Pierre Zimmer: «Nous devons réussir le défi de monter dans la chaîne de valeur pour arriver au niveau d'applications métier.» (Photo: Jessica Theis)

Pierre Zimmer: «Nous devons réussir le défi de monter dans la chaîne de valeur pour arriver au niveau d'applications métier.» (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Zimmer, que retenez-vous de votre expérience au sein des infrastructures technologiques et informatiques de l’État?

«Mon parcours remonte aux années 90, à l’époque où nous avons mis en place en concertation avec d’autres pays l’infrastructure servant à l’espace unique de Schengen qui était alors naissant. En ce temps-là, les spécialistes en infrastructures sécurisées étaient plutôt rares au Luxembourg, j’ai donc eu l’opportunité de me former aux côtés de confrères issus des pays voisins qui bénéficiaient alors d’une avance technologique. J’ai eu la chance, durant ce projet, de pouvoir évoluer dans un rapport de confiance avec mes confrères étrangers, ceux-ci m’ont pris sous leur aile et m’ont prodigué leurs conseils en toute transparence.

Cette collaboration avec des pays et des acteurs tiers a également été bénéfique au développement interne du réseau informatique de l’État. Ce fut le cas avec Alcatel, le fournisseur de référence de l’époque, qui a pris le Centre d’information de l’État (devenu Centre des technologies de l’information de l’État, ndlr) comme laboratoire pour la mise en place d’un réseau IP d’envergure au niveau du Benelux. Pour Alcatel, nous servions en quelque sorte de site de référence grandeur nature et nous bénéficions d’un échange d’expériences fondamental.

Quid du passage à l’an 2000? A-t-il été difficile à négocier?

«Contrairement à l’approche du secteur privé, nous avions décidé, au niveau de l’appareil étatique, de ne pas mettre en place de systèmes parallèles, mais de directement effectuer un changement vers les systèmes d’exploitation et les logiciels les plus récents. Nous avons d’ailleurs servi de client de référence pour IBMquant à l’implantation de l’infrastructure end-to-end sur internet. Ce qui a permis à la société de faire valoir à l’étranger des bonnes pratiques avec nos services. De notre côté, nous avons eu l’opportunité de travailler avec des collègues à l’étranger, par exemple à Singapour ou aux États-Unis.

La mobilisation des collaborateurs est donc un facteur-clé pour réussir ce genre de projet…

«Susciter l’engagement des équipes pour la mise en place de produits et solutions innovants était l’une des seules sources de motivation possible puisque nous ne pouvions pas motiver les collaborateurs avec des bonus et des offres salariales qui sont régies selon des barèmes.

Que retenez-vous de la création de Luxtrust à laquelle vous avez participé avec Étienne Schneider?

«Luxtrust m’a apporté une expérience complémentaire à celle vécue dans l’appareil étatique puisqu’il s’agissait en quelque sorte d’une start-up nécessitant donc une gestion différente. La barre était haute puisque nous devions dès le départ répondre aux exigences imposées par le cahier des charges du secteur bancaire et le statut de professionnel du secteur financier. J’ai beaucoup appris durant cette période en matière de gestion financière, notamment via l’expertise du réviseur d’entreprises.

L’apport de Luxtrust est-il suffisamment reconnu selon vous?

«Je pense que Luxtrust est souvent mal comprise, car elle est perçue comme une obligation de la part de l’État et des banques. Mais c’est véritablement le cadre réglementaire qui fixe les obligations en matière de signature électronique pour les documents à haute valeur probante. Étant donné la taille du pays, il aurait été difficile pour une société étrangère de mettre en place l’infrastructure et les solutions informatiques nécessaires pour répondre aux exigences de ce cadre réglementaire, compte tenu des investissements à opérer par rapport à la taille du marché. D’où l’intervention des pouvoirs publics en collaboration avec les banques pour créer une infrastructure de base qui puisse garantir des flux sécurisés de bout en bout. Des flux qui sont désormais indispensables pour se voir délivrer un passeport, une carte d’identité ou encore un permis de conduire.

Sur base de votre expérience, pensez-vous que le Luxembourg soit sur la bonne voie pour devenir durablement un acteur important dans l’ICT?

«Sous l’impulsion étatique, notamment via la persévérance de Jean-Paul Zens (directeur du Service des médias et des communications au ministère d’État, ndlr), le pays a tout fait en quelques années pour se trouver, comme le dit l’expression, ‘on the map’. Jusqu’ici, les investissements en termes de réseau à haut débit ou de data center de qualité ont porté leurs premiers fruits, mais nous devons réussir le défi de monter dans la chaîne de valeur pour arriver au niveau d’applications métier. Le marché qui s’y rapporte se base sur le savoir-faire de différents acteurs présents au Luxembourg, dont le secteur financier. Il peut s’agir, par exemple, d’archivage ou de signature électronique ainsi que de trusted delivey services. Or nous ne sommes pas encore parvenus à mettre en place une plateforme sur base de cette expertise, plateforme qui nous permettrait de nous différencier sur le marché en offrant aux acteurs extérieurs de la Place des solutions internet hautement sécurisées destinées à l’échange d’informations sensibles.

Quelles étapes sont nécessaires pour y parvenir?

