Nicolas Buck, président de la Fedil et entrepreneur reconnu dans l’écosystème luxembourgeois. (Photo: Gaël Lesure)

Nicolas Buck, président de la Fedil et entrepreneur reconnu dans l’écosystème luxembourgeois. (Photo: Gaël Lesure)

Quel rôle doit jouer l’entreprise dans notre société?

«L’entreprise représente un formidable vecteur de progrès social ou d’ascension sociale. L’enrichissement personnel n’est pas une fin en soi mais probablement une condition d’épanouissement – je pense que le cadre de l’entreprise a permis et continue de permettre à de nombreuses personnes de progresser dans la vie. Le formidable développement de l’Asie, et de la Chine en particulier, est en grande partie dû au fait que les forces de l’entreprise y ont été libérées. Des millions de personnes sont sorties de la pauvreté.

C’est une réalité qui n’est pas assez soulignée. Les entreprises amènent l’innovation et donc augmentent la qualité de vie de nous tous. Bien sûr, rien n’est parfait. Le capitalisme produit beaucoup d’efficacité, mais aussi des inégalités et des coûts environnementaux. L’astuce est de trouver le cadre ou de continuellement améliorer le cadre en considérant l’intérêt général sans pour autant entraver les forces du marché.

Il faut garder la confiance dans l’avenir et se dire que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Nicolas Buck, président de la Fedil

Quelles sont vos ambitions personnelles pour le pays?

«Il y a deux mots qui sont importants pour moi. Premièrement, la confiance. Il faut garder la confiance dans l’avenir et se dire que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Deuxièmement, l’ambition. Elle doit s’orienter vers l’exportation avec la volonté de gagner des marchés, d’assurer la croissance. Une entreprise qui n’a pas d’ambition de croissance est condamnée. Personne ne veut travailler dans une entreprise qui n’a pas cette volonté de croissance. Il faut donc entretenir cette ambition de faire plus, de faire mieux. Et, pour aller au bout de la question, il faut avoir une ambition pour le pays, mais une ambition, et là je m’adresse au politique, qui va au-delà des frontières du pays. Il faut viser le ‘Grand Luxembourg’, un terme qui dérange parfois. Définir notre vision pour cet espace économique, cet espace de vie qui s’étend, bien au-delà de nos frontières, aux régions avoisinantes.

En travaillant de concert avec les régions frontalières, donc?

«On ne va évidemment pas revendiquer un droit de souveraineté sur ces régions, mais avoir une ambition qui s’arrête à nos frontières, c’est absurde, alors qu’environ la moitié des gens qui travaillent dans le pays passent des frontières. Nous devons définir un grand espace économique dont la ville de Luxembourg est le centre, mais qui va bien au-delà de nos 2.500km2. Et déclarer nos ambitions dans des domaines comme la mobilité, la recherche, les universités ou le logement. Nous avons à la fois un problème d’attraction de talents et de logements. Pourquoi ne pourraient-ils pas habiter à Arlon, prendre le train dans une gare qui se situerait à l’extérieur de la ville et qui comprendrait 10.000 places de parking ? On doit donc pouvoir huiler une mécanique au sein de cet espace. Nous raisonnons toujours en termes d’habitants au Luxembourg. Ce qu’il faut, c’est définir notre zone d’influence économique et de vie et parler d’égal à égal avec ces régions qui nous entourent. La discussion doit donc être intensifiée en s’appuyant davantage sur le cadre institutionnel existant, comme la Grande Région et le Benelux. Le Benelux peut servir de laboratoire d’idées.

Entre nationaux, résidents étrangers et frontaliers, le Luxembourg est une société complexe. Comment les entreprises appréhendent-elles cette situation au quotidien?

«Il est clair que ce sont trois communautés qui créent la richesse de ce pays. Notre défi provient de ce que 45% de notre emploi intérieur et la majorité de l’emploi dans le secteur privé est assuré par des frontaliers. Et ce chiffre continuera à augmenter. Nous puisons donc dans des territoires où le Luxembourg n’exerce pour ainsi dire pas de souveraineté. L’inverse est vrai également, les frontaliers ne participent pas au processus démocratique.

