Carlo Thelen: «Gardons le cap face au risque de repli, de retour au protectionnisme». (Photo: Sven Becker / Archives)

Carlo Thelen: «Gardons le cap face au risque de repli, de retour au protectionnisme». (Photo: Sven Becker / Archives)

Le mois dernier, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a augmenté ses prévisions de croissance du commerce mondial de 2,4 à 3,6% pour 2017, soit presque trois fois plus qu’en 2016. Les grands blocs économiques, dont également l’Union européenne, en profitent. En même temps, l’OMC freine l’optimisme en soulignant que plusieurs facteurs de risques menacent l’économie mondiale. L’organisation cite les risques géopolitiques, les catastrophes naturelles, mais aussi les tendances protectionnistes qui constituent, à mon avis, un grand danger pour notre société, pour le commerce international, pour le marché intérieur européen et avant tout pour des économies ouvertes comme celle du Grand-Duché, qui porte l’internationalisation et l’ouverture vers l’extérieur dans son ADN. 

La notion de marché unique pas assez ancrée

Le coefficient d’ouverture du Luxembourg, c’est-à-dire la somme de ses exportations et de ses importations par rapport au PIB, est de 176%, faisant du Luxembourg l’État membre le plus ouvert de l’UE, dont la moyenne s’élève à 17% seulement. L’année dernière, 83,3% de la croissance économique luxembourgeoise était imputable au commerce extérieur. Générant une grande partie de la richesse nationale, il contribue également à la cohésion sociale et au financement de l’État-providence généreux dont jouissent les Luxembourgeois aujourd’hui. Le Luxembourg a donc tout intérêt à continuer à défendre ses valeurs et à le promouvoir à l’international, et tout particulièrement au niveau européen.

Commençons par l’Union européenne, qui est la destination de 82% de nos exportations et terre d’origine de 87% de nos importations. Malgré les progrès qui ont été réalisés pour rendre opérationnel le marché unique, son potentiel reste toujours sous-exploité. Selon le Parlement européen, le manque à gagner se chiffrerait à quelque 1.600 milliards d’euros, l’équivalent du PIB de l’Italie. Un meilleur alignement des marchés européens demande donc des efforts supplémentaires plus conséquents et plus ambitieux.

En discutant avec nos entreprises, nous découvrons régulièrement des failles au niveau du marché unique, ou des barrières qui freinent le libre-échange. Pour avancer, il faudra mettre plus d’accent sur la reconnaissance mutuelle à travers tous les domaines de coopération intraeuropéenne. En termes d’échanges de biens, le principe de reconnaissance mutuelle prévoit par exemple que chaque produit — fabriqué ou commercialisé légalement dans un État membre — peut en principe être vendu dans tous les autres États membres de l’Union, même lorsqu’il ne satisfait pas entièrement aux règles techniques de ces derniers.

Il ne faut pas négliger le bon fonctionnement des marchés de services.

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Ce principe ne se matérialise cependant trop souvent pas en réalité, du fait que certains États ne font pas confiance, du fait qu’ils ne connaissent pas les modalités du principe ou en raison d’un dialogue trop lent entre les autorités. Or, le respect de la reconnaissance mutuelle importe notamment pour les PME et les TPE, qui ne peuvent que difficilement surmonter ce type de barrières, faute de temps et de moyens.

Il faut donc penser aux intérêts des PME, le fameux «think small first». Par ailleurs, n’oublions pas les services! Alors que les discussions actuelles sont fortement axées sur l’industrie manufacturière, avec au cœur la troisième révolution industrielle, il ne faut pas négliger le bon fonctionnement des marchés de services. Au vu de la vitesse foudroyante de la «servicification» et de la digitalisation, une stratégie ambitieuse en matière de services à l’échelle européenne est nécessaire. Pas besoin de souligner l’importance des services pour l’économie luxembourgeoise. Mais si leur valeur ajoutée brute connaissait encore une croissance moyenne de l’ordre de 6% de 1996 à 2000, elle est progressivement passée à 2,6% en moyenne sur la période 2011-2015. Une évolution qui témoigne du succès des premières années du marché intérieur, d’une part, mais de la difficulté de l’approfondir, d’autre part.

Le système multilatéral toujours remis en doute

Si certains domaines demandent plus d’approfondissement, je constate avec beaucoup plus d’inquiétude que la place des valeurs du libre-échange n’est plus la même dans certaines économies occidentales. Un élément, qui a été souvent remis en doute dans ce contexte et qui est au cœur du libre-échange international, est le système multilatéral. Et cette récente réticence est accompagnée par une tendance moins récente, à savoir la montée en puissance des accords préférentiels, donc bilatéraux ou plurilatéraux.

