le marché locatif pour les maisons?

«Parce que ce marché reste très concentré sur quelques communes seulement, principalement la capitale et la périphérie. Et là aussi, il s’agit d’un segment fréquenté par un type de clients très spécifiques, généralement fortunés, avec un horizon d’installation assez limité. En outre, une partie de ces maisons en location appartient directement aux entreprises qui les louent à leurs employés.

Vous évoquiez un phénomène important de rétention foncière. La situation est-elle si critique que ça concernant l’offre de terrains à bâtir?

«Pas forcément, non. Car il y a du foncier disponible dans le pays! Ainsi, dans les périmètres d’agglomération, il y a actuellement quelque 2.700 hectares de terrains disponibles dans les plans d’aménagement général (PAG) des communes, dont 230 hectares pour la seule ville de Luxembourg, et qui sont déjà potentiellement affectés à des fins d’habitation. Selon les estimations du Conseil économique et social, cela représenterait environ 50.000 logements constructibles, sans qu’il y ait besoin de la moindre extension de PAG.

En revanche, c’est vrai que le nombre de plans d’aménagement particulier lié à ces terrains est encore marginal. La bonne nouvelle, c’est que le potentiel est donc énorme! Mais tout ce parc foncier est détenu, à près de 90% par des propriétaires privés. Il faut donc les mobiliser, ce qui constitue une grande difficulté.

Comment y parvenir? Par le principe de la carotte et du bâton?

«Le bâton est déjà prévu dans les conditions du Pacte logement, avec les dispositifs de taxation des logements vacants et des terrains non bâtis. Mais comme je l’ai déjà dit, très peu ont été mis en œuvre. J’imagine que la difficulté pour les communes réside dans le fait de mettre en place de telles taxations si les communes voisines ne le font pas. Compte tenu du nombre de propriétaires dans le pays, cela reste politiquement assez complexe à gérer.

Et pour la carotte?

«Elle est principalement distribuée directement aux communes via les instruments de conventionnement. Ces communes disposent de la possibilité de faire appel aux promoteurs publics pour mobiliser les terrains. Et puis la carotte, on la trouve aussi dans la seule évolution du marché! Mettre un terrain en construction, c’est s’assurer une rentrée d’argent…

Le système des Baulücken, ces terrains appartenant aux communes, ne constitue-t-il pas pourtant une piste de développement rapide?

«Il est vrai que sur ces 2.700 hectares disponibles, un bon millier est mobilisable rapidement par ce principe-là. Et cela représente environ 15.000 à 20.000 logements potentiels. Les terrains sont viabilisés et déjà desservis, et on peut y construire un ou plusieurs logements sans l’ajout de nouvelles voiries. Cela peut se faire dans une période d’à peine deux ans. Il s’agit clairement d’un potentiel à court terme, sans gros coût d’infrastructures associées. Tout l’enjeu consiste maintenant à mettre ces terrains en construction prioritairement.

La législation sur l’aménagement du territoire n’autorise pas des constructions au-delà d’une certaine hauteur. Cela ne constituerait-il pas une solution, parmi d’autres, à une augmentation de l’offre de logements?

«Je vais vous répondre en m’exprimant à titre tout à fait personnel: je ne pense pas que la construction en hauteur fasse partie des aspirations résidentielles d’une grande partie des habitants, que ce soit ceux qui sont déjà en place que les futurs à venir. Si l’on parle d’une plus grande densification, cela devrait pouvoir se faire en restant cohérent avec le bâti déjà existant. Et cela doit aussi pouvoir se faire dans une dimension horizontale. Cela permet de conserver le paysage avec un aspect visuel identique et de combler certains espaces qui sont parfois des friches. Mais clairement, l’idée d’augmenter encore et encore les densités permises ne semble pas constituer la priorité d’une très large majorité de communes.»

Observatoire, mode d’emploi

La mission de l’Observatoire de l’habitat, créé en 2003 en tant que service du ministère du Logement, est triple: la collecte des données relatives au logement et à l’habitat; l’analyse de ces données et leur diffusion auprès du grand public et, enfin, l’assistance auprès des décideurs publics pour la planification de la politique de logement.

La collecte des données concernant le prix des logements se fait à la fois sur la base des annonces immobilières (notamment via un partenariat avec la plateforme Immotop.lu, ainsi que la veille des annonces publiées dans le Wort) et des actes notariés transmis par l’Administration des domaines. L’Observatoire réalise par ailleurs tous les trois ans (le prochain en 2016) un recensement des terrains disponibles pour habitation dans l’ensemble du pays et la «consommation» foncière par rapport au recensement précédent.

Il compte également dans ses attributions le monitoring du Pacte logement auprès des 98 communes signataires.

Enfin, l’Observatoire réalise sur une base régulière des enquêtes de comportement des ménages, permettant la mise à jour d’indicateurs relatifs à la mobilité résidentielle, aux taux d’effort ou encore le confort et les conditions de logement.

Location
Un effort toujours plus important

Une des tendances observées ces dernières années concerne la part de plus en plus importante que représente le poste «logement» dans les budgets des ménages. «Hormis la situation des ménages disposant de logements sociaux, le taux d’effort a nettement augmenté pour ceux accédant à la propriété, mais aussi, et surtout, pour les locataires», constate Julien Licheron. Ainsi, sur quelque 60.000 locataires recensés sur le marché privé du logement, environ 20% sont dans une situation où la part du logement dans leurs dépenses mensuelles (charges comprises) représente plus de 40% de leurs revenus disponibles, ce qui constitue un indicateur de grande précarité.

Dans le détail, 43% des ménages faisant partie du premier quintile (c’est-à-dire les 20% de ménages ayant les plus faibles niveaux de vie) dépassent ce seuil de 40%. En revanche, aucun des ménages étant dans les 20% de ceux ayant les plus hauts niveaux de vie du pays ne se trouvait, en 2012 (date des dernières données disponibles) en situation de surcharge par rapport aux coûts du logement, dans l’échantillon pris en compte par l’Observatoire de l’habitat.