Du fait d’un besoin en logement croissant, des biens à la valeur intrinsèque limitée atteignent des prix faramineux.  (Photo : Luc Deflorenne/archives)

Du fait d’un besoin en logement croissant, des biens à la valeur intrinsèque limitée atteignent des prix faramineux.  (Photo : Luc Deflorenne/archives)

La question hante les esprits et brûle les lèvres des déplacés professionnels au Luxembourg. Est-ce raisonnable d’acheter un bien immobilier en ce moment au Grand-Duché ? Difficile d’y répondre. Les paramètres à prendre en compte sont multiples. Outre les considérations propres à chacun, les indicateurs macroéconomiques, les perspectives nationales en termes de compétitivité et de démographie sont considérés.

Bien sûr, aucune réponse certaine ne peut être apportée pour ce qui a trait à l’avenir. Patrick Kersten, CEO et fondateur d’AtHome, groupe gérant la plate-forme éponyme d’annonces immobilières, apporte néanmoins quelques éléments de réponse dans un « white paper » qui risque de faire plus de bruit que la célébration des 10 ans de sa société. Selon ses calculs, une maison au Grand-Duché coûtera, en 2020, en moyenne un million d’euros. Elle en vaut un peu moins de 600.000 aujourd’hui.

Pas question, pour lui, de jeter un pavé dans la mare afin de se faire de la publicité gratuitement – même si cela l’arrangera bien in fine. Il s’est engagé, « à titre personnel », à produire une étude sérieuse et étayée. Et son avis sur la tendance que devrait suivre le prix des biens immobiliers résidentiels sur les 20 prochaines années se base sur le travail préparé par le Statec relatif aux évolutions de la population et des besoins en logement.

L’institut national de la statistique y revenait sur ses hypothèses formulées en 2006. Elles prévoyaient qu’en 2020, le Luxembourg compterait 518.369 habitants. Or, en 2011, le Luxembourg en compte déjà 508.000. Le scénario haut envisagé il y a cinq ans est déjà dépassé.

Aujourd’hui, l’étude mise à jour table sur 646.740 résidents en 2030. Elle prévoit également une progression du nombre de ménages de 40 % par rapport à 2010. La prédiction est alors mise en rapport avec les besoins de logements en 2030.

L’auteur du rapport commentant les nouvelles prévisions démographiques, Patrick Kersten résume : « Le Luxembourg a gagné 150.000 habitants en 25 ans. Et selon le Statec, l’augmentation sera au moins similaire sur les 20 prochaines années. D’un point de vue théorique, le besoin en logement va encore croître de manière exponentielle. »En effet, pour faire face à l’accroissement du nombre de ménages, de 81.702 unités en 2030 selon le scénario central du Statec, «il faudrait construire un peu plus de 4.000 logements nouveaux par an ». Les unités de remplacement, évaluées à 45.600, soit environ 2.280 annuellement, permettraient de partiellement honorer la demande de 129.000 loge­ments nécessaires pour 2030. Il faudrait donc créer ex nihilo 4.170 nouvelles unités d’habitation tous les ans.

129.000 logements nécessaires pour 2030

Le CEO et fondateur de la plate-forme d’annonces immobilières a poussé un peu plus loin la problématique et a comparé l’évolution du prix des maisons sur les 20 dernières années. Selon des données, encore fournies par le Statec, les maisons construites après 1944 se vendaient en moyenne, en 1988, à 123.000 euros. Le chiffre est passé à 227.000 en 1998, puis à 550.000 en 2008. « En gros, durant ces années, le prix des maisons a doublé tous les dix ans. »

Selon ses propres statistiques, collectées sur ses 10 années d’existence, AtHome, et plus exactement son CEO, constatent une progression annuelle de 4 %. Et l’échantillon est un peu particulier puisque les prix ont baissé en 2008 et 2009, fait rarissime au Grand-Duché. « Si on compare les deux scénarios, avec le scénario bas, nous arrivons au million d’euros en 2024. Selon le scénario haut se basant sur la performance des 20 dernières années, nous y serons d’ici 2020. » Aujour­d’hui le prix moyen d’une maison au Luxembourg s’établit à 606.000 euros selon AtHome, un peu en dessous des 600.000 euros selon les chiffres enregistrés par le Statec.

