Il restera à jamais le président du club luxembourgeois qui aura forgé un premier exploit en coupe d’Europe. (Photo: Nader Ghavami)

Il restera à jamais le président du club luxembourgeois qui aura forgé un premier exploit en coupe d’Europe. (Photo: Nader Ghavami)

Comment êtes-vous arrivé à la présidence du club?

Romain Schumacher. – «À la fin de ma carrière de joueur, j’ai aidé le club à se structurer avec Damon Damiani. En 1998, Flavio Becca est arrivé en tant que principal mécène du club. Il m’a demandé de prendre la présidence. J’ai évidemment été intéressé par le projet, notamment car Flavio m’a dit: ‘On va vite être champion.’ On a donc beaucoup travaillé. Je me suis ensuite retiré du poste, jusqu’en 2011.

Vous connaissiez évidemment bien le club et avez assisté à la naissance du F91?

«Je suis de Luxembourg, donc quand je suis arrivé à Dudelange, c’était avec l’avantage de ne pas avoir connu tout ce qui s’était passé avant. C’est une région très différente de la capitale: les choses sont plus directes, plus franches… La fusion entre l’US, l’Alliance et le Stade a eu lieu et je me suis dit lors des premiers entraînements que cela n’irait jamais. On a démarré en Promotion d’honneur, car l’Alliance avait su s’y maintenir. Mais l’état du foot n’était pas terrible, cela s’était fort dégradé à Dudelange.

Ferveur locale

Mais les succès sont de suite arrivés…

«Oui, on a eu tout de suite de bons résultats. Du coup, il y a eu une ferveur locale qui nous a portés. Il y avait 1.000 supporters pour le match face à Pétange!

L’euphorie va-t-elle durer?

«Nous sommes arrivés dès la première année dans les playoffs et sommes montés, on bat les Red Boys… Pour notre première année au niveau national, on joue une finale de coupe contre Beggen, qui était champion. On perd, mais cela nous donne accès à la Coupe d’Europe contre le Maccabi Haïfa. Idem l’année suivante avec un match face à Ferencváros. Cela a mis une énorme ferveur à Dudelange. Il y avait plus de monde, plus de publicité, plus de sponsoring.

Puis Flavio Becca est arrivé et cela a changé les choses?

«C’est Damon Damiani qui l’a fait venir voir un match, contre la Jeunesse. On espérait son sponsoring à hauteur de 1.500 euros. Mais il nous a dit: ‘Si je viens, c’est pour avoir du succès.’ Il nous a mis sur une autre orbite. Avant, notre sponsor – qui nous a bien aidés et que je respecte profondément –, c’était la pizzeria Gigi l’Amoroso. Sans lui, on aurait continué comme une bonne petite équipe de nationale.

Si le Sporting de Lisbonne veut collaborer avec Dudelange, cela signifie quelque chose.

Romain Schumacher, président du F91

Or, le F91 est devenu le club qui a mis fin au règne de la Jeunesse d’Esch… Avec un palmarès impressionnant…

«Depuis 1999, c’est en effet 14 titres de champion et 5 de vice-champion, 7 coupes nationales, une école des jeunes qui suscite les convoitises, de nombreux internationaux… Si le Sporting de Lisbonne – le club de Ronaldo – veut s’implanter au Luxembourg et le faire avec Dudelange, cela signifie quelque chose.

(ndlr: cet entretien a été réalisé avant que Flavio Becca n’annonce son possible arrêt de son soutien au club, de manière progressive au cours des deux années à venir.)

Une mauvaise ambiance face à Cluj

Puis arrive cette épopée qui vous conduit en poules de l’Europa League. Vous en garderez, on imagine, bien des souvenirs?

«Nous sommes le plus petit club à avoir jamais réalisé un tel exploit. Avant le premier match – qualificatif pour la Ligue des champions –, j’avais dit aux journalistes que je sentais qu’on allait jouer trois tours. On perd contre Videoton, mais de justesse. C’était déjà une performance incroyable pour le foot luxembourgeois. Puis on affronte Drita en Europa League. Une des rencontres les plus difficiles. Puis on sort le Legia Varsovie! Enfin, nous voilà face à Cluj. Là, je suis mitigé.

Autant les matchs contre les Polonais ont été agréables, autant ce fut l’inverse contre les Roumains. L’ambiance était mauvaise, on a été menacé… Du coup, on a décidé de ne rien laisser au hasard et nous sommes partis là-bas avec notre propre cuisinier! On avait gagné 2-0 à Luxembourg. Là-bas, après 77 minutes de jeu, c’est 0-3 et je me dis que les problèmes commencent: on est en Europa League.

La ferveur a été incroyable…

«On a senti tout le pays derrière nous. Alors que le F91 n’est pas aimé partout.

Il a ensuite fallu tenir son rang au niveau de l’organisation?

«D’autant plus stressant qu’on a hérité de l’AC Milan, du Betis Séville et de l’Olympiakos. Il a fallu s’organiser très vite, préparer le stade… On a essayé de faire du mieux possible. Et les retours de l’UEFA ont été bons.

Des investissements nécessaires

Cette qualification démontre-t-elle les progrès du foot luxembourgeois?

«Jouer trois ou quatre rencontres pour se qualifier et y arriver, ce n’est pas un hasard. Oui, cela montre que le foot luxembourgeois est en progrès. Même si nous sommes un pays riche qui n’investit pas assez dans le sport.

Cela doit changer?

«Il faut que les clubs prennent confiance. Pour cela, il faut investir dans les infrastructures, dans le support aux clubs, trouver un statut adapté pour les joueurs… À Dudelange, les joueurs ne sont pas professionnels – et je ne crois pas qu’un championnat pro soit possible, même si on doit être moins amateur –, mais ne font que cela.

Qu’est-ce qu’il arrive à leurs familles et à eux en cas d’accident?

On doit avancer sur ces dossiers.


(Photo: Nader Ghavami)

Les relations avec la fédération ont-elles parfois été compliquées?

«Entre autres, car nous ne sommes pas en phase sur la politique des jeunes. Moi, je plaide pour les laisser le plus longtemps possible dans leur club, pas dans un centre de formation national à Mondercange. Il y a aussi des gens ultra-compétents dans les clubs.

Un cas comme Pjanic (il a quitté le Luxembourg pour aller à Metz, à 14 ans, et est désormais un pilier de la Juventus de Turin) cela ne doit plus jamais arriver.Les clubs ont besoin de soutien pour être à la hauteur. Le match contre la Biélorussie était le plus important de l’équipe nationale depuis 56 ans et le stade était à moitié vide!

Comment voyez-vous l’avenir du F91?

«On ne va pas refaire un tel parcours chaque année, mais il faut poursuivre sur notre lancée. On sort grandi de cette compétition, dans une position différente, mais on doit aussi rester réaliste par rapport à ce que l’on est. Maintenant il faut essayer d’être champion. Mais les joueurs ont déjà joué plus de rencontres que sur une saison complète. Ce ne sera pas simple.

Vous êtes satisfait du chemin parcouru?

«Le jour où je suis satisfait… je reste à la maison. Je ne suis pas fier, mais heureux. Notre secrétaire général a dit: ‘on n’a pas fait que des erreurs, car on a rendu des gens heureux’. C’est une belle conclusion. On a fait tout ce qu’il fallait, mis toutes les chances de notre côté, et le retour a été fantastique.»