Ces changements soudains de volatilité sont désormais un facteur structurel, observe Alexandre Cegarra. (Photo: SGBT)

Ces changements soudains de volatilité sont désormais un facteur structurel, observe Alexandre Cegarra. (Photo: SGBT)

La volatilité a toujours été une composante des marchés financiers, qui alternent phases de volatilité faible et régimes de volatilité élevée. Depuis de nombreux mois néanmoins, on assiste à l’émergence d’un phénomène marquant: les changements de régimes de volatilité sont de plus en plus brutaux.

Indice de la volatilité des actions européennes (indice V2X) de mars 2011 à mars 2016 (source: Bloomberg)

Les théories de marché classiques ont longtemps semblé pouvoir expliquer le fonctionnement des marchés financiers, mais il arrive également que les investisseurs puissent se comporter de façon arbitraire, se laissant guider par leurs émotions. Dès la fin des années 1960, des chercheurs se sont penchés sur la question et ont alors avancé la notion de «finance comportementale» pour justifier les anomalies de marché inexpliquées par les théories classiques.

Parmi les différents biais comportementaux existants, deux semblent expliquer en partie les violentes baisses observées sur les marchés en août 2015 ou en janvier 2016 entre autres: «l’instinct grégaire» et le «manque de maîtrise de soi».

L’instinct grégaire pousse l’investisseur à imiter les autres, quitte à abandonner toute réflexion objective, d’une part convaincu qu’un si grand nombre de personnes ne peut se tromper, et d’autre part par pression sociale. L’investisseur décide alors de vendre ses positions car les autres vendent également, entraînant le marché dans une spirale baissière.

L’investisseur peut aussi faire preuve de manque de maîtrise lorsque les marchés connaissent une agitation violente. Dans ce cas, il n’agit pas en fonction de ses intérêts de long terme, les délaissant au profit d’une satisfaction immédiate. Il cherche par exemple à se rassurer en vendant ses actifs lorsque les marchés baissent pour ne plus perdre d’argent à très court terme.

On comprend comment ces facteurs psychologiques amplifient fréquemment les mouvements de marchés, mais il ne faut pas non plus négliger le fait que des éléments techniques s’y ajoutent. Comme lors de chaque chute des marchés, il a d’ailleurs beaucoup été question depuis août 2015 du rôle des fonds d’investissement dans les mouvements baissiers.

Les processus d’investissement des fonds ont pour objectif de produire une performance donnée, mais cela s’accompagne généralement d’un deuxième objectif, exprimé en termes de volatilité. Ainsi, dans une situation de volatilité extrême, les gérants se retrouvent contraints à réduire leur risque, et donc à vendre une partie de leurs positions pour diminuer leur exposition au marché.

Prenons l’exemple des fonds «risk parity», gérés selon une approche où chaque classe d’actifs doit contribuer de manière équivalente au risque global du fonds, il est très probable qu’ils aient fortement coupé leurs positions actions pour maintenir leurs cibles de volatilité. Pour autant, on estime que ces fonds détiennent entre 100 et 150 milliards de dollars d’actions, donc leur poids relativement au marché ne permet pas de les tenir pour seuls responsables de l’augmentation de la volatilité.

On peut aussi évoquer les mécanismes de «stop loss» mis en œuvre par de nombreux gérants: lorsqu’ils investissent dans un titre, ils fixent un prix plancher sous lequel la position devra être vendue, prix correspondant à la perte maximale que le gérant peut tolérer. Dans un mouvement de marché comme celui du mois de janvier 2016, ces «stop losses» peuvent avoir un effet boule de neige en provoquant toujours plus de ventes indiscriminées.

Ces accusations ne sont pas nouvelles puisque déjà le krach de 1987 avait été en partie expliqué par le rôle des systèmes informatiques ayant programmé des ventes automatiques en deçà d’un niveau de marché prédéfini. Il est toutefois difficile de chiffrer l’impact réel des stratégies de réduction des risques sur la baisse des marchés et l’accroissement soudain de la volatilité.

Les fonds pouvant avoir des positions «short» (vente à découvert) sont aussi régulièrement pointés du doigt car, par ce biais, ils profitent de la baisse des marchés. S’il est clair que beaucoup de fonds ont sensiblement augmenté leurs positions «short» en janvier, là encore, leur taille cumulée n’en fait pas les coupables principaux.

Il est en revanche une catégorie d’acteurs du marché plus discrète et pourtant considérable qui contribue sûrement à la chute des marchés depuis plusieurs mois, et donc indirectement à ce régime de volatilité accrue: les fonds souverains, en particulier ceux de la Norvège, de l’Arabie saoudite ou du Koweït.

En mars 2015, le Sovereign Wealth Fund Institute évaluait la taille des actifs gérés par les fonds souverains à 7.500 milliards de dollars, dont 4.290 milliards provenant des revenus du secteur pétrolier. La chute spectaculaire du prix du pétrole réduit les avoirs de ces fonds qui sont obligés d’adopter des stratégies conservatrices et de vendre une partie de leurs actifs. Ceci a des conséquences réelles sur le marché actions, puisque ces fonds vendent en priorité leurs positions à la fois les plus risquées et les plus liquides: les actions. 

Il est délicat d’estimer de manière chiffrée l’effet qu’ont tous ces phénomènes sur les changements brutaux des régimes de volatilité que l’on voit depuis plusieurs mois. Il est cependant certain qu’ils s’expliquent par cet ensemble de facteurs psychologiques et techniques, ainsi que par l’effet d’entraînement que les uns ont sur les autres. Quoi qu’il en soit, ces changements soudains de volatilité sont désormais un facteur structurel. Il est important d’en tenir compte dans la gestion de son portefeuille pour éviter de tomber dans les biais psychologiques exposés précédemment. L’analyse fondamentale demeure un outil primordial pour prendre le recul nécessaire face aux errances du marché.