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«Fortis correspondait au modèle que nous recherchions»,<br />explique Alain Papiasse, ici en grande discussion avec Luc Frieden,<br />sous le regard de Carlo Thill. (Photo: Olivier Minaire/Wide) 

«Tout va bien. Le boulot, la santé, l’amour. Commencez à vous inquiéter». S’il existait un prix de la publicité la plus prémonitoire, la campagne de Fortis Banque Luxembourg, publiée dans nos colonnes le mois dernier, gagnerait haut la main… «Le genre de mauvaise campagne au mauvais moment», nous concédait Carlo Thill, président du Conseil d’administration de la banque, alors que son établissement venait d’être sauvé des eaux par une intervention étatique, à peine 72 heures avant que BNP Paribas n’entre en jeu.

En l’espace de quelques jours, le paysage bancaire au Luxembourg a donc profondément été bouleversé. Et le choc a été d’autant plus remarquable qu’il a concerné deux monuments historiques de la Place financière, Fortis Banque Luxembourg et Dexia BIL. Outre leur poids historique loin d’être anecdotique (89 ans pour la première et 152 ans pour la seconde), le poids économique est également sans pareil, les deux groupes totalisant quelque 6.500 employés au Grand-Duché, autant qu’ArcelorMittal. Et si la déroute des trois banques islandaises Glitnir, Landsbanki et surtout Kaupthing Bank, ex-fleurons d’un Etat en décomposition, a peut-être suscité une émotion moindre, elle ne s’en est pas moins apparentée à une réplique tellurique du séisme initial. A la différence près, et non des moindres, que ni Fortis Banque Luxembourg ni Dexia BIL n’ont été rayées de la carte. Une issue dont évidemment il est bien difficile d’en imaginer les conséquences réelles si elle avait dû avoir lieu.

L’occasion fait le larron

 «En dépit du stress ambiant et des moments d’incertitude, la volonté du gouvernement et des acteurs concernés a toujours été très claire: assurer la solidité du système bancaire européen et, donc, luxembourgeois, faire en sorte que les citoyens puissent avoir confiance dans leurs banques, que leurs dépôts soient assurés et que les nombreux emplois dans le secteur bancaire soient garantis», a expliqué le ministre luxembourgeois du Trésor et du Budget, Luc Frieden, le 6 octobre dernier, lors de la révélation du plan de sauvetage de Fortis Banque Luxembourg, reprise par le groupe BNP Paribas.

Une opération décidée au cours du week-end précédent, et qui faisait suite à une première intervention de l’Etat, à hauteur de 2,5 milliards d’euros, une semaine plus tôt (correspondant à une prise de participation de 49% dans le capital de la banque luxembourgeoise), dans le cadre d’un vaste plan visant l’ensemble du groupe au Benelux et portant sur un montant total de 11,2 milliards d’euros.

Cela faisait un moment que BNP Paribas lorgnait avec appétit sur Fortis, en Belgique et au Luxembourg, dont le modèle est particulièrement complémentaire et le réseau d’agences pour le moins attirant (Près de 1.100 sur les deux pays pour 3,3 millions de clients). L’occasion a fini par faire le larron. «C’est un dossier que nous connaissions bien, reconnaît Alain Papiasse, membre du comité exécutif du groupe BNP Paribas, en charge de l’asset management et des asset services, mais aussi président du conseil d’administration de BNP Paribas Luxembourg. Nous savons combien Fortis Banque Luxembourg est une maison qui, dans le cadre de ses activités opérationnelles, fonctionnait très bien, même si sa taille et son rating ne sont pas les nôtres. Quand nous avons constaté à quel point la situation était critique pour Fortis, nous nous sommes positionnés en considérant que cela complèterait parfaitement les activités de notre groupe en termes géographiques. Avec Carlo Thill, nous sommes arrivés à la conclusion que nous avions des cultures d’entreprise très proches».

Et d’expliquer, dans la foulée, que le volet industriel de l’opération a constitué l’élément clé des réflexions. «Quels que soient les prix, si la vision industrielle n’est pas cohérente à la base, on ne peut pas y arriver. A ce titre, il convient de remercier l’ensemble du management de Fortis Banque Luxembourg».

Et c’est ainsi que va naître le plus gros groupe bancaire de la Place. Et c’est ainsi que va disparaître tout aussi radicalement le nom de Fortis et le «retour en grâce» de BGL, dont le nom sera désormais associé à celui de BNP Paribas, après avoir disparu de la circulation pendant près de trois ans.

Dans le Top 3 mondial de S&P

On se souvient qu’en 2000, le groupe belgonéerlandais avait pris le contrôle à 97,73% de la Banque Générale du Luxembourg, établissement fondé en septembre 1919 et coté en Bourse depuis 1984. Fin 2005, la page avait été «définitivement» tournée, la BGL devenant alors Fortis Banque Luxembourg, nantie de la certitude que l’identification à un groupe internationalement reconnu constituait une formidable opportunité de développement.