«Il sera primordial d’éviter que la chaîne permettant le flux de documents dématérialisés et d’informations soit rompue, car toute interruption remet en cause l’idée même de l’utilisation de ces plateformes électronique. Nous remarquons ainsi que les grandes entreprises utilisent à 90% les services du Guichet.lu soutenus par Luxtrust, car elles ont intégré la notion de dématérialisation dans l’ensemble de leur chaîne de transmission de l’information. C’est en revanche moins le cas pour les PME et encore moins les citoyens. Mais il revient aux acteurs tels que Post Luxembourg de susciter la confiance de ces derniers en combinant l’expérience du papier et des télécommunications pour créer des plateformes qui conviennent à leur usage, notamment en termes d’ergonomie.

Comment expliquez-vous cette défiance à l’égard de l’électronique quant à certaines opérations?

«Outre l’ergonomie, il est primordial de renseigner l’utilisateur en toute transparence quant au degré de sécurité offert et les moyens dont il dispose pour traiter ses propres données. Il convient aussi de lui laisser le libre choix de pouvoir changer de prestataire tout en pouvant récupérer ses données. Force est de constater que des offres de cloud à l’international sont attractives, mais elles ne présentent pas toutes le niveau de transparence requis par rapport aux risques encourus.

Pour quelles raisons avez-vous choisi de rejoindre Post Luxembourg?

«Ma fonction recouvre l’organisation informatique interne, mais je dois reconnaître que cette pratique au sein de la société était d’ores et déjà très efficiente. Je place en revanche mon véritable défi dans le développement de plateformes de communication dont nous avons parlé, notamment à l’intention d’acteurs de tailles moyennes et petites, le tout à un prix abordable. D’un point de vue philosophique, le passage vers Post Luxembourg n’a pas été difficile à opérer dans la mesure où, en tant que directeur du CTIE, j’ai souvent été amené à collaborer avec ceux qui sont désormais mes collègues. J’observe du reste que Post Luxembourg a opéré de grands changements ces dernières années en faisant progresser son offre, notamment dans les télécommunications. Il est donc primordial qu’un acteur de cette importance puisse prendre le virage quant au niveau du traitement de l’information.

À quelle échéance envisagez-vous ce virage?

«Il ne peut être sur le long terme, le marché ne le permettrait pas. Toutes les bases sont là pour proposer ces nouveaux services, à nous de les combiner dans un temps raisonnable pour nous positionner intelligemment. Dans ce cas aussi, il est fort probable que nous devions nous rapprocher d’autres acteurs afin de mutualiser les forces plutôt que de déployer une débauche de moyens trop importants.

Le projet de loi révisant le cadre légal de l’archivage électronique va-t-il dans le bon sens?

«Je dirais qu’il ne comporte que peu d’éléments à revoir. Il a même été encouragé par le Conseil d’État qui a proposé au législateur d’aller encore plus loin dans la voie de la dématérialisation.

Comment entendez-vous organiser votre travail avec votre équipe?

«J’ai reçu une mission stratégique d’ordre transversal, ce qui va m’amener à travailler en collaboration avec toutes les composantes de notre groupe.

L’un de vos projets ne sera-t-il pas de montrer l’exemple en interne quant à la gestion des informations sensibles telle que vous l’évoquiez?

«Les fondements sont d’ores et déjà présents pour passer à de nouveaux développements en la matière et je constate que l’engagement des équipes pour résoudre le moindre problème est une réalité. Nos techniciens se dévouent sans relâche, comme lors des incidents survenus sur les Fritz Box, afin de s’assurer qu’aucun utilisateur n’ait été impacté. Cet engagement constitue un terreau fertile pour réussir de nouveaux challenges. Mes expériences passées m’ont d’ailleurs montré qu’il est difficile d’exercer ces métiers en comptant ses heures et sans faire preuve d’un certain dévouement.

La vision de Claude Strasser vous a-t-elle incité à franchir le pas?

«Je partage pleinement cette vision qui est l’une des raisons de mon passage vers Post Luxembourg. Je ne peux que saluer ses efforts pour dynamiser l’organisation interne du groupe. 2013 a permis de jeter les bases de la réorganisation interne et 2014 sera marquée par des actions dont le centre sera plus que jamais le client, le tout supporté par la nouvelle image.

Pensez-vous que la fonction de CIO a été revalorisée durant les dernières années?

«Selon moi, le ‘I’ de notre fonction ne signifie plus infor­matique mais information au niveau des organes décideurs, alors que malheureusement cela était perçu comme tel encore récemment. Le CIO doit du reste connaître la langue du métier de l’entreprise dans lequel il évolue. Sans cela, il ne peut pas assumer entièrement son rôle. Nous sommes plus que jamais situés à l’intersection des métiers et de la technologie et notre rôle doit rester d’implémenter la stratégie voulue par la direction de l’entreprise ou de l’orga­nisme public.»

Parcours

Innover sur des bases solides

Pierre Zimmer n’est pas vraiment un novice en informatique. On peut même dire que l’infrastructure étatique en la matière est en partie due à la passion de ce fonctionnaire ayant enchaîné les responsabilités depuis son entrée à la fonction publique en tant que chef de projet pour le «National Schengen Information System». C’était en 1990. Il a notamment participé au lancement de Luxtrust en 2005 dont il fut l’administrateur délégué. Depuis, les projets de signature électronique, de cartes administratives biométriques sécurisées ou plus généralement de gouvernance électronique l’ont toujours concerné et intéressé. De bonnes raisons pour entamer une nouvelle aventure chez Post Telecom en novembre 2013. Âgé de 48 ans, il pratique volontiers différents sports de balle, tout en gardant un œil avisé sur les développements technologiques. L’un de ses chantiers chez Post Luxembourg sera de développer une stratégie IT horizontale au sein du groupe.