Le défi du nouveau dirigeant se place dans la continuité de ses prédécesseurs, à savoir combiner les obligations réglementaires aux changements du marché, dont une digitalisation des services financiers galopante. (Photo: Marion Dessard)

Le défi du nouveau dirigeant se place dans la continuité de ses prédécesseurs, à savoir combiner les obligations réglementaires aux changements du marché, dont une digitalisation des services financiers galopante. (Photo: Marion Dessard)

Monsieur Meyer, en quelques mots, quel est votre parcours?

«Cela fait 26 ans que je suis chez KPMG Luxembourg: j’y ai commencé comme assistant d’audit jusqu’à devenir managing partner, après des fonctions d’associé en charge du risk management. Ce parcours m’a été très utile pour prendre ces responsabilités. Il m’a permis de connaître toutes les activités et les gens qui les exercent et in fine d’avoir une meilleure prise sur ce que nous pouvons offrir au client.

Quel mode de management voulez-vous insuffler?

«Je me définis volontiers comme le ‘primus inter pares’. Mon rôle est de faire en sorte que les différentes compétences dont nous disposons, tant celles de nos associés que de l’ensemble de nos équipes, puissent fonctionner ensemble. J’apprécie l’image du chef d’orchestre qui doit assurer l’harmonie de l’ensemble. Un orchestre a, indépendamment de son chef, un son reconnaissable tout comme, je le crois, KPMG par rapport à ses confrères. Le chef d’orchestre apporte sa vision des œuvres et coordonne l’expression des talents que nous comptons dans notre firme.

Vous côtoyez votre prédécesseur au sein du comité de direction, comment se passe la cohabitation?

«Elle se passe très bien dans la mesure où chacun œuvre pour la collectivité. J’ajoute que le style de management que je mène fonctionne très bien dans cette configuration.

Vous évoquiez le «son KPMG». Quel est ce son?

«L’image de marque a une importance particulière dans nos métiers, de même que les notions d’intégrité et d’éthique. Si je veux que ces valeurs soient respectées et qu’elles définissent le chemin que nous devons suivre dans l’exécution de nos missions, je dois donc, en tant que managing partner, montrer l’exemple. Ce qui revient au mode de management ‘primus inter pares’ ou de ‘servant leadership’ que j’évoquais. Ce qui passe aussi par une forte délégation et confiance… Je ne me réveille pas tous les matins en me demandant ce que vont faire mes associés. Nous disposons d’une équipe de direction qui prend les décisions stratégiques. Les associés sont des entrepreneurs qui déclinent ensuite cette stratégie en fonction du marché, dans leur compétence respective.

Comment passer d’une fonction de technicien à un rôle de leader, qui dégage forcément de certaines opérations quotidiennes?

«Je suis en effet à l’origine un technicien du chiffre. Je dois désormais laisser la responsabilité à mes associés d’accomplir leur mission, en ayant un rôle de supervision, de gestion, mais qui laisse une grande part de responsabilité à chacun d’entre nous.

Comment déclinez-vous cette notion d’entrepreneur?

«Je pense tout d’abord qu’elle s’applique très bien à une firme comme la nôtre avec son modèle de partnership. Nous disposons de collaborateurs qui se considèrent comme des entrepreneurs capables de mobiliser les ressources nécessaires à leurs projets. Ce qui m’importe c’est la ‘cross-fertilisation’. D’où l’importance de disposer d’une cartographie complète des talents s’étendant des spécialistes en comptabilité aux ingénieurs en fiscalité… C’est grâce à la conjonction de ces talents que nous sommes capables de proposer des services qu’il aurait été impossible de proposer autrement.

Sans la confiance de nos clients, nous sommes peu de choses.

Philippe Meyer, managing partner chez KPMG

Votre fibre du risk management va-t-elle vous influencer dans la prise de décision?

«Probablement, car le plus important dans nos métiers est, comme je le disais, de respecter les notions d’éthique et d’intégrité. Car la défaillance de l’un d’entre nous peut projeter une image négative de notre marque. Or, sans la confiance de nos clients, nous sommes peu de choses. Mon rôle est donc d’assurer que la marque KPMG est pertinente aujourd’hui et qu’elle le reste demain grâce à la manière dont nous travaillons.

