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Entretien avec: Christophe Mathgen, Claude Moes, Michaël Soldi, directeurs associés

Quelles