«La montée des prix s’explique par une demande qui croît de façon permanente» Marco Schank (ministre du Logement) (Photo: Olivier Minaire)

«La montée des prix s’explique par une demande qui croît de façon permanente» Marco Schank (ministre du Logement) (Photo: Olivier Minaire)

La hausse des prix des maisons et des appartements tient à des ressorts conjoncturels et structurels, mais il ne s’agit en aucun cas d’une bulle, selon le ministre du Logement. 

Un néophyte de l’omnipotente plate-forme athome. lu pourrait croire que vendeurs et acquéreurs de biens immobiliers au Luxembourg marchent sur la tête. Constater que des maisons de quartiers industriels dans le sud du pays se vendent régulièrement en quelques jours pour plus de 600.000 euros pousserait à croire en l’existence d’une bulle. Mais le niveau élevé des prix de l’immobilier résidentiel au Luxembourg peut s’expliquer par la simple loi des marchés, à quelques spécificités près.

Quand les biens se raréfient, les prix augmentent. Pourtant, alors que l’offre est censée croître mécaniquement, les propriétaires souhaitant dégager un rendement de la vente, pour que le prix converge à moyen terme vers un prix d’équilibre, des résistances bloquent le mécanisme d’ajustement.
Il est tout d’abord un principe fondamental: les prix de l’immobilier sont corrélés à la conjoncture économique. Comme l’explique Marco Schank, ministre du Logement, «les prix avaient chuté de 5% au début de 2009 (pendant la crise, ndlr.), mais à cause d’un certain attentisme, le marché a quasiment cessé d’exister. En 2010, les prix ont de nouveau augmenté et les ventes d’appartements ont explosé.»

Au cours du 4e trimestre, les volumes de ventes de biens immobiliers ont augmenté de 51,7% par rapport au trimestre précédent, représentant une croissance de 51,2% au niveau financier, le montant des transactions passant de 859 millions d’euros à 1,299 milliard d’euros.

On aurait pu croire cette augmentation saisonnière et conjoncturelle, puisque les volumes de ventes augmentent traditionnellement au dernier trimestre. Mais la disparition combinée, initialement prévue pour janvier 2011, de la bonification d’intérêt (de 75 points de base par enfant à charge par rapport au taux de l’emprunt) et du Bëllegen Akt, c’est-à-dire d’un acte notarié réduit permettant une économie potentielle de 20.000 euros pour les couples primo-accédants, a favorisé une augmentation notable de la demande à offre équivalente, et donc alimenté l’inflation.

De même, certaines externalités ont eu un impact sur l’évolution du marché immobilier résidentiel. A commencer, justement, par la volonté, dans un contexte de sortie de crise, de se couvrir de l’inflation et des fluctuations du marché des capitaux; ce que permet théoriquement la pierre en tant que classe d’actif. L’anticipation de la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne et, par conséquent, de celle des taux d’intérêt du crédit immobilier, a également précipité les indécis vers la voie de l’acqui­sition pour limiter le coût de l’emprunt.

Pression démographique vs surface limitée

Dans ce contexte de nervosité, une vente sur­évaluée en appelle souvent d’autres, d’autant plus que les agences immobilières rémunérées proportionnellement (entre 3% et 5% du prix de vente, selon des estimations faites par la CLC) ne verront aucun intérêt à faire baisser une annonce sur un marché où la demande est bien plus forte que l’offre. Les prix ont donc assimilé les anticipations erronées du quatrième trimestre 2010. Erronées, puisque bonification d’intérêt et Bëllegen Akt sont finalement restés en application, même si, dans le dernier cas, les conditions d’attribution ont été modifiées en y ajoutant des critères écologiques.

Julien Licheron, coordinateur de l’Observatoire de l’Habitat, confirme que «les ventes se sont bien tenues, aussi bien sur les maisons que sur les appartements ou les terrains à bâtir». En 2011, le coût moyen du mètre carré pour les ventes d’appartements construits (c’est-à-dire anciens) est de 3.750 euros pour l’ensemble du pays et de 4.400 euros dans la capitale. Les prix de vente des maisons ne sont eux pas recensés par l’Observatoire, du fait d’un manque d’harmonisation des actes notariés.

