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Ce n’est quasiment plus une question de choix. Les citoyens-consommateurs ayant particulièrement bien intégré les progrès du numérique, ils acceptent de moins en moins des propositions qui ne prendraient pas en compte les progrès technologiques. Un constat valable pour l’ensemble des entreprises, petites et grandes et tous secteurs confondus, comme pour l’administration. L’heure de la digitalisation a largement sonné et chacun va devoir, au minimum, repenser sa stratégie en fonction de ces nouveaux outils.

Si l’on suit de près les publications des médias ou qu’on participe à des conférences, l’impression est que le digital est partout. Le message est effectivement en train de s’imprégner, mais pour ce qui est de passer aux actes concrets, les acteurs luxembourgeois restent à la traîne. Pour dresser un état des lieux et lancer un message clair d’avertissement, la Chambre de commerce du Luxembourg a publié un important document de près de 200 pages à l’automne 2016. «Notre premier objectif est de sensibiliser les entreprises face aux enjeux conséquents de la transformation digitale», explique Jérôme Merker, attaché au service économique de la Chambre de commerce.

Le problème se situe au niveau des aspects softwares.

Jérôme MerkerJérôme Merker, Attaché Affaires économiques (Chambre de commerce du Luxembourg)

Se basant sur la récente étude Desi 2017 (Digital Economy and Society Index) de la Commission européenne, il observe que le pays est au top niveau en ce qui concerne les infrastructures numériques et affiche un très bon niveau de formation des résidents. «Le problème se situe au niveau des aspects softwares», observe-t-il. «Les entreprises doivent nettement mieux intégrer les technologies digitales dans leur activité. À ce niveau, le potentiel est encore très important.» Cette étude, publiée annuellement par l’Union européenne pour analyser l’évolution de la digitalisation des États membres, note par exemple que 9% des PME luxembourgeoises seulement ont créé un système de vente en ligne. Raisons le plus généralement invoquées: «La sécurité, la faiblesse des systèmes de paiement en ligne, le manque de compétences ou encore des systèmes pénalisants dans l’approvisionnement transfrontalier», détaille Jérôme Merker.

Une économie de services

Il reste donc du travail. Directeur, jusqu’il y a peu de temps, du Business Analytics Centre de l’université de Singapour, le chercheur américain Jorge Sanz a rejoint le Luxembourg Institute of Science and Technology (List). Il doit y créer un groupe d’une trentaine de personnes qui travailleront sur les priorités du pays en matière d’innovation: systèmes innovants pour le secteur financier, industrie 4.0, digitalisation, etc. Pour ce «scientifique social», ainsi qu’il se décrit, les infrastructures en tant que telles ne sont qu’une base de travail. «Ce qu’il faut désormais, à partir de cette large infrastructure, c’est développer une véritable économie de services qui apporte de la valeur pour les individus en tant que citoyens, consommateurs ou membres d’organisations.»

Les problèmes ne sont pas seulement techniques, ils sont sociotechniques.

Jorge SanzJorge Sanz, Responsable de programmes (List)

C’est là, selon lui, que se situe la faille. Mais il parle de manière générale, pas uniquement pour le modèle luxembourgeois. «Depuis quatre décennies de transformations liées au digital, on n’a toujours pas réglé les plus grands problèmes de l’humanité», pointe-t-il dans un discours qu’il qualifie de «réaliste, mais pas pessimiste». Le message qu’il entend faire passer c’est que vous pouvez développer le plus beau des smartphones… il ne vaudra que par les services qu’il permettra de rendre.

Analysant encore le manque d’entrain par rapport à l’évolution numérique, ce scientifique considère que «les problèmes ne sont pas seulement techniques, ils sont sociotechniques». Pour comprendre les résistances, il faut autant pointer les résistances humaines au changement (peur, compétences) que les problèmes liés à la technologie.

Du temps pour le changement

Pour revenir aux lenteurs dans l’évolution digitale, Jérôme Merker pointe aussi le fait que les PME, pour la plupart, n’ont pas encore ressenti l’urgence du changement. «Leurs dirigeants sont aussi en permanence la tête dans le guidon», observe-t-il. «Il est pourtant cette fois temps de s’arrêter et de prendre la peine d’analyser les pistes pour l’avenir.» Pour les convaincre, il pointe que, dans ce domaine, des investissements raisonnables peuvent entraîner des résultats parfois importants. Mais un autre souci est en vue, selon l’attaché de la Chambre de commerce: la difficulté de trouver les profils adéquats. «Une étude OCDE de 2015 montre que 59% des entreprises connaissent des difficultés de recrutement dans les profils ICT. Or, le Luxembourg est encore largement sous la moyenne européenne au niveau des diplômes scientifiques.»

59% des entreprises connaissent des difficultés de recrutement dans les profils ICT.

Jérôme MerkerJérôme Merker, Attaché Affaires économiques (Chambre de commerce du Luxembourg)

Dans ce phénomène de transformation digitale, la plus grande simplicité que les individus réclament aux entreprises, ils l’exigent aussi de l’administration publique. À la tête du Centre des technologies de l’information de l’État (CTIE), Gilles Feith estime que le gouvernement fait sa part de travail pour digitaliser les relations entre le citoyen et l’État. «Notre volonté est de faire de Guichet.lu un outil centralisé dans cette relation», explique-t-il. Il rappelle aussi que le gouvernement a marqué sa volonté, dès juillet 2015, de miser sur le «digital first» dans le travail de l’administration. Une volonté qui inclut la politique du «once only» – une fois que le citoyen a fourni des données à l’administration, elles sont disponibles pour d’autres dossiers –, mais aussi la transparence par rapport à l’usage qui est fait de ces données.

Ce sont parfois des choses très simples qui permettent de connaître l’état d’avancement d’une demande ou d’un dossier, mais il faut les concrétiser.

Gilles FeithGilles Feith, Directeur (CTIE)

Le directeur du CTIE note encore que l’utilisation des guichets en ligne explose dans le pays. Depuis la mise en place de la stratégie Digital Lëtzebuerg, beaucoup de choses ont déjà été réalisées et d’autres vont suivre. Notamment grâce à l’initiative Einfach Lëtzebuerg, qui vise la simplification administrative en demandant aux citoyens de proposer des choses à améliorer. «Ce sont parfois des choses très simples comme la prise de rendez-vous en ligne avec un service ou l’e-tracking, qui permettent de connaître l’état d’avancement d’une demande ou d’un dossier, mais il faut les concrétiser», estime Gilles Feith. Pour le proche avenir, il avance que ses services se concentreront en priorité sur les progrès encore à réaliser au niveau de l’Administration des contributions directes, l’archivage électronique et la compatibilité des cartes d’identité électroniques des différents pays européens.

L’innovation digitale offre de nouvelles opportunités. Et si les acteurs, publics comme privés, de la vie économique n’avançaient pas assez rapidement, les citoyens-consommateurs auraient vite fait de leur rappeler leur envie de services plus efficaces.