Éthique et intégrité reviennent en effet souvent dans votre vocabulaire…

«Un des événements majeurs pour notre profession ces dernières années vient de la Commission européenne et de la directive dite Barnier introduite dans le sillage de la crise financière de 2008. Cette directive avait pour objectif de redonner confiance aux investisseurs dans le travail des contrôleurs légaux de comptes, et ce en raison de la possible perte de confiance après la crise de 2008. Cette initiative me fait avant tout dire qu’il est capital de garder à l’esprit que nous avons un rôle d’intérêt public. Nous ne sommes pas que des businessmen and women. C’est pour cela que ces termes d’éthique et d’intégrité m’importent autant. De leur respect dépend la manière dont l’opinion publique peut nous percevoir. Nous sommes aussi un acteur essentiel de l’économie. Un rouage utile et efficace si nous sommes correctement outillés et si nous agissons de manière intègre et professionnelle.

Comment expliquez-vous que les Big Four, qui sont parmi les plus grands employeurs du pays, demeurent peu ou mal perçus au sein de la population?

«Ce sont deux mondes qui ne se parlent pas. Nos clients sont des professionnels, essentiellement du secteur financier. Le seul contact que nous avons avec le public au sens large est, pour ceux qui font de l’audit, le rapport d’audit. Mais une firme comme la nôtre a un rôle important à jouer dans la société. Je prends pour exemple la venue récente de jeunes élèves dans le cadre d’une activité de Jonk Entrepreneuren. Ces élèves étaient amenés à débattre sur le thème de l’innovation et nous étions heureux de les encourager dans cette démarche.

Vous évoquiez la nouvelle loi sur les métiers d’audit: quelles sont opportunités selon vous?

«Il faut garder à l’esprit que l’objectif de la loi est d’améliorer la qualité de l’audit au niveau européen. Ce qui est une bonne chose. Je note qu’il n’y a pas forcément eu une grande cohérence dans tout ce qui a été proposé. La loi nous impose donc de nombreuses contraintes et nous l’acceptons. Parmi celles-ci, la rotation des cabinets d’audit est à gérer et nous y sommes préparés. Nous sommes d’avis que l’audit nécessite indépendance et intégrité, mais lorsque vos clients connaissent et apprécient la qualité du service d’audit, il n’est pas impensable que d’autres départements d’un client puissent apprécier d’autres services. L’enjeu pour nous sera de garder des contacts suffisamment forts malgré la rotation en veillant à résoudre les conflits d’intérêts au fur et à mesure.

Ce qui renvoie au débat entre perception et légalité…

«L’aspect professionnel de notre travail est primordial et donc nous devons pouvoir à tout moment prouver qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts. Les nouvelles règles ont encore plus élargi la typologie de gens au sein du cabinet, qui doit être soumis à des règles d’indépendance. Ce qui aboutit in fine à beaucoup de contraintes supplémentaires avec un prix à payer pour leur mise en œuvre que nous ne sommes pas toujours en mesure de répercuter. Mais si c’est le prix à payer pour garder la confiance des parties prenantes, nous ne pouvons pas le refuser.

Quels sont les possibles impacts de Beps pour la Place?

«Le dossier Beps se rattache au débat sur les moyens à mettre en œuvre pour que Luxembourg reste une Place compétitive tout en appliquant les standards fiscaux internationaux. L’imposition des sociétés trouve aussi sa place dans ce contexte. Il est capital que le Luxembourg communique sur son plan d’action et ses ambitions d’ici 2020, afin d’apporter une sécurité aux investisseurs en énonçant clairement le caractère prévisible de l’imposition des personnes morales.

Reste à trancher les questions de la largeur de la base d’imposition ou du taux. Ce n’est pas à nous de faire des recommandations, mais nous pouvons montrer au gouvernement comment tel ou tel scénario peut influencer les activités économiques du pays.

N’êtes-vous pas conviés par le gouvernement à discuter de ce type de sujet?

«Nous sommes toujours disponibles à participer aux débats auxquels les autorités souhaitent nous convier, sur ce sujet comme sur d’autres.

Nous travaillons avec nos collègues britanniques pour définir la meilleure approche possible par rapport à l’objectif

Philippe Meyer, managing partner chez KPMG

Quelle est votre vision actuelle quant aux conséquences du Brexit?

«Nous travaillons avec nos collègues britanniques pour définir la meilleure approche possible par rapport à l’objectif affiché par beaucoup d’acteurs britanniques de garder leur passeport européen pour la distribution de leurs produits ou services. Nous sommes persuadés que Londres restera un partenaire important pour le Luxembourg.

Néanmoins, il serait malhonnête de ne pas dire que certains voient d’un bon œil l’arrivée d’acteurs et/ou d’activités britanniques au Luxembourg. Aurons-nous la capacité d’accueillir les activités et les collaborateurs? Quel sera le timing? Différentes questions importantes restent ouvertes dans ce dossier.

