Outre l’aide à la presse imprimée, l’ensemble des aides directes et indirectes, soit quelque 40 millions pour le budget de l’État, a occupé les discussions. (Photo: Maison Moderne)

Outre l’aide à la presse imprimée, l’ensemble des aides directes et indirectes, soit quelque 40 millions pour le budget de l’État, a occupé les discussions. (Photo: Maison Moderne)

Les chiffres valent souvent mieux que de longs discours. En introduction du débat organisé mardi soir aux Rotondes par le Paperjam Club sur l’aide de l’État à la presse imprimée au Luxembourg et le pluralisme de la presse, un constat chiffré a été dressé en guise d’état des lieux.

Les aides à la presse imprimée versées par l’État bénéficient à hauteur de 75% aux groupes Editpress et Saint-Paul, même si le régime a été créé en 1976 pour favoriser des titres, et non des groupes, en vue de garantir la diversité dans la presse d’opinion.

Ainsi, le Wort et le Tageblatt touchent à eux deux 75% des 7,5 millions d’euros chaque année, alors que l’aide à la presse en ligne est limitée à un forfait de 100.000 euros par titre, introduit en janvier dernier.

Autre écueil rappelé, le risque de concentration dans le secteur, mis en exergue dans le Media Pluralism Monitor 2016.

Propositions concrètes 

Devant 200 personnes réunies aux Rotondes, des représentants politiques et des médias au Luxembourg ont exposé à tour de rôle, pendant trois minutes, trois propositions dans la perspective d’une réforme.

Voici leurs propositions: 

Claude Karger (Lëtzebuerger Journal)

  1. S’il faut discuter d’une promotion de la presse intégrant promotion print et digitale, 
il faut maintenir les critères de promotion pour le print qui sont clairs et transparents. 
Sinon, la diversité prendra un coup avec la disparition des petits titres.
  2. Réfléchir à la création d’un fonds spécial pour soutenir l’innovation dans la presse, tant print que digitale.
  3. Toute édition luxembourgeoise d’une publication étrangère est exclue du bénéfice de l’aide à la presse, «à moins qu’elle ne bénéficie à l’étranger d’aucune aide à la presse». Ce point n’est point à supprimer de la loi, car il faudrait en tout état de choses de la substance au Luxembourg.

Mike Koedinger (Maison Moderne)

  1. Maison Moderne propose de traiter la presse quotidienne en ligne comme la presse quotidienne imprimée — exactement de la même façon.
  2. Maison Moderne propose: de plafonner le nombre de pages éligibles par titre; de rendre l’aide dégressive par groupe média (100% de l’aide pour le premier titre, 90% pour le deuxième, et ainsi de suite); de ne considérer que les pages purement journalistiques dans les pages à subventionner, et de mettre fin à la subvention des pages avec programme TV, cinéma, des blagues ou autres mots croisés. 
  3. Maison Moderne propose que les entreprises média subventionnées jouent la transparence et soient obligées de publier annuellement: un organigramme clair reprenant l’ensemble des actionnaires et des bénéficiaires économiques finaux; un organigramme clair du groupe reprenant l’ensemble des entreprises dans lesquelles sont tenues des participations, que ce soit dans des entreprises média ou autres; les résultats financiers consolidés du groupe; les résultats financiers concernant l’activité de la presse subventionnée.

Robert Garcia (Radio Ara, cofondateur de Woxx)

  1. À l’instar de l’aide à la presse écrite, 
une loi/un règlement structuré(e) sur le soutien aux médias citoyens et participatifs sans but lucratif,
 avec des critères transparents prenant en compte les créneaux sociétaux spécifiques, 
les besoins en infrastructures techniques 
et les frais d’encadrement des radio-activistes bénévoles.
  2. Définir, par un cadre législatif, 
une politique d’éducation et de formation aux médias 
dans les écoles et dans les structures éducatives 
visant à renforcer le sens civique des jeunes 
en les rendant moins vulnérables 
devant les fake news et la publicité mensongère.
  3. Réintroduire, dans la loi sur les médias électroniques, 
les dispositions interdisant la présence de shareholders dans plus d’un média 
et limitant cette participation à 25% du capital de chaque société 
(bref, comme avant, sous la démocratie).

Christoph Bumb (Reporter.lu)

  1. Établir une égalité de traitement dans le régime des aides à la presse afin de mettre fin à une «concurrence déloyale manifeste», du moins tolérée par l’État. Assouplir les critères liés à la quantité de contenus journalistiques. Ceux qui sont subventionnés sont généralistes et affichent un certain conformisme, ce qui renforce le statu quo, et pas forcément la qualité.
  2. Faciliter l’accès aux aides à la presse et promouvoir l’innovation. Les critères d’accès à l’aide pour la presse en ligne doivent être plus flexibles. Il ne faut pas seulement se tourner vers l’État, mais aussi, par exemple, vers des fondations cofinancées par l’État et le secteur privé. 

Paul Peckels (Saint-Paul Luxembourg)

  1. Il faut redéfinir la notion de pluralité: quels sont les besoins de la population? Quels nombre et type de publications? Est-ce que la pluralité des médias rime avec pluralité d’opinion?
  2. Il faut redéfinir un cadre budgétaire précis. Quel est le budget que nous voulons consacrer aux médias dans notre pays?
  3. Au lieu de distinguer le print du digital, il faut faire la distinction entre les offres gratuites et les offres payantes.

Issue avant les élections?

Du côté politique, le Premier ministre, également en charge des communications et des médias, a livré un message vidéo aux participants de la soirée. Xavier Bettel y a indiqué que des discussions sont en cours pour envisager une réforme par une convergence des aides à la presse (imprimée et en ligne): «C’est une priorité pour l’année prochaine.»

À l’instar de Xavier Bettel, les autres responsables politiques présents cette fois dans la salle indiquaient soutenir le chemin vers une fusion du régime de promotion de la presse imprimée et de la presse en ligne. 

«100.000 euros pour la presse en ligne est un bon début, mais il faudra revoir le texte», a déclaré Claude Wiseler, tête de liste du CSV pour les élections législatives. «Il faudrait un texte qui permette le cross-media à des maisons d’édition. Considérer leurs publications ensemble et leur subventionnement ensemble me paraît la réflexion à mener.»

La question n’est pas ‘Va-t-on changer?’, mais ‘Va-t-on trouver la bonne voie?’

Claude Adam, Déi Gréng

Claude Adam et Yves Cruchten, députés Déi Gréng et LSAP, veulent aussi se donner le temps de la réflexion, à l’heure de la préparation des programmes électoraux en vue des élections nationales de l’année prochaine. 

Les deux députés dont les partis sont alliés au gouvernement à celui de Xavier Bettel (DP) étaient, en revanche, plus circonspects quant à l’aboutissement d’une réforme avant le scrutin législatif. «Je suis d’avis que l’on doit avancer pas à pas vers une aide à l’information», note Claude Adam. «La question n’est pas ‘Va-t-on changer?’, mais ‘Va-t-on trouver la bonne voie?’»

Dans un secteur où le digital modifie profondément la manière dont le lecteur consomme l’information, c’est bien vers une subvention de celle-ci que les discussions se sont orientées, avec l’impérieuse question de la qualité à régler pour fixer de nouveaux critères d’octroi de l’aide.

Revoir le débat en vidéo