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L’espace de travail est un élément important dans la vie d’une entreprise puisqu’il a des incidences à plusieurs niveaux: sur le bien-être des employés, sur leur efficacité et la productivité, et à une plus large échelle sur la vie d’un quartier. Depuis le 19e siècle, l’espace de travail et la manière de travailler ont beaucoup évolué. D’un environnement rigide et reflétant la hiérarchie, nous sommes passés à des espaces ouverts (parfois trop) où la hiérarchie est souvent plus horizontale. La recherche de bien-être au travail a fait son apparition dans l’aménagement intérieur des espaces professionnels. Partant du credo qu’un salarié qui se sent bien est une personne qui travaille mieux et est donc plus productive, de nombreuses entreprises n’hésitent plus à investir dans l’aménagement de leurs bureaux. Loin d’être un simple changement de décoration, un aménagement efficace doit passer par une analyse en profondeur des flux de production et des besoins des différents services.

Conception et programme

Grégory Behin, head of strategy & development à la Bourse de Luxembourg, témoigne: «Avec la location du nouvel immeuble, nous avons eu l’occasion de rassembler nos équipes, auparavant éclatées, sur trois lieux. Nous en avons profité pour analyser en interne nos méthodes de travail, les interactions qui s’opèrent entre les différents services pour optimiser nos nouveaux espaces. Alors que certains d’entre nous étaient habitués à travailler dans d’anciens appartements, agencement certes convivial, mais qui pose des problèmes d’efficience organisationnelle, nous sommes passés à un système d’open space. Nous avons consulté les membres de nos services et avons mené des discussions avec les architectes pour trouver le bon aménagement des plateaux qui nous étaient livrés nus. Nous avons alors choisi d’installer des zones de travail dans un open space sous forme d’îlots. Il nous semblait important de conserver une échelle de petits groupes – de 12 personnes maximum – tout en pouvant rester en contact visuel avec les autres collaborateurs lorsqu’on lève la tête.» Ces aménagements de bureaux ouverts permettent généralement plus d’échanges entre les membres des équipes et donc une meilleure efficience. Ce besoin d’être ensemble se fit sentir aussi à Differdange dans le nouveau lieu dédié à l’industrie créative. «Les créatifs sont très contents de pouvoir sortir de l’isolement de leur domicile qui est aussi généralement leur lieu de travail», explique Tania Brugnoni, directrice du 1535°C. «Ils apprécient d’être en relation avec des personnes qui partagent un même état d’esprit. Aussi notre répartition d’espaces créatifs est comme un village: il y a les rues – les couloirs –, chaque espace est une maison, dont on laisse la porte ouverte ou non, et il y a la place du village, où l’on peut se rencontrer – la cuisine commune, les salles de réunion partagées, la future brasserie qui sera également ouverte au public.»
Toutefois, il y a un facteur à ne pas négliger: «Toute nouveauté crée de l’angoisse. C’est une dimension à prendre en compte et il est très important d’impliquer les équipes, et à tous les niveaux, dans les processus de changement. Il faut accompagner ce changement en informant et expliquant», précise Sandrine Sculfort, directrice médicale à l’ASTF (Association pour la santé au travail du secteur financier).

Les orientations du mobilier

Dans le secteur tertiaire, le poste de travail en lui-même évolue assez peu. La configuration table et chaise reste de mise. «On peut toutefois constater que de nombreuses entreprises sont équipées avec du mobilier réglable, ce qui est beaucoup mieux d’un point de vue ergonomique et donc meilleur pour la santé des employés», précise Sandrine Sculfort. «Toutefois, certains métiers, principalement ceux de consultants, permettent d’aborder la question du bureau ‘fixe’ autrement. Comme ce sont des métiers où les personnes sont régulièrement à l’extérieur, il est alors possible de ne plus avoir de bureau définitivement attribué, mais de mettre en place un système de bureau qu’on réserve selon les besoins.»

Une des nouvelles tendances qui tend à se généraliser est que le confort de la maison s’installe au bureau. Cette recherche de convivialité passe aussi par la création de zones informelles, de lieux de rencontres. Des espaces de réunion improvisés se développent, souvent dans les espaces de circulation.
Apparaissent alors des canapés avec dossier haut, recouverts de tissus et mousses qui absorbent le bruit ou des ensembles fauteuils et table basse qui permettent de boire un café tout en travaillant.
Une autre approche est aussi de rendre plus dynamiques les moments de réunions programmées. «Pour certaines de nos salles de réunion, nous avons choisi d’avoir une table haute et quelques tabourets. Ainsi, les personnes qui l’utilisent restent dans une position plus dynamique. La durée moyenne des réunions est ainsi passée à environ 30-45 minutes», précise Grégory Behin.
Toutefois, il ne faut pas oublier que ces choix doivent répondre bien sûr aux besoins du business (besoin de communication entre les personnes, gestion de stocks, introduction de zone sécurisée, etc.), mais aussi à des exigences ergonomiques qui sont là pour préserver la santé des employés.

Question d’image, mais pas seulement

L’aménagement des espaces joue aussi un rôle dans l’identité de l’entreprise. «Pour choisir notre nouvel espace de travail, nous avons été attentifs aux qualités de l’espace: la hauteur sous plafond, l’entrée de lumière naturelle. Nous recherchions un espace qui pourrait presque nous servir de prototype pour des projets futurs», précise Philippe Nathan, architecte et fondateur de l’agence 2001. Une entreprise comme la Bourse reçoit régulièrement des personnalités importantes. «Nous devons donc avoir des bureaux qui reflètent un certain standing», explique Grégory Behin. «Pour autant, la crise est aussi présente et je pense que les entreprises veillent à trouver la solution la plus juste au meilleur prix. Un objet cher peut être acquis, mais de manière ponctuelle. La tendance générale est quand même de moins dépenser. Changer un environnement de travail est un effort considérable de la part d’un employeur, un investissement humain et financier. Il faut donc trouver le bon équilibre entre cet investissement et le retour qu’on peut en avoir.» Les entreprises peuvent aussi choisir d’orienter leur aménagement un peu différemment. Le 1535°C, par exemple, a choisi de conserver du patrimoine industriel, ce qui est une sensibilité relativement nouvelle au Luxembourg, et de mettre l’humain au cœur du processus de reconversion. «Nous avons fait travailler des entreprises d’aide au réemploi et de réinsertion sociale», commente Tania Brugnoni. L’aspect écologique entre aussi de plus en plus en considération dans les choix des entreprises. «Le bois utilisé dans nos locaux est certifié FSC et nous utilisons un chauffage provenant d’une chaudière à pellets», précise Tania Brugnoni. «De notre côté, poursuit Grégory Behin, nous avons travaillé avec la certification Valideo. Nous avons des détecteurs de présence et des deemers pour les sources lumineuses électriques.» Et à Sandrine Sculfort de confirmer: «La RSE est en effet de plus en plus importante dans les démarches des entreprises.»

Développement durable

Mais l’attention portée au développement durable dépasse largement l’aménagement intérieur. Car qui dit bureaux dit travailleurs, dit déplacements et consommation. «Toutes ces personnes qui viennent travailler s’infiltrent dans le tissu urbain. La clientèle des commerces voisins change, les besoins en services s’accroissent. Un nouvel espace de travail peut donc directement créer de l’urbanité dans un lieu qui n’en avait pas. À plus long terme, cela peut même apporter une diversification de la population», explique Philippe Nathan. «L’exemple du 1535°C est très flagrant à ce sujet. C’était même un des enjeux du projet. En investissant cette friche industrielle, il s’agissait aussi de se réapproprier un morceau du centre-ville qui était abandonné. L’ouverture du 1535°C redynamise le quartier, change l’image de la ville. La commune a choisi de développer en parallèle des logements à coûts modérés et les transports en commun vont également devoir évoluer pour s’adapter à la nouvelle demande.» C’est donc toute la vie d’un quartier qui peut être modifiée par l’implantation de nouveaux espaces de travail.

Bon à savoir
Un aspect réglementaire à prendre en compte
Il existe plusieurs documents qui veillent à ce que de bonnes pratiques soient mises en place dans les espaces de travail. Certains relèvent de la loi, d’autres du conseil.
Un règlement grand-ducal du 4 novembre 1994 traite des «prescriptions minimales de sécurité et de santé pour les lieux de travail» et un autre de la même date est consacré aux «prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives au travail sur les équipements à écran de visualisation». Pour autant, ce règlement reste assez vague et général. «L’interprétation peut être assez ouverte», avoue Sandrine Sculfort. En ce qui concerne la surface de travail par exemple, il est stipulé que «l’espace de travail doit être suffisant pour permettre une position confortable pour les travailleurs» et que «le poste de travail, par ses dimensions et son aménagement, doit assurer suffisamment de place pour permettre des changements de positions et de mouvements au travail». La subjectivité a en effet de la place… L’Inspection du travail et des mines a établi des prescriptions pour les dispositions spécifiques aux bâtiments administratifs. Elle conseille par exemple d’avoir 10 m2 de surface utile par employé. D’autres points sont aussi étudiés, comme la lumière. «Sur ce point précis, je recommande de positionner le bureau perpendiculairement aux sources de lumière naturelle», précise Sandrine Sculfort. En ce qui concerne le bruit, là aussi, la loi est très ouverte puisqu’elle stipule simplement que «le bruit émis par les équipements appartenant au(x) poste(s) de travail doit être pris en compte lors de l’aménagement du poste de travail de façon, en particulier, à ne pas perturber l’attention et la parole». Malgré tout, les bonnes pratiques se généralisent. «Je constate de plus en plus dans les bureaux que les zones ‘bruyantes’, comme les photocopieuses ou les machines à café, sont regroupées dans des îlots séparés et insonorisés. Ce qui est par contre souvent un sujet de mécontentement est la qualité de l’air au sein des bureaux. De nombreuses personnes se plaignent d’allergies qui seraient liées à la mauvaise qualité de l’air ambiant, de maux de tête dus à un air trop sec, un inconfort pour les personnes qui portent des lentilles…» Enfin, signalons également les prescriptions de l’Association d’assurance contre les accidents qui concernent par exemple les distances à respecter entre l’utilisateur et l’écran, la hauteur du mobilier (72 cm de haut pour une table fixe et entre 68 et 76 cm pour une table réglable), et l’orientation des postes de travail par rapport aux sources lumineuses.