Comment résoudre cette équation? Comment associer ces régions à notre développement au-delà de l’argument que le Luxembourg contribue à leur développement économique?

«J’estime personnellement que c’est le grand sujet du futur pour le Luxembourg. Cela se traduit par de nombreux défis: la chasse aux plaques jaunes en Belgique, le télétravail pour les frontaliers, le détachement, les transports en commun. Pour les entreprises, la zone de chalandise de l’économie luxembourgeoise va jusqu’à Liège, jusqu’à Nancy et bien au-delà de Trèves et de Sarrebruck. Il faudra faire des compromis avec ces régions. La politique luxembourgeoise sous-estime ce problème.

Concrètement, comment se marque ce problème?

«La guerre des talents fait rage partout dans le monde. Toutes les entreprises cherchent des profils de plus en plus pointus. Le Luxembourg est l’exemple parfait de cette évolution. Nous créons de l’emploi, mais le chômage ne diminue pas significativement. Ces talents qui choisissent le Luxembourg peuvent vivre dans quatre régions tout en travaillant au Luxembourg. En conséquence, il faudra créer un cadre qui permette à ces talents de travailler de la maison, de voyager 50 jours par an pour le compte de leur entreprise tout en étant libres du choix de leur domicile, qu’il soit à Luxembourg, Metz, Trèves ou Liège. Il va falloir travailler sur les projets innovants avec les régions avoisinantes. Et réduire les problèmes que connaissent les frontaliers dans leur pays.

Où sont les limites à la croissance du pays?

«D’abord, la croissance est nécessaire et c’est une vertu. Maintenant, la croissance doit être productive. La nôtre ne l’est pas assez. 4% de croissance du PIB et 3% de croissance de l’emploi intérieur. C’est un sujet connu. Un point important est la création d’emplois à forte valeur ajoutée. Nous connaissons tous cette épée de Damoclès qui nous force à cette croissance de l’emploi intérieur: notre système de pension particulièrement généreux. Le tiers état, donc le gouvernement, l’OGBL et la CGFP, bottent en touche sur ce sujet. Il s’agit d’un problème financier qui s’annonce et qu’on gonfle avec chaque année d’inactivité sur le sujet. Au moment de son éclatement et durant les années qui s’en suivront, son envergure dépassera notre capacité contributive. On peut discuter de l’envergure du problème, mais le nier dans son entièreté représente au mieux de la démagogie et au pire de l’inconscience pure et simple.

Notre capacité à construire du logement plus vite, des unités plus petites destinées aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail, moins cher, en hauteur, et toute la question des infrastructures, ainsi que nos progrès dans la recherche de nouvelles formes de travail pour des collaborateurs non résidents détermineront nos chances de pouvoir reproduire les taux de croissance des dernières années. Quoi qu’il en soit, les responsables politiques qui voient des limites à la croissance ne seront crédibles que lorsqu’ils s’attaqueront en même temps aux déséquilibres qui nous imposent cette croissance.

Vous voyez pointer une catastrophe au niveau des retraites?

«Il existe un problème. Tout ce qu’on demande au niveau de la Fedil, c’est que l’on commence à en parler. Dans un délai de 15 à 20 ans, nous risquons d’avoir des soucis. Notre système est trop généreux par rapport à d’autres pays.

L’innovation est un sujet capital pour l’avenir du pays. Quelles sont les clés pour l’encourager?

«C’est effectivement le seul moyen d’assurer le développement d’une entreprise dans une économie aussi développée que le Luxembourg et l’Europe. Il faut donc repousser la frontière technologique et parfaire l’organisation. La question-clé est: d’où vient l’innovation? Est-elle endogène ou exogène? Je m’explique. L’innovation endogène est l’innovation qui naît au sein de l’entreprise sans aide de l’extérieur. L’innovation exogène est l’innovation qui s’appuie sur des travaux de recherche fondamentale et appliquée, issus de la recherche publique. Les incitants devront répondre à ces deux formes d’innovation. On a tendance à sous-estimer l’apport de l’innovation endogène. De même, on ne voit pas qu’une entreprise qui pousse l’innovation réduit dans un premier temps sa productivité. Les gens payés à réfléchir au futur ne sont pas directement productifs. C’est ce coût et l’incertitude par rapport aux résultats de ce processus qui induisent le besoin des aides de l’État.