Déjà dans un certain nombre de communes, le prix moyen affiché se rapproche du million. À Luxembourg-ville et dans la première couronne, la moyenne est de 850.000 euros. 50 % de l’offre se situe entre 700.000 et 1,1 million d’euros pour des villes comme Niederanven, Strassen et Walfer­dange. Dans ces villes, le million symbolique sera atteint dans quatre ou cinq ans.

Évidemment, et cela donnera une idée de la marge de négociation possible aux futurs acquéreurs, les biens se vendent, en moyenne et selon une étude du Statec, à des prix 10 % inférieurs à ceux demandés initialement.

Mais ce n’est certainement pas la principale limite. L’une, volontairement écartée par les auteurs du rapport du Statec, est la condition de solvabilité des ménages. « Ils regardent la demande potentielle », souligne M. Kersten. Autrement dit, les auteurs ne se préoccupent pas de la croissance des salaires et par extension de l’économie ; soit le cadre dans lequel évolue le marché de l’immobilier résidentiel, régissant par définition l’offre et la demande.

L’augmentation du nombre d’habitants a accompagné depuis 2000 une croissance économique exceptionnelle au Luxembourg. On pourrait croire que l’on déchante souvent les lendemains de fête. Mais Patrick Kersten ne doute pas que la population va continuer à croître et les prix de l’immobilier résidentiel à augmenter dans des proportions connues ces dernières années.

Et les perspectives de progression des prix ne seront pas bridées par les banques. Raoul Stefanetti, head of credit and business coordination chez Dexia BIL, balaie d’un revers de la main toute méfiance à l’égard de ces chiffres. « Pour nous, le prix absolu importe peu. Il faut que le rapport charges sur revenus, en général un tiers, soit acceptable. Nous demandons également un ratio de fonds propres de 20 %. Ce sont les règles d’or. » Bien sûr, elles sont ajustées au cas par cas en fonction du métier de l’emprunteur et du bien, notamment de sa liquidité. Mais les fonctionnaires, nationaux comme européens, sont plutôt de bons clients.

Le salaire doit être relativisé, l’inflation également. « Un des facteurs prépondérants », selon le banquier luxembourgeois. « Avec une inflation, un peu plus forte que ces dernières années, ce qui paraît plausible au regard de la conjoncture actuelle, une hausse annuelle des prix de l’immobilier de 6 % semble envisageable. À prix constants cependant, les montants paraissent élevés. »

Il est également intéressant de regarder l’attitude du gouvernement et des communes face à l’enjeu. En juin, Marco Schank, ministre du Logement, avait indiqué encourager ces dernières à bâtir. 103 communes se sont donc engagées à faire réaliser près de 48.000 nouvelles habitations. En sus, 12.000 logements supplémentaires devraient être construits grâce aux 800 hectares de terrain dégagés à cet effet.

Car l’offre de terrains et ses conditions d’accès font aussi figure de facteur limitatif. « Souvent l’action du législateur a un effet inverse à ce qu’il souhaite faire initialement. Par exemple, limiter à dessein la taille des lots pour rendre la propriété accessible revient à augmenter le prix de l’are », analyse un professionnel qui a préféré taire son nom. Les baux emphytéotiques promus par le gouvernement participent également à la hausse du foncier. Le ministère a pour mission d’assurer le logement à tout le monde. En restreignant le marché de la sorte, il permet aux moins dotés d’accéder au logement… et à d’autres de le payer plus cher.

Pas un montant farfelu

« Seuls les promoteurs ont le pouvoir d’augmenter l’inventaire disponible, explique Patrick Kersten. À chaque nouvelle réforme, cela devient plus compliqué et plus lent. La complexité administrative augmente. » Cette tendance conduit à une professionnalisation du marché de la promotion. Et cela ne génère pas forcément d’augmentation de l’offre, et encore moins d’acteurs spécialisés. Encore un paramètre, donc, qui pousse à croire en les pronostics du CEO d’AtHome. Prophétie auto-réalisatrice ? Dire que l’immobilier va devenir encore plus cher et plus vite met-il les futurs acquéreurs dans des dispositions favorables pour payer plus pour la même chose, le cas échéant ? Certainement. En tout cas, les professionnels du secteur ont tout intérêt à faire passer le mot.

Et de ce point de vue, les banques, contraintes par des réglementations toujours plus exigeantes en termes de ratio de solvabilité, joueront leur rôle « purificateur ». Si besoin, dans leur intérêt, elles ne permettront pas d’endettement déraisonné. Pour l’heure, on peut raisonnablement envisager que, dès 2020, une bonne partie des résidents sera de facto potentiellement millionnaire.