La digitalisation est un des axes de développement pour KPMG. Quelles sont les prochaines étapes en la matière?

«Nous poursuivons en effet sur cette lancée en continuant à investir dans les technologies. Nous sommes sur le point d’annoncer une avancée significative en la matière.

Nous pensons que notre firme doit jouer un rôle important dans ce créneau pour être en mesure d’accompagner les clients dans leurs défis de digitalisation de leurs activités. Nos métiers sont eux-mêmes de plus en plus sensibles au numérique, nous devons donc suivre les tendances et prendre les bonnes décisions d’investissement au bon moment.

Comment appréhendez-vous la prise de risque en la matière?

«La qualité de l’entrepreneur est d’être capable de prendre des risques. Je réfute l’idée consistant à dire que le risk management évite les risques: il encadre la prise de risque.

L’un des enjeux du digital est la désintermédiation du secteur financier. Comment vous y préparez-vous?

«Nos métiers sont des métiers de personnes et compétences. On lit, par exemple, dans la presse, que des cabinets d’avocats américains se passent de ressources juniors pour faire des recherches de jurisprudence toute la journée.

Mais lorsque vous devez exprimer un jugement, il devient difficile de confier cette tâche à une machine. Le point n’est pas de trancher si nos métiers seront touchés ou non, mais avec quelle ampleur et à quelle vitesse.

Réclamez-vous de nouveaux ajustements en matière de réforme fiscale?

«Nous avons publiquement évoqué la question de l’élargissement de la base fiscale et de la réduction du taux d’imposition cumulé des sociétés. Nous devons garder à l’esprit ce qui se passe dans d’autres pays européens et qui risque de diminuer l’attractivité du pays.

Quelle est votre vision pour l’économie en 2017?

«Il est nécessaire de faire preuve d’humilité quant à la prévision économique, d’autant plus par les temps actuels, mais notre étude Luxembourg Business Compass, qui prend le pouls des perceptions des décideurs pour les mois à venir, montrait dans sa dernière édition que le niveau de confiance s’accroissait chez les entrepreneurs. Nous pensons donc qu’il est difficile d’envisager que le développement économique s’arrête de manière brutale en 2017.

Qu’attendez-vous des prochains développements dans les secteurs de diversification économique du pays?

«J’ai récemment vu que la SNCI a investi dans des projets liés aux ressources spatiales. Les 175 ans de la Chambre de commerce étaient l’occasion d’observer combien le pays avait changé, ne fût-ce que depuis les années 1990. Le tissu économique a grandi de manière extraordinaire. Même si la décision d’investir dans une nouvelle aventure spatiale ne se traduit pas par des succès commerciaux immédiats, cela réaffirme la spécificité du pays de se réinventer et de s’adapter. Moi qui ai recouvré ma nationalité luxembourgeoise, je trouve ce positionnement formidable.»

Bio express
De bas en haut de l’échelle
Managing partner de KPMG Luxembourg depuis le 1er octobre 2016, Philippe Meyer (49 ans) est diplômé de l’École supérieure de commerce de Reims. Franco-luxembourgeois (il vient de recevoir la double nationalité), celui qui était jusqu’ici en charge du risk management au sein de la firme a fait toute sa carrière chez KPMG Luxembourg, qu’il a rejoint en 1990. Il est réviseur d’entreprises agréé, avec une spécialisation dans le secteur du commerce et de l’industrie.

Passage de relais
L’ancien et le nouveau
Début octobre, à l’occasion du passage de relais entre managing partners, KPMG présentait son nouveau comité exécutif. Particularité pour un Big Four à Luxembourg: le nouveau managing partner y côtoie son prédécesseur. Philippe Meyer travaillera en effet avec Georges Bock à ses côtés en tant que responsable des services fiscaux. Ce dernier avait souhaité poursuivre à la tête de la firme mais l’élection interne, qui s’est jouée de peu, a finalement penché en la faveur de M. Meyer. Le comité exécutif a été modifié le même jour. Il se compose de Philippe Meyer, managing partner; Georges Bock, head of tax; Pascal Denis, head of advisory; Emmanuel Dollé, head of audit; Fabrice Leonardi, COO. Frauke Oddone endosse le rôle de head of markets; Thierry Ravasio devient head of people. Les heads of sectors, le comité exécutif et le nouveau quality and risk management partner, Stephen Nye, composent la direction élargie de la firme.