Murat Mutlu: «Pour rien au monde je n'échangerais pour un autre pays.» (Photo: Mike Zenari)

Murat Mutlu: «Pour rien au monde je n'échangerais pour un autre pays.» (Photo: Mike Zenari)

«Je ne parle jamais politique, religion ou football!» Murat Mutlu est très clair là-dessus: «Chacun a ses idées et je les respecte.» Ceci dit, on aurait presque envie de le faire à sa place, tant son parcours semble un modèle d’intégration réussie. Qui ne s’est pas fait d’un coup de baguette magique, c’est clair.

Mais 25 ans après son arrivée sur le territoire luxembourgeois, l’homme d’affaires d’origine turque est devenu un personnage incontournable dans le monde de l’immobilier et qui ne renie rien de son passé. «Au contraire, je suis fier de tout ce que j’ai fait», assure le gérant et associé d’Immo Luxembourg, qui a testé tout ce qui se fait dans la gamme des «petits boulots» avant de s’installer dans des bureaux cossus de la place Winston Churchill à Luxembourg.

Chacun a ses idées et je les respecte.

Murat Mutlu, Immo Luxembourg

Mais revenons au tout début. En partant de sa naissance, le 5 mars 1972, dans le quartier de Sultanahmet à Istanbul. Intégré dans le quartier historique et touristique de la mégapole turque, il se frotte dès le plus jeune âge au commerce en vendant des cartes postales, des timbres de collection et de l’eau aux nombreux touristes. À l’école, dès l’âge de six ans, il fournit les élèves en petit matériel. «Ces multiples activités m’ont permis très jeune de gagner ma vie et de payer mes études», explique-t-il. À l’école de la vie, il avait déjà pris exemple sur la famille. «Je suis issu d’une famille de commerçants.» Il le revendique. Le cuir, les tapis, la bijouterie, l’immobilier… Son père détenait deux hôtels cinq étoiles, un à Istanbul, l’autre à Bodrum. Quant au jeune Murat, avant son départ pour l’Europe, il travaillait comme vendeur dans la bijouterie de son frère.

Aujourd’hui, Murat Mutlu collectionne les voitures. Les rapides et les anciennes. «J’aime beaucoup les voitures», sourit-il. La plus ancienne date de 1934. Mais avant de pouvoir les exposer ou les engager dans des rallyes aux côtés d’autres passionnés, des carrosseries, il en a surtout lavées. «Mon premier emploi: le car-wash du garage Citroën Étoile à la Cloche d’Or.» Lorsque l’employé de l’Adem lui propose le job, il l’accepte du bout des lèvres. «Mais je ne parlais que quelques mots de français et j’avais besoin d’un travail.»

Brique par brique

Mais revenons à nouveau en arrière. Au 20 avril 1991, très exactement, lorsque Murat Mutlu atterrit à Bruxelles, en provenance directe d’Istanbul. Raison du départ? Sa première épouse, une Française, ne voulait pas le voir perdre son temps dans un fastidieux service militaire. Faute de visa valable, la France lui refuse l’entrée. Ce sera donc Luxembourg. Et le premier choc. «J’avais vécu dans une ville qui, à l’époque, comptait déjà 9 à 10 millions d’habitants. Ça m’a donc fait bizarre de me retrouver dans ce petit pays qui en comptait un peu plus de 300.000.» Un pays dont il n’ignorait pas l’existence, mais dont il ne savait rien. «Pour moi, le Luxembourg, c’était l’Eurovision: Luxembourg, ten points!»

Pour rien au monde je n’échangerais le Luxembourg contre un autre pays

Murat Mutlu, Immo Luxembourg

Un territoire dont il se retrouve aussi quasi prisonnier, son visa ne l’autorisant à circuler qu’à l’intérieur du Benelux. Donc, il bosse. Après le car-wash, il enchaîne les jobs: déménageur, archiviste, chauffeur de taxi… «J’ai aussi ouvert un snack, j’ai toujours fait deux ou trois choses en même temps.» Mais il ne regrette rien. «Mes deux filles, Eda (17  ans) et Ece (13 ans) sont nées ici. Pour rien au monde je n’échangerais le Luxembourg contre un autre pays, même pas la Turquie. Je suis redevable à ce pays.»

Il se retrouve finalement employé à l’ambassade de Turquie, un travail enfin stable. Qu’il ne quittera qu’il y a 13 ans pour se lancer dans l’aventure immobilière avec des partenaires étrangers. Et au bout du chemin, la création d’Immo Luxembourg, un bébé qui a vite grandi. Son créneau, les maisons unifamiliales dans la zone Luxembourg-ville, Strassen et le Kirchberg. «Nous n’envisageons pas actuellement de nous lancer dans le bureau, ça ne nous intéresse pas.» En revanche, rapidement, Immo Luxembourg a été en relation avec une clientèle haut de gamme cherchant des biens assez exclusifs. «Quelle que soit la clientèle, notre philosophie est la même: ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. Il faut être irréprochable en tout point et se dire que la personne en face de nous vise peut-être le projet de sa vie.»

Une deuxième agence

Et pour Immo Luxembourg, Murat Mutlu a un projet imminent: ouvrir une deuxième agence en ville avant l’été et engager une vingtaine de personnes. En prenant l’ensemble de ses activités, il en emploie déjà 45. C’est qu’à côté du business de la brique, l’homme d’affaires est associé à différents projets, dont le restaurant Elch à Bertrange, la boutique Casting au centre commercial Belle Étoile et les magasins Benetton dans le même centre. «Mon but n’est pas de diversifier mes activités», explique-t-il. «C’est avant tout d’élargir mon cercle de connaissances pour développer Immo Luxembourg.» Son objectif est véritablement de devenir leader du marché et, pour cela, il ne faut laisser passer aucune chance. «Les bonnes affaires c’est par relations que j’en prends connaissance. Et mes clients, ce sont d’autres clients qui me les amènent. Ça ne marche que comme ça.»

Un credo basé sur les rapports humains et qui, visiblement, fonctionne bien.

Mon but est d’élargir mon cercle de connaissances pour développer Immo Luxembourg.

Murat Mutlu, Immo Luxembourg

Plaidoyer pour la hauteur
Depuis plus de 13 ans qu’il baigne dans le monde de l’immobilier luxembourgeois, Murat Mutlu s’est forgé quelques idées pour le faire évoluer. «Ça fait 10  ans que je m’interroge sur le refus des communes et du gouvernement de construire en hauteur», lance-t-il. «Quand la population atteindra 700 ou 800.000 personnes, où va-t-on les loger? Enfin, j’ai récemment lu des propos allant dans ce sens en provenance du gouvernement, ça me rassure.»
Pour le responsable d’Immo Luxembourg, c’est une manière de modifier l’offre et la demande et donc de faire baisser les prix du marché. «Je ne comprends pas», insiste-t-il. «Nous sommes dans un petit pays, dont 34% du territoire sont couverts de forêts à protéger et on n’autorise des constructions que sur deux étages.»

Quand la population atteindra 700 ou 800.000 personnes, où va-t-on les loger?

Murat Mutlu, Immo Luxembourg

Sur le court ou moyen terme, il ne s’attend en tout cas pas à une baisse des prix ni à l’explosion d’une soi-disant bulle immobilière. «Ça fait 25  ans que je suis au Luxembourg et autant de temps que j’entends dire qu’une bulle immobilière va exploser. Mais, selon moi, elle n’est pas prête à se dégonfler.»