En 2000, la banque, qui employait 2.731 personnes au Grand-Duché, avait réalisé un résultat net consolidé de 8,3 milliards de francs luxembourgeois (205,2 millions d’euros) pour une somme de bilans de 1.433 milliards de francs (35,5 milliards d’euros). Fin 2007, son résultat net s’est élevé à 676,8 millions d’euros pour une somme de bilans de 60 milliards d’euros et 2.608 employés.

Dans le même espace temps, BNP Paribas a doublé ses effectifs, passant de 80.000 collaborateurs au niveau mondial (dont 55.000 en France) à 170.000, dont 130.000 en Europe.

Si BNP Paribas a pu se permettre une telle opération, qui sera assez limitée quant à l’engagement en cash (5,5 milliards sur les 14,5 milliards que représente l’ensemble de l’opération en Belgique et au Luxembourg), c’est avant tout en raison de sa bonne santé générale, assortie du plus haut rating de Standard & Poor’s (AA+), seulement partagé, au monde, par Wells Fargo et

Rabobank, et sa fidélité à un business model inchangé ces dernières années. «Nous avons bien sûr souffert de la crise des marchés financiers, comme tout le monde, mais nous bénéficions d’un effet confiance qui nous a permis de maintenir des flux en très forte hausse, analyse M. Papiasse. Depuis un an, nous sommes la seule banque qui a dit qu’elle ne ferait pas d’augmentation de capital et qui n’en a effectivement pas fait. Nous ne tombons pas dans les effets de mode, ce qui explique pourquoi nous n’avons eu aucun trimestre négatif dans nos résultats. Dans notre business model, la banque de détail représente entre 45 et 55% de nos activités. Nous avons donc un socle de revenus récurrents assez important». Une situation qui lui a permis de s’offrir, il y a deux ans, BNL Banca Commerciale en Italie, et cet automne, Fortis au Belux.

Gaston Reinesch à la présidence?

Aux côtés du groupe français, l’Etat luxembourgeois joue évidemment un rôle clé, avec une minorité de blocage de 33% (supérieure, d’ailleurs, à celle détenue par l’Etat belge – 25% – dans Fortis en Belgique), qu’il s’engage à conserver, à concurrence de 50%, pendant un an, et un représentant qui sera nommé à la tête du conseil d’administration – en principe Gaston Reinesch, actuel administrateur général au ministère des Finances, mais aussi vice-président du Conseil d’administration de la BCEE, une fonction qu’il devra abandonner –, la vice-présidence étant destinée à un représentant de BNP Paribas que l’on peut supposer être M. Papiasse.

D’ici à la réalisation concrète du deal, qui devrait être finalisé pour le début 2009, la nouvelle équipe va travailler sur les plans de développement métier et l’établissement des équipes communes, sachant que très peu d’activités des deux banques se recoupent à la base. «Nous allons voir les points forts de chacun et les regrouper intelligemment, prévient M. Papiasse. De là découlera la structure définitive du tout nouvel ensemble, étant entendu que nous ne garderons pas deux banques au Luxembourg. Cela prendra un peu de temps».

Mais le très faible empiètement des activités de ces deux banques devrait permettre à cette intégration de se faire sans trop de casse. «Le personnel de Fortis doit avoir confiance dans le futur de sa banque», a assuré Baudoin Prot, CEO du groupe BNP Paribas, lors de la présentation de l’opération à Bruxelles le 6 octobre dernier. Du reste, de l’autre côté de la frontière, contrairement au Luxembourg, le nom de Fortis ne disparaîtra pas du paysage.

Dans le même temps, l’autre géant bancaire du pays, héritier de la Banque Internationale à Luxembourg, est resté suspendu au sort réservé à sa maison mère, le groupe franco-belge Dexia, victime d’un grave problème de refinancement lorsque le marché interbancaire s’est totalement asséché, plus personne ne voulant prêter à personne… «Comportements irrationnels» La première intervention combinée des Etats français, belge et luxembourgeois, fin septembre, avait porté sur une augmentation de capital d’un montant global de 6,4 milliards d’euros (dont 376 millions apportés par le seul Luxembourg). Les spéculations et les discussions ont ensuite été menées bon train dans l’éventualité d’une opération ressemblant à celle de Fortis. La Société Générale, voire ING, faisaient figure de favorites… Et BNP Paribas?

«Fortis correspondait au modèle que nous recherchions, explique Alain Papiasse. Nous nous sommes uniquement concentrés sur ce dossier. On n’achète pas une banque comme on avale un petit four».

Au final, les trois gouvernements n’étaient parvenus, le 9 octobre, qu’à une solution intermédiaire, consistant en une garantie inconditionnelle, jusqu’au 31 octobre 2009 (avec une option pour une année supplémentaire en cas de besoin), de tous les financements interbancaires et institutionnels, ainsi que les nouveaux financements obligataires à destination d’investisseurs institutionnels, de maturité maximale de trois ans. Une garantie qui donne l’assurance aux clients que Dexia disposera du cash nécessaire pour faire face à ses engagements.

