Alexandre Cegarra s’interroge sur la hausse des taux d’intérêt.  (Photo: Société Générale Bank & Trust)

Alexandre Cegarra s’interroge sur la hausse des taux d’intérêt.  (Photo: Société Générale Bank & Trust)

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine début novembre aura-t-elle marqué la fin de l’environnement «de taux bas», en vigueur depuis plus de 30 ans au sein des économies développées? En effet, la victoire surprise du candidat républicain a provoqué une accélération du mouvement de hausse des taux d’intérêt longs en Europe et aux États-Unis. Si c’est, logiquement, aux États-Unis, que le phénomène a été le plus marqué (le taux 10 ans est ainsi passé de 1,8% la veille du scrutin à environ 2,47%), les taux souverains en zone euro ont également suivi cette tendance (voir graphique 1). Ainsi, le 10 ans allemand a progressé de plus de 25 points de base sur la même période. Si l’on prend un peu de recul, la hausse est de plus de 50 points de base depuis le plus bas touché fin septembre. Concrètement, une obligation à 10 ans d’État allemand a ainsi perdu près de 4,5% en 2 mois, soit plus de 10 années de coupon!

(Source: Bloomberg, SGPWM)

Avant de tenter d’analyser les raisons de ce mouvement récent, il convient de relativiser son importance, ce début de remontée des taux d’intérêt fait ainsi suite à plus de 30 années de baisse continue (voir graphique 2).

(Source: Bloomberg, SGPWM)

Comme indiqué précédemment, si l’élection présidentielle américaine a semblé servir de catalyseur, ce mouvement d’inflexion des taux d’intérêt a été entamé dès cet été, dans la foulée du référendum au Royaume-Uni. Nous identifions quatre raisons principales à cela:

  • Plusieurs banquiers centraux ont largement communiqué, depuis le début de l’année 2016, sur les limites des politiques actuelles de Quantitative Easing, en place dans de nombreux pays développés depuis la crise financière de 2008-2009. Leurs principales critiques résident dans l’impact négatif de telles mesures sur la profitabilité du secteur bancaire, mais également sur l’effet d’aubaine pour certains gouvernements qui pourraient profiter de cette baisse des coûts de financement pour retarder les réformes structurelles nécessaires, ou dans le creusement des inégalités que ces politiques ont générées dans certains pays.
  • En parallèle, le rebond des prix des matières premières a permis une stabilisation, puis un rebond des perspectives d’inflation dans les pays développés. À ce titre, la politique économique potentiellement inflationniste proposée par Donald Trump vient renforcer le phénomène (baisse des impôts et programmes de dépenses d’infrastructures massives, limitation de la main-d’œuvre étrangère).
  • Également aux États-Unis, la réserve fédérale va probablement procéder, dans les jours à venir, à une hausse des taux, la seconde après celle de l’an dernier à la même époque. Or, bien que les politiques monétaires entre les États-Unis et la zone euro aient nettement divergé ces dernières années, les taux d’intérêt au sein de ces deux économies ont évolué historiquement de façon corrélée.
  • Enfin, en zone euro, les taux d’intérêt avaient atteint des niveaux historiquement bas, et même négatifs, sur une grande partie de la courbe d’État allemand. En effet, à fin octobre, les taux «sans risque» allemands évoluaient en territoire négatif jusqu’à la maturité 9 ans. Ce phénomène, amplifié par les rachats de la Banque centrale européenne (80 milliards d’euros par mois) touche même depuis peu le segment des obligations privées non financières.

Afin de sortir de ces politiques monétaires de taux bas, de nombreux économistes recommandent désormais de se tourner vers des politiques budgétaires expansionnistes, afin de prendre le relai de politiques monétaires nécessairement plus restrictives. Il semblerait donc bien que de nombreux facteurs, à la fois macro-économique, micro-économique ou encore politiques militent pour une remontée progressive des taux longs en Europe et dans la majorité des pays développés.

