Alex Bodry, président de la Commission d'enquête parlementaire. (Photo: Julien Becker / Archives)

Alex Bodry, président de la Commission d'enquête parlementaire. (Photo: Julien Becker / Archives)

Deux semaines avant de quitter définitivement ses fonctions de Premier ministre, Jean-Claude Juncker a confirmé que des poursuites disciplinaires ont été entamées à l’encontre de l’ancien directeur du Service de renseignement de l’État, Marco Mille et l’un de ses agents et proche de Jean-Claude Juncker, Roger Mandé, qui fut pendants des années le chauffeur et garde du corps du Premier ministre avant de demander son affectation au Srel en 2006.

«Les procédures (disciplinaires, ndlr) ont été déclenchées le 15 octobre 2013», explique M. Juncker dans une réponse à une question parlementaire d’Alex Bodry, le député LSAP qui avait présidé la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements du Service de renseignement.

M. Juncker cosigne sa réponse avec Jean-Marie Halsdorf, le ministre sortant de l’Intérieur. L’enquête s’appuie, toujours selon MM. Juncker et Halsdorf, «sur les faits tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission d’enquête ainsi que sur les griefs formulés par la Commission d’enquête à l’endroit de deux agents concernés».

En fait, l’information avait déjà été fournie par Jean-Claude Juncker lors d’une table ronde trois jours avant les élections anticipées.

Le rapport d’enquête (jamais voté et qui fut à l’origine des élections anticipées du 20 octobre et de l’envoi du parti chrétien social dans l’opposition) a présenté Marco Mille, l’ancien directeur du Srel comme l’un des principaux acteurs des «dysfonctionnements, voire des illégalités» identifiées dans la manière dont le service de renseignement luxembourgeois a été géré sous son empire, entre 2003 et 2010, lorsque M. Mille est parti dans le secteur privé pour diriger le service de sécurité de la firme Siemens en Allemagne.

Prescription

Mille avait enregistré en 2008 à l’aide d’une montre d’espionnage du Srel une conversation avec le Premier ministre Jean-Claude Juncker dans le bureau de ce dernier. Dévoilé par la presse en novembre 2012, le contenu de cet enregistrement a déclenché une tempête politico-judiciaire et la chute huit mois plus tard du gouvernement Juncker. Le premier ministre avait eu connaissance de l’enregistrement dès 2009, mais n’actionna pas de poursuites contre le directeur du Srel, pour ne pas discréditer, dira-t-il par la suite, le service de renseignement luxembourgeois vis-à-vis des autres services en Europe. Mille, avant de partir pour Siemens, sera même promu premier conseiller de gouvernement. L’affaire s’était arrêtée là.

Sur le plan pénal, il n’y a pas eu de poursuites contre Marco Mille pour l’enregistrement qu’il fit avec M. Juncker en raison de la prescription (trois ans). L’ex-patron du Srel devra donc répondre de ses actes et des dysfonctionnements qui ont émaillé le service qu’il dirigeait devant l’administration. Il pourrait, s’il devait être sanctionné, perdre une partie de ses droits à la pension.

La taupe

Roger Mandé a été présenté lui aussi dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire comme un des principaux acteurs des dysfonctionnements, avec Frank Schneider, ancien chef des opérations du Srel et un autre agent, André Kemmer, ancien officier de la police judiciaire et ex-monsieur sécurité au ministère de l’Économie. Il a été limogé de ce ministère au printemps dernier par Étienne Schneider.

Mandé fut le chauffeur et garde du corps de M. Juncker pendant des années, et un de ses hommes de confiance aussi, avant d’être muté au Srel en 2006, où il sera vu au départ comme une taupe du Premier ministre «pour obtenir directement des informations sur la vie interne du service», selon les conclusions de la commission d’enquête. Ce qui se confirmera par la suite, affirme le rapport: Roger Mandé, décrit comme un «intime du Premier ministre» lui a «bel et bien divulgué des informations sur la plupart des opérations douteuses du Srel». Sa présence au service fut «contreproductive», a estimé la Commission d’enquête.

Privilèges de l’électron libre

Pour autant, cela vaut-il des poursuites disciplinaires contre l’agent? La réponse de M. Juncker, pas plus d’ailleurs que le rapport d’enquête parlementaire, ne fournissent d’éléments factuels sur lesquels l’enquête disciplinaire pourrait s’appuyer.

Que dit le rapport d’enquête? Les membres de la commission, qui ont entendu Roger Mandé le 8 mars 2013 à huis clos s’interrogeaient sur les «privilèges dont M. mandé disposait en tant que personne proche du Premier ministre», au Srel d’abord, puis comme agent de liaison auprès des services de l’Otan à Bruxelles ensuite, affectation qu’il avait obtenue en 2010 pour des raisons familiales.

Problème relevé par la Commission d’enquête: Mandé, il l’admettra lui-même, est un «électron libre à 100%» et, circonstance aggravante, à Bruxelles, il n’a pas de bureau. Lors de son audition, l’intéressé répondra qu’il n’en avait pas parce qu’il n’y avait pas de place, mais qu’en revanche, même sans bureau, il y avait du travail et qu’il ne s’y tournait pas les pouces comme les membres de la Commission d’enquête semblaient le lui reprocher.

«Aussi bien le Srel que le ministère des Affaires étrangères ne disposent d’aucun contrôle sur les activités de M. Roger Mandé», souligne le rapport en affirmant que l’agent de liaison auprès de l’Otan «n’assure apparemment aucun reporting envers ses supérieurs au sujet de ses activités». Mandé n’est sur aucun radar et personne au Luxembourg ne dispose de «contrôle sur les informations qui sont échangées» par son intermédiaire avec les services étrangers de l’UE. «Ceci constitue une situation intolérable», signale encore le rapport d’enquête qui continue de s’interroger sur la mission spécifique de l’agent du Srel à Bruxelles et se demande si cette affectation n’est pas davantage un placard doré. «La commission d’enquête reste encore aujourd’hui sans réponse, même après avoir auditionné la personne concernée ou encore d’autres témoins».