Ces soutiens répondent-ils de manière correcte aux besoins?

«Une quarantaine de millions est allouée annuellement à cet effort par le ministère de l’Économie. De là, trois conclusions découlent:

  • 1. Ce montant est dérisoire par rapport aux défis futurs.
  • 2. Le taux d’acceptation des projets soumis pour obtenir des subventions dépasse les 90 %.
    De deux choses l’une : ou bien les entreprises méconnaissent les instruments en place, ou bien les projets d’innovation sont trop peu nombreux.
  • 3. Ce sont souvent les mêmes acteurs qui rentrent des dossiers de subventions.

Nous nous trouvons à un moment-clé. Comment l’État peut-il encourager cette vague d’innovation? Premièrement, il faudrait d’abord faire aussi bénéficier l’industrie financière de ces mécanismes. Or, elle en est exclue dans la mesure où son ministère de tutelle est le ministère des Finances. Luxinnovation, l’agence de financement de l’innovation, est le terrain de jeu du ministère de l’Économie. Deuxièmement, il faudrait scinder Luxinnovation en deux. Créer une vraie agence de promotion de l’économie hors place financière d’un côté et, de l’autre, une agence de promotion et de financement de l’innovation pour toute l’économie avec un budget équivalant à 1% du PIB. Cette solution permettrait une véritable vague d’innovation.

À côté de cette innovation «privée», la recherche publique vous semble-t-elle à la hauteur?

«La recherche publique est un domaine auquel les entreprises portent un grand intérêt. Le 21e siècle verra la rencontre des sciences comme la chimie, la biologie, la physique, d’un côté, et l’informatique, de l’autre. Il nous faut des chercheurs de premier plan. Maintenant, les entreprises sur notre territoire devront avoir accès à des instituts de recherche partout en Europe. C’est déjà le cas aujourd’hui et il faudra renforcer cette tendance. Depuis ma prise de fonction, j’ai pu me rendre compte de la qualité de la recherche publique à Luxembourg. Les points d’amélioration concernent des points de management, de controlling, de vision. La base est excellente, mais les processus de management et de gouvernance méritent une attention toute particulière.

L’Université n’a pas pour vocation première d’être au service de l’économie.

Nicolas Buck, président de la Fedil

Dans ce cadre, quel rôle doit jouer l’Université du Luxembourg par rapport au développement du pays et de son secteur industriel?

«Pour moi, l’Université n’a pas pour vocation première d’être au service de l’économie. C’est d’abord un formidable outil et un lieu où les jeunes qui font des études passent un moment important de leur vie. C’est aussi un centre important de la recherche fondamentale. C’est l’endroit du temps long. Elle doit garder sa place à part, rester capable d’un certain recul. Par contre, là où les liens doivent se renforcer pour entraîner l’innovation, c’est entre les centres de recherche pluridisciplinaires, comme le List, le SnT ou le LCSB, et les industries. Ce rapprochement est une priorité pour nos membres. Ce n’est qu’en intensifiant ces liens que le niveau d’excellence au sein de ces centres de recherche augmentera, et ceci dans les domaines-clés de nos industries.

Selon différentes études, la nouvelle vague d’innovation (robotisation et digitalisation de l’économie) risque cette fois de détruire de l’emploi net. Vous partagez cette impression?

«Vous savez, j’ai commencé ma vie professionnelle dans l’imprimerie. Ce secteur a été le premier à avoir subi une véritable hécatombe par rapport à des changements technologiques permettant de nouveaux business models. Maintenant, la valeur ajoutée d’une imprimerie est faible. Ce n’est rien d’autre qu’une très grosse photocopieuse. Donc la clé est de nouveau l’innovation qui permettra aux industries et secteurs de s’adapter. Mais la politique climatique et le changement du cadre réglementaire auront à court terme plus d’impact sur l’emploi que la robotisation en soi.

Donc pas de panique...?