La Banque Internationale à Luxembourg, alors dirigée par André Roelants, était devenue Dexia BIL en mai 2000, quelques mois après une OPE menée par le groupe Dexia sur la BIL, opération au terme de laquelle elle avait acquis 99,3% du capital. Son bénéfice net part de groupe était, en 2000, de 246,1 millions d’euros pour un total de bilan de 42,8 milliards d’euros. Impossible, en revanche, de détailler le résultat 2007 de Dexia BIL, le groupe ne communiquant plus que par entités nationales. Au dernier pointage, le nombre d’employés était de 2509 (au 30/09) pour une somme de bilans de 62,22 milliards (au 31/12/07).

L’action Dexia, elle, qui cotait encore onze euros début septembre 2008, était tombée à sept euros le lundi 29 septembre, à la veille de l’annonce de l’injection des premiers capitaux, et même l’annonce des garanties étatiques n’a pas été en mesure d’enrayer la chute d’un cours tombé à 5,30 euros le 15 octobre. A l’heure où nous clôturions cette édition, l’incertitude sur Dexia et Dexia BIL demeurait donc entière. Et l’impossibilité d’obtenir un entretien avec Frank Wagener, le président du comité de direction, témoigne de l’agitation constante qui régnait autour de la banque.

«Je n’ai jamais compris ces comportement irrationnels, commente Luc Frieden. Il suffit parfois de rumeurs, mêmes fausses, pour influer sur les cours. Le fait que nous soyons entrés dans le capital de Dexia BIL est un signe que nous croyons dans ce projet. Les marchés le réaliseront plus tard et les cours de bourse finiront par refléter la santé des établissements financiers». Un point de vue qui tient davantage, aujourd’hui, du voeu pieux.

 

***** ISLANDAISES - En sursis

Début octobre, les trois filiales bancaires islandaises au Luxembourg, Kaupthing, Landsbanki et Glitnir – qui comptent respectivement 270, 147 et 42 employés – étaient tour à tour placées en sursis de paiement par la CSSF.

Au cours de cette situation transitoire, les administrateurs désignés par le Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg auront pour mission de contrôler la gestion du patrimoine des établissements concernés, puis de déterminer dans quelle mesure un redressement ou une restructuration est possible. Les trois maisons mères scandinaves qui avaient naguère profité du crédit facile pour investir massivement à l’étranger – et accru de ce fait leur dépendance extérieure – ont été parallèlement nationalisées d’urgence, par un Etat islandais lui-même en faillite.

Pour les trois filiales luxembourgeoises, l’incertitude demeure, quant à la poursuite de leurs activités, ou a contrario, leur fermeture pure et simple.

Même inquiétude chez les clients de Kaupthing Bank Luxembourg, qui compte une branche en Belgique et en Suisse. Dès avril dernier, la banque avait en effet lancé un produit d’épargne en ligne à taux attractifs, Kaupthing Edge, dont les avoirs ont été gelés jusqu’à nouvel ordre. Le véhicule étant soumis au contrôle de la CSSF, il tombe sous le coup de la loi luxembourgeoise, au grand dam des souscripteurs belges; la garantie de l’Etat grand-ducal, en cas de défaut de remboursement de la banque, ne se monterait pour le moment qu’à 20.000 euros, contre 50.000 euros en Belgique.

M. A.

 

***** EFFETS COLLATERAUX - En douce

La crise du «subprime» aura précipité les mouvements de consolidation et d’écrémage, dans le secteur bancaire allemand notamment.

Certaines filiales de banques étrangères envisageaient déjà des compressions de personnel, bien avant les récents emballements financiers. Le désordre ambiant des marchés pourrait les inciter à accélérer leurs plans sociaux. En toute discrétion, bien évidemment.

Tout d’abord avec le récent rachat de Dresdner Bank par la Commerzbank, en septembre dernier; la filiale luxembourgeoise de cette première (366 employés) devrait très certainement faire les frais de cette fusion.

Acquisition, ensuite, de Postbank par Deutsche Bank, en septembre dernier. Deutsche Postbank International, la filiale au Luxembourg de la banque postale allemande, occupe un effectif de 140 employés, qui devrait être lui aussi réduit. Rachat aussi, en 2005, du Bavarois HVB par l’Italien Unicredit, qui peine à finaliser son augmentation de capital de plus de six milliards d’euros. Une fusion des deux entités au niveau luxembourgeois pourrait être finalisée au printemps 2009, et toucher les 350 personnes travaillant à HVB Banque Luxembourg. WestLB ensuite, qui compte quelque 160 employés au Luxembourg, dont la maison mère de Dusseldorf fait l’objet d’une enquête approfondie de la Commission européenne sur les aides d’État. Sous la pression de cette dernière, l’Etat allemand a mis en place un plan de restructuration de WestLB, qui par ailleurs recherche un partenaire. Des discussions seraient en cours avec Dekabank.

M. A.