S’il est clair que les décisions multilatérales prennent plus de temps qu’une négociation bilatérale, le schéma multilatéral constitue le meilleur rempart contre la résurgence du protectionnisme et le meilleur cadre pour élaborer une approche cohérente et d’ensemble permettant de s’atteler aux défis du futur: la digitalisation, l’économie circulaire, le développement durable, la croissance qualitative, la propriété intellectuelle ou encore la protection des investissements et les règlements des différends. D’où aussi le besoin d’une cour d’investissements multilatérale.

Au vu des tendances ardues d’une part, et de l’importance du libre-échange pour le Luxembourg, que faire pour multiplier les bénéfices du libre-échange pour le Luxembourg?

La CC plaide tout d’abord pour une politique commerciale européenne ambitieuse assurant un «level playing field» et la réciprocité des engagements, tout en maintenant une position ferme vis-à-vis des pratiques commerciales discriminatoires pernicieuses.

Je me félicite de la décision récente de la Commission de publier désormais tous ses mandats de négociation et de la mise en place prochaine d’un groupe d’experts pour les accords commerciaux, qui pourra guider la Commission dans la conception et l’application des accords. J’espère que la Chambre de commerce pourra contribuer à ces réflexions par le biais de Eurochambres, comme nous l’avons pu faire dans le cadre du TTIP Advisory Group.

Soutenir l’internationalisation

Si l’Union doit poser les jalons pour assurer le bon fonctionnement du marché unique et de ses quatre libertés fondamentales, il est évident que les États membres doivent aussi faire leurs devoirs à domicile. À cet égard, le Luxembourg devra également, pour revenir sur le commerce en tant que tel, continuer à promouvoir l’internationalisation des entreprises de petite taille, sachant qu’en 2015, seules 2.400 des 36.000 entreprises peuvent être qualifiées d’exportatrices et que 56% — donc plus de la moitié — des exportations luxembourgeoises sont réalisées par 10 grandes entreprises.

Dans ce contexte, je ne peux que saluer les efforts et l’engagement du ministère des Affaires étrangères et européennes pour développer la diplomatie économique. Sa stratégie est très importante pour soutenir et assister les entreprises luxembourgeoises et notamment les plus petites dans leur ambition d’internationalisation. Il en est de même de la récente réforme de la promotion économique implémentée par le ministère de l’Économie avec l’appui actif de la Chambre de commerce.

Les trois messages à retenir sont donc:

  1. Qui dit libre-échange dit Luxembourg, car il est ancré dans notre ADN et dans notre business model. Le Luxembourg peut ainsi servir d’exemple pour toute économie dont le marché domestique joue un rôle proportionnellement moins important, et je pense que ceci sera le cas finalement pour tous les blocs économiques du monde.
  2. Gardons le cap face au risque de repli, de retour au protectionnisme. C’est un exercice difficile, de longue haleine et avec des revers possibles, mais il est indispensable.
  3. Nous devons tous écouter et agir par rapport aux craintes exprimées pour préserver ou rétablir, pour certains, la légitimité du libre-échange.

C’est dans cet état d’esprit que la Chambre de commerce a publié un document intitulé «Quo vadis libre-échange? Garder le cap face au risque de repli» en mai et que nous avons organisé la conférence de haut niveau «Le libre-échange dans une nouvelle ère de la globalisation» [1] en date du 25 septembre afin de rappeler les bienfaits du libre-échange tout en expliquant aux PME luxembourgeoises, mais aussi à la société civile, les évolutions récentes en matière de politique commerciale et les défis afférents. De par son étroite proximité avec les entreprises luxembourgeoises, la Chambre de commerce est le partenaire idéal pour véhiculer ce type d’informations et de messages. Le 25 septembre n’était sans doute pas le dernier rendez-vous à cette fin. Le Brexit devrait nous préoccuper jusqu’en mars 2019 et dans ce contexte, nous vous inviterons l’année prochaine pour débattre avec des experts «high-level» de ce sujet phare pour l’Europe. Une invitation plus détaillée suivra.

[1] Consultez notre communiqué de presse ou lisez l’édition décembre du Merkur pour avoir plus de détails sur la conférence.

Voir l’article sur le blog de Carlo Thelen.