«L’industrie est le secteur qui permettra la transformation d’une économie actuelle qui s’appuie sur l’énergie fossile vers l’énergie renouvelable. Cette transformation aura un impact non négligeable sur les finances publiques. Il n’y a pas de réponse absolue en économie. Des industries vont disparaître et de nouvelles vont se créer. Il faut laisser le marché jouer son rôle. Il faudra protéger les personnes. Protéger l’emploi est une approche corporatiste qui érige l’État en arbitre, en père tout puissant qui nous protégerait du diable que serait l’économie de marché. Il nous semble souhaitable de commencer à réfléchir à la procédure concernant les licenciements collectifs, les plans sociaux. C’est trop long, trop compliqué, trop cher – il n’y a aucun incitant pour des personnes potentiellement concernées par une restructuration de se former. L’OCDE le souligne d’ailleurs dans son dernier rapport sur le Luxembourg. L’employabilité des collaborateurs est un vrai sujet. Nicolas Schmit (ministre du Travail et de l’Emploi, ndlr) en est pleinement conscient. Finalement, si la digitalisation permettait vraiment un développement économique moins intensif en main-d’œuvre, serait-ce dommageable? Je pense que non; avec un renvoi vers votre question sur les limites de la croissance au Luxembourg.

Pour rester dans le domaine de la digitalisation, quelle analyse faites-vous du dossier de l’implantation de Google au Luxembourg?

«Étienne Schneider a une vraie politique industrielle. Les conditions d’entrée sont une électricité bon marché – nous l’avons – et des terrains à disposition. L’État n’a plus suffisamment de terrains disponibles pour une activité industrielle de taille. Les communes, un peu. Nous plaidons donc pour une politique volontariste dans ce domaine. L’État devrait se porter acquéreur de 200 hectares de terres agricoles réparties en lots de 20 hectares sur tout le territoire pour ensuite les reclasser. Si Google vient, tant mieux et bravo aux personnes qui auront travaillé d’arrache-pied sur ce dossier. Mais si ce n’est pas le cas, il y aura d’autres Google. Pensez aux Tesla de ce monde.

Autre piste ambitieuse de développement, le projet Spaceresources.lu. Vous soutenez l’initiative?

«C’est un projet d’envergure, donc ambitieux. L’État crée le cadre, et les acteurs privés développeront. L’espace nous oblige à pointer la tête vers le ciel et les étoiles. L’espace, c’est le retour de la science, de la physique, de la chimie et de la biologie. Le libéral que je suis ne peut qu’applaudir des deux mains. Il y a une vraie ambition d’Étienne Schneider. On verra vers où cela nous mènera, mais il est clair que l’initiative génère déjà de l’activité économique aujourd’hui. La Fedil s’engagera dans ce domaine.

Rifkin est venu et il ne reviendra pas.

Nicolas Buck, président de la Fedil

En 2016, le Luxembourg a aussi fait confiance à Jeremy Rifkin pour dessiner le futur économique du pays. Une démarche nécessaire?

«Rifkin est d’abord un showman et ensuite un économiste. Mais il est un des premiers à avoir articulé simplement les opportunités liées à la connectivité au sens large, aux énergies renouvelables et aux nouvelles formes de mobilité. Ces sujets sont liés. Rifkin a servi de catalyseur. J’ai contribué personnellement au groupe de travail ‘industrie’. Il est vrai que les résultats de l’étude sont modestes. Les objectifs en termes de pourcentage des renouvelables sont difficilement atteignables. Rifkin est venu et il ne reviendra pas. Le processus lié à l’implémentation des recommandations du rapport ne se distingue pas par son dynamisme. C’est donc un bon exercice de relations publiques pour le moment, pour le reste, on verra.

À un peu plus d’un an de la fin de la législature, quel bilan tirez-vous de l’action du gouvernement?

«Le constat est plutôt positif. Ce gouvernement a amené un nouveau souffle, et trois leaders politiques pour le prix d’un, comme dans le passé. L’accent sur l’importance du digital porté par le Premier ministre est à saluer. L’effort de diversifier l’économie porte ses fruits. À leur mérite, il faudra noter une vraie volonté de créer les infrastructures nécessaires pour répondre à la croissance des résidents et de l’emploi. À saluer également, l’initiative de trouver une solution au problème identitaire et au déficit démocratique. Je fais référence ici au référendum.