Ce véritable changement de paradigme, après plus de 30 années de baisse des taux, a des conséquences importantes en termes de stratégie d’investissement. En premier lieu, les placements obligataires dits «sans risque» et de maturité longue sont les plus impactés. En clair, les obligations souveraines de maturité standard, c’est-à-dire entre 7 et 10 ans, sont à éviter, une hausse des taux d’intérêt de 1% est susceptible d’entraîner une baisse de leur valorisation comprise entre 7 et 8% en moyenne, selon les pays. L’autre risque que nous identifions sur ce type d’actifs concerne la politique d’achat de la BCE. Cette dernière prévoit en effet actuellement d’acquérir un montant important de titres souverains sur le marché secondaire jusqu’à la fin de l’année 2017. Si le dernier discours du président de la BCE, Mario Draghi, s’est montré explicitement accommodant, rien ne garantit que ce programme d’achat soit prolongé au-delà de cette échéance. Le départ du principal acheteur sur ce marché ces dernières années pourrait ainsi provoquer un déséquilibre à même de faire baisser encore les valorisations. Il en va de même sur le marché des dettes d’entreprises Investment Grade, sur lequel la BCE agit également directement.

A contrario, le segment des obligations à haut rendement et maturité courte (High Yield Short Duration) nous semble toujours opportun dans ce contexte. Ces titres bénéficient en effet d’un portage supérieur, avec des coupons compris entre 4 et 5% en moyenne, et d’une sensibilité aux taux d’intérêt faible par définition. À titre d’exemple, un portefeuille diversifié d’obligations de cette catégorie présente une sensibilité moyenne aux taux d’intérêt de 2. Dans le même temps, ce type de stratégie permet de bénéficier de l’amélioration de la conjoncture économique actuellement en place dans la zone euro.

Un autre segment que nous privilégions actuellement au sein de nos portefeuilles obligataires est celui des obligations subordonnées d’entreprises. Ces dettes «hybrides» reprennent les principales caractéristiques des obligations classiques (coupons réguliers, date de remboursement anticipé au bout de 5 ans, positionnement «senior» par rapport aux actionnaires dans la structure de capital), tout en présentant certaines particularités plus proches des actions (maturité finale perpétuelle, paiement des coupons optionnel, titre de créance subordonné par rapport aux obligations classiques). Ce segment nous semble idéalement positionné pour faire face à un environnement de remontée des taux d’intérêt, car les coupons sont révisés périodiquement en fonction du taux d’intérêt alors en vigueur. D’autre part, les émetteurs sont fortement incités à payer l’intégralité des coupons («dividend stopper/pusher») et à rappeler ces titres à la première date de rappel, sous peine d’être privés du bénéfice comptable procuré par ce type d’émission. Les obligations subordonnées d’entreprises permettent donc de concilier rendement (de 2,8% à 3% en moyenne) et prise de risque mesurée, au prix d’une volatilité contenue (environ 6% annualisé sur l’indice BofA-Merrill Lynch Euro Non-Financial Subordinated Index, entre octobre 2013 et octobre 2016).

En conclusion, le mouvement de hausse des taux d’intérêt devrait se poursuivre selon nous en 2017. Nous conseillons aux investisseurs obligataires de rester à l’écart des obligations souveraines des pays développés et de concentrer leurs investissements obligataires sur des titres avec une sensibilité aux taux d’intérêts moindres et offrant un potentiel de rendement supérieur (obligations High Yield Short Duration, dettes subordonnées d’entreprises, voire dettes subordonnées financières pour les profils de risque les plus élevés). Ces investissements impliquent un profil de risque réglementaire supérieur, et donc une volatilité potentielle plus élevée, et il est donc conseillé de faire appel à un mandat de gestion discrétionnaire ou aux conseils d’un spécialiste pour s’exposer à ce type d’investissements.