«S’il y a de l’ombre, il y a donc de la lumière» (Photo: Sven Becker / Archives)

«S’il y a de l’ombre, il y a donc de la lumière» (Photo: Sven Becker / Archives)

Ce mois-ci, en vue des discussions d’automne du G20, il est certainement intéressant de faire le point sur le shadow banking, ainsi que sur la future réglementation qui va à coup sûr émerger.

Pour rappel, la terminologie shadow banking avait été proposée par un responsable de la société américaine de gestion PIMCO en 2007 lors de la conférence de Jackson Hole, Mecque des conférences des banques centrales.

Aujourd’hui on peut quelque peu regretter cette terminologie, même s’il faut reconnaître que c’est un vocable vendeur et qui sonne tout aussi bien dans la presse qu’auprès des politiques. Cette désignation ferait même penser à la «La Guerre des étoiles» et au côté obscur de la force. Mais sur le terrain, ce n’est pas cet aspect maléfique que l’on veut retenir.

Avant de passer au plan d’attaque et de tenter de comprendre où il nous mènera, il est peut être utile de définir le terme de shadow banking.

Le shadow banking, facilitateur de l’économie

Le shadow banking peut être traduit comme étant la banque de l’ombre ou plus précisément les activités bancaires de l’ombre. Cette définition offre deux perspectives. La première, la plus rassurante, sous-entend que s’il y a de l’ombre c’est parce qu’il y a de la lumière. On peut donc prétendre que d’un point de vue règlementaire s’attaquer à ce qui est dans l’ombre signifie que l’on a déjà résolu l’autre face. En effet, la réglementation bancaire post 2009, est, d’un point de vue prudentiel, massive: Bâle III, CRD II/ III et IV, Union Bancaire, banking Review… bref, une série de mesures visant à renforcer fortement la structure capitalistique des banques!

La question posée par les régulateurs est implicitement: qu’en est-il des non-banques? C’est également ici que cette seconde perspective fait son entrée. Que trouve-t-on dans l’ombre? S’agit-il d’activités ou d’entités complètement non règlementées? Définitivement pas! La notion de shadow banking fait référence aux activités de type bancaire, mais non effectuées par une entité licenciée en tant que banque, donc non soumises à une approche prudentielle de ses fonds propres. À savoir que pour tout crédit et selon une clé de pondération plus ou moins complexe, x euros sont à mettre de côté en vue de garantir la bonne fin de la transaction.

En pratique, il ne faut pas perdre de vue que ces activités sont avant tout l’huile que l’on met dans les rouages de l’économie et de la finance. Par exemple, au travers d’opérations de refinancements (REPOs, repurchase agreement) entre les banques et la banque centrale du crédit est octroyé au final aux PMEs et aux États. Ou encore, les fonds de marchés monétaires qui achètent de la dette à très court terme aux entreprises, banques, etc … les aidant ainsi à se financer au jour le jour. 

La titrisation permet également d’élargir l’accès au crédit à un public plus large (personnes privées ou morales); c’est même l’un des moyens utilisés pour relancer la consommation ou le développement des PME (raison pour laquelle la BCE voudrait redynamiser ce marché). Cette notion de shadow banking n’est donc pas forcément diabolique. Un juste équilibre doit être préservé entre une saine réglementation et compréhension et de surcoûts potentiels ôtant tout «business case».

Un peu tout et n’importe quoi

Concrètement, on trouve dans cette notion de shadow banking à peu près tout et n’importe quoi selon l’interprétation plus ou moins large que l’on voudra bien donner à cette activité bancaire. Personnellement, je qualifierai le shadow banking comme étant une activité ou un intermédiaire qui participe à une transformation de maturité entre du court terme et du long terme, ou qui agit sur la liquidité, transformant des actifs liquides en actifs moins liquides (ou le contraire). Ce qui devrait être l’acception la plus commune du terme.

On retrouve dans cette «ombre» les activités de:

  • prêts de titres financiers connus sous le nom de REPOs;
  • réassurance (les assureurs des assureurs);
  • fonds et plus spécifiquement les fonds de marchés monétaires;
  • fonds de type private equity (qui investissent dans des sociétés non cotées);
  • titrisation (permettant d’alléger le bilan des banques en plaçant de la dette sur les marchés)...

On pourrait également y ajouter les institutions publiques ou semi-publiques qui aident au développement économique (prêts aux entreprises, prises de participations…) et qui n’ont bien souvent pas de statut bancaire. Des notions récentes comme le crowdfunding seraient également dans le périmètre de cette ombre et même probablement dans la partie la plus sombre.

Il me semble qu’il faut attirer l’attention sur les éléments suivants:

Insister sur le fait que «non-règlementé» ne signifie pas non-règlementé, mais seulement non réglementé d’un point de vue prudentiel. Deux bons exemples sont l’industrie des fonds, et notamment les activités de private equity, et les fonds de marchés monétaires.

Qui peut décemment prétendre que ces acteurs et activités ne sont pas règlementés au niveau européen? Que ceux qui n’ont jamais entendu parler de UCITS I jusque V et AIFMD lèvent le doigt!

Concernant les REPOs, il n’y a certes pas de réglementation à proprement parler au niveau européen, toutefois la vaste majorité de ces transactions ont comme contrepartie au moins une banque voire une banque centrale qui sont elles par nature soumises à cette réglementation prudentielle. Est-il donc nécessaire d’ajouter une seconde couche? 

La réglementation en développement, le plan d’attaque

Il serait à craindre, après la vague de réglementation que nous connaissons, que ce secteur fasse l’objet d’une nouvelle montée des eaux règlementaire. Mais de ce côté de l’Atlantique, les nouvelles seraient plutôt rassurantes. 

Assurément, si les rapports du FSB (Financial Stability Board) et du G20 pointent une nécessaire mise en ordre du marché, la Commission européenne est quant à elle un peu plus terre à terre.

En 2012 elle a en effet publié un papier vert identifiant les domaines où un effort serait nécessaire, mais surtout, entre les lignes, une argumentation de ce qui en Europe était déjà mis en œuvre. Au niveau mondial, au travers des consultations du FSB et à force d’arguments, plusieurs victoires ont été engrangées par le secteur financier. Parmi celles-ci l’abandon des ambitions d’interdiction des transactions REPOs ou leur soumission à des haircuts mortels… enfin le fait que seules les transactions hors banque seraient visées soulagerait au moins ces dernières. À voir ce qui va émerger du prochain G20.

«Plusieurs victoires pour le secteur financier» 

Demeure aujourd’hui dans le périmètre de cette réglementation du «fine tuning» de certaines règles déjà émises ainsi que la finalisation de la réglementation des fonds de marchés monétaires (gros débat) et l’introduction d’un régime de transparence des opérations de prêt de titres (REPOs, securities financing…). Naturellement il vaut sans doute mieux ne pas être un fonds monétaire de nos jours si l’on souhaite passer des nuits calmes, les taux sont ultra bas et une épée de Damoclès leur pend au-dessus de la tête sous forme d’une réglementation (avec un peu de chance et de savoir-faire, on pourrait rester du bon côté de la force). 

Quant au projet de reporting des transactions sur prêt de titres, on ne va pas sauter de joie! Mais c’est mieux qu’une interdiction ou une mise en place de haircuts improbables. Le seul problème étant que le projet du FSB repose sur le succès d’Emir et l’introduction de Trade Repositories. Or, on sait que l’avalanche de données fût himalayesque et que ce ne sera qu’une fraction des informations à rapporter sous cette nouvelle réglementation, il faut en plus noter que la plupart des données seraient totalement inutiles (quel est l’intérêt de reporter des données où il y a zéro risque et sur des transactions qui sont garanties?).

Au final nous pourrions nous demander si ce vaste secteur ne pourrait pas être régulé indirectement au profit des banques sous la logique d’activités et règles identiques. A mon avis, ce serait une erreur, car les rôles joués sont complémentaires et, au final, les banques, tout comme le reste des acteurs économiques, auront sans doute dans une réglementation stricte, plus à y perdre qu’à y gagner.