Après les mesures d’assainissement du budget de l’État durant les premières années, la programmation de déficits durant l’actuelle période de forte croissance économique ne me semble pas indispensable pour garantir le haut niveau d’investissement qui est nécessaire et que nous saluons évidemment.

Un climat favorable pour de bonnes relations entre l’exécutif et le monde des entreprises?

«Le niveau d’écoute est bon. Dans l’ensemble, nous trouvons une considération pour nos préoccupations au sein du gouvernement. Un bémol: le ministère des Finances me semble souffrir d’un manque de ressources en personnel étant donné l’importance de la fiscalité, en général, et le changement du cadre international l’affectant, en particulier. La qualité des échanges en souffre parfois.

Les convictions politiques du gouvernement me semblent très sociales. Les ministres parlent de progrès social, de protection sociale et adressent à l’électorat un message continu: l’État vous protégera. On agite le spectre du néo-libéralisme et ce spectre est un mythe. L’Europe est un espace où le secteur public intervient de plus en plus dans le marché.

En entrepreneur que je suis, j’aurais aimé que des valeurs comme le travail, la responsabilité ou l’envie d’entreprendre soient davantage portées. Les convictions sociales du gouvernement déterminent son action politique. C’est la primauté de la communauté sur l’individu. C’est une nouvelle forme de féodalité. ‘Votez pour moi, je vous protégerai.’ Quel message voulons-nous donner aux jeunes, quelle inspiration? La réussite d’une vie professionnelle, quel que soit le secteur d’activité, secteur privé, secteur public, nécessite des concessions, de travailler dur, d’être acteur de sa vie, de prendre ses responsabilités.

La réforme fiscale assure-t-elle à long terme la compétitivité des entreprises?

«La fiscalité reste déterminante pour assurer le développement économique d’un pays ou d’une région. C’est un sujet qui nécessite une attention continue. Nous préférons porter le message d’agilité fiscale plutôt que de réforme fiscale qui est plutôt synonyme d’un grand effort une fois pour toutes.

Les entreprises sont intéressées à deux égards par la fiscalité. D’abord, le niveau d’imposition des bénéfices des entreprises. Nous nous réjouissons que le niveau ait été baissé. C’est une bonne chose. Néanmoins, les incohérences IRC/ICC perdurent. Beps aura un impact certain et donc je suis convaincu que des adaptations resteront nécessaires pour assurer l’attrait du Luxembourg. Tout aussi importante, voire plus: la fiscalité touchant les revenus des dirigeants, des talents. Appelons ces personnes les personnes à responsabilité dans une entreprise. Une personne célibataire avec des revenus de 150.000 euros par an aura un revenu imposable avant impôt de 136.700 euros. Sur ce montant, 46.316 euros seront dus sous forme d’impôt sur le revenu.

Trois constats: premièrement, il est un fait que chaque euro payé au-delà d’un salaire mensuel de 5.000 euros est imposé à un taux marginal proche de 42%. Deuxièmement, dans un cadre post-Brexit et en tenant compte en particulier de l’importance de l’industrie financière dans notre pays, ce modèle de fiscalité des revenus des personnes physiques n’est pas compétitif en Europe. Enfin, je ne peux m’empêcher de penser que la question de l’équité de la fiscalité des personnes physiques dans ce pays mérite d’être posée. La justice sociale, c’est bien, mais la justice sociale en garantissant un système de fiscalité équitable, c’est mieux.

Le cadre n’est pas suffisamment attractif?

«Le Luxembourg doit attirer les talents à Luxembourg et ceci dans tous les domaines d’activité. Le cadre actuel est attractif si les entreprises peuvent compléter la rémunération fixe avec des systèmes de rémunération variable. Je parle ici des warrants et des stock-options. Ce sont des outils essentiels pour les entreprises et ces deux outils ont toute leur justification. Il y a eu beaucoup de discussions et de polémiques autour des warrants. Il est important de souligner que le déchet fiscal est largement inférieur aux chiffres qui ont été annoncés. Les pays voisins ont des mécanismes similaires. Chacun veut attirer les bons profils et les activités qui y sont liées chez soi. Ce sont souvent des activités à haute valeur ajoutée. Les multinationales peuvent faire des arbitrages en fonction du cadre offert dans différents pays, mais les PME n’ont pas ce choix.

Vous êtes donc favorable au maintien des stock-options?

«C’est surtout la question des warrants qui pose problème. Mais oui, nous plaidons pour le maintien de ces mesures et même pour leur extension aux personnes-clés de l’entreprise, pas seulement aux dirigeants. Dans l’économie de demain, vous aurez des personnes-clés qui ne dirigent pas nécessairement. À titre personnel, il me semble évident que ces gens qui créent de la valeur pour leur société doivent pouvoir bénéficier d’un cadre qui leur permette d’atteindre une aisance financière. Nous ne voulons pas d’une société d’héritiers, mais alors ayons au moins le courage de vouloir une société où l’effort est récompensé.

Si l’on voulait regarder le Luxembourg comme une entreprise, que faudrait-il envisager au niveau des grands postes-clés pour la rendre plus performante sur le long terme?

«En fait, je reste réticent à l’idée de comparer un pays à une entreprise. Des millions de personnes sont mortes volontairement pour un pays, je n’ai jamais vu personne sacrifier sa vie pour une entreprise. Ce sont des concepts différents, il ne faut pas commencer à gérer un pays comme on le fait avec une entreprise. Pour le pays, un défi important est celui de la communication et de changer la perception des autres sur ce qu’est le Luxembourg. Les messages portés par le gouvernement et renforcés par nous tous sont entre autres les suivants: le Luxembourg est un pays ouvert au monde et ses évolutions. Nous offrons un terrain propice au développement de la recherche, de l’innovation et de l’entrepreneuriat sous toutes ses formes. Nous encourageons la réussite et le mérite. Nous sommes une terre d’immigration car les immigrés d’aujourd’hui, ce sont les riches de demain. Ce qui compte, c’est d’être convaincu de ses forces et d’arrêter de s’excuser pour son succès. On doit pouvoir faire passer le message qu’on est droit dans nos bottes et qu’on n’a rien à se reprocher. Et faire connaître cette volonté du travail bien fait qui est propre à tous les gens qui travaillent dans ce pays.

Pour terminer sur une touche plus personnelle, pouvez-vous nous parler des leaders qui vous inspirent?

«Je ne peux pas vraiment dire que certaines personnes en particulier sont pour moi une source d’inspiration. Je n’ai pas de modèle, je ne fonctionne pas comme ça. Ce qui m’inspire, c’est l’ambition. Alors, évidemment, il est clair que quand je vois l’ambition de quelqu’un comme Elon Musk pour Tesla ou SpaceX et ses fusées capables de revenir sur terre, on peut parler là d’une source d’inspiration. Il existe des gens qui ont de grandes idées, mais ils mettent aussi des moyens colossaux pour les concrétiser. Au final, je dirais que c’est quand même interpellant de se dire que l’être humain est capable de très grandes choses une fois qu’il se met en marche.

Et si on parle en termes d’entreprises, là non plus pas de modèle à suivre?

«Il y a toujours eu dans l’histoire, à certains moments, des gens qui réinventent le monde. Ça a été le cas des sidérurgistes au 19e siècle. Aujourd’hui, on ne peut évidemment qu’être qu’admiratif devant des modèles comme Google, Amazon, Facebook ou Tesla. Après, il faut accepter que tous ces grands modèles sont nés et se développent depuis les États-Unis.

Si, à titre personnel, vous deviez revenir 10 ans en arrière, vous changeriez quelque chose?

«J’ai 49 ans, c’est l’âge où l’on a des regrets. On peut en avoir sur certaines choses mais, à titre personnel, je dirai toujours que les regrets donnent de l’expérience. J’ai connu des succès professionnels ainsi que des échecs. Aujourd’hui, ça forme un tout. Je serais presque content d’avoir eu des échecs. Ça contribue à vous former, à vous rendre meilleur. L’essentiel, c’est de ne pas répéter les mêmes erreurs.»