Toutefois, les prix annoncés à la vente ont augmenté de 5,46% en 2010. Ce qui laisse également à penser que l’écart entre le prix annoncé et le prix effectif de vente s’est réduit substantiellement. La chute de l’offre de maisons, de 16,45% en 2010, traduit au moins partiellement cette augmentation.
Mais l’essentiel de l’explication réside dans la pression démographique exercée sur une offre de logements croissant à un rythme moindre. En effet, selon Marco Schank, «la montée des prix est d’abord due à une demande qui augmente de façon permanente, en raison d’une population toujours plus importante». Le Luxembourg connaît une courbe de croissance démographique parmi les plus aiguës au sein de l’Union européenne. Selon le ministre, «le Luxembourg s’est enrichi d’environ 10.000 habitants en 2010, dont seulement 2.000 de solde naturel». Depuis 1990, la population a augmenté de 33%, et de 48% depuis 1970.

Face à cette tendance lourde, la surface limitée du territoire luxembourgeois et la saturation des infrastructures de transport jouent un rôle important dans le maintien des prix. Daniel Miltgen, président du Fonds pour le développement du logement et de l’habitat (FDL), témoigne: «Quand j’ai pris mes fonctions au Fonds, en 1989, le foncier comptait pour environ 10% du prix de la vente. Aujourd’hui, il en représente 60%. La raison est simple. Le terrain est le seul bien au monde qui ne se produit pas.»

Face à cette pression, des traitements «en moyenne assez élevés» constituent un facteur explicatif. Marco Schank poursuit: «Aussi, les prix immobiliers ne sont pas des prix calculés, mais fonction de ce que les gens sont disposés à payer.» A Luxembourg, le prix est maintenu élevé par une demande permanente et fidèle, principalement entretenue par les institutions européennes et les banques, ces dernières éprouvant moins de difficultés à rehausser les salaires qu’une PME. Julien Licheron le confirme, «la population de la capitale est plus aisée et tant que des clients seront prêts à accepter ces prix, ils continueront d’être calqués sur les revenus des ménages». Personne ne considère donc que l’immobilier résidentiel luxembourgeois évolue dans une bulle.

Alors, outre une crise, seule la capacité de financement des banques semble pouvoir arrêter la hausse des prix immobiliers. Puisque tout ou presque part en l’état, il reviendra aux banques de fixer des limites aux emprunts. Quand les débiteurs auront disparu du marché, le marché reviendra sans nul doute à eux. C’est en tout cas l’avis du ministre: «Je ne suis pas économiste, mais personne ne sait ce qui va se passer au niveau des banques et de leur politique d’attribution des crédits.»

Mais toute la population résidente ne peut suivre le train d’enfer alimenté par le secteur financier, la fonction publique luxembourgeoise et les institutions européennes, en particulier dans la capitale. Les prix ont déjà poussé de nombreux ménages en dehors de la ville, les forçant à dissocier le lieu d’habitation de celui du travail et ajoutant de facto de nouvelles congestions sur les réseaux de transport.

L’offre en logements de Luxembourg s’assèche du fait d’un stock important laissé vacant, ainsi que de multiples conversions d’espace habitables en bureaux. Si la proposition de loi de Ben Fayot sera bientôt soumise à la Chambre des députés pour combler ce vide juridique, la fracture socio-économique continue de se creuser autour de l’accès à la propriété.

Il n’est pas anodin que le gouvernement ait fait du logement l’une de ses priorités à travers le pacte éponyme. «Son ambition est d’augmenter l’offre de logements dans les plus brefs délais. Pour ce faire, il encourage les communes à favoriser les constructions», prérogative de cet échelon administratif, comme le confie le ministre. Ainsi 103 communes se sont-elles engagées à faire réaliser, sur leur territoire, près de 48.000 nouvelles habitations. Parallè­lement, 12.000 autres logements, pour 27.000 habitants, devraient être construits grâce aux 800 hectares de terrain dégagés. Ce, bien sûr, tout en suivant le fil rouge du dévelop­pement durable. 

Spécificité du marché - Un pays de propriétaires

Le Luxembourg compte une forte proportion de propriétaires. Selon Eurostat, 70% des ménages sont propriétaires ou en train de le devenir. C’est l’un des cinq plus gros pourcentages européens.
«Ce mode de vie est un petit peu une spécificité luxembourgeoise, par rapport à l’Allemagne notamment», explique Julien Licheron. Pas étonnant donc que le gouvernement, par le truchement de son ministre du Logement, «souhaite faciliter l’accès à la propriété» à travers un ensemble de mesures dans un contexte de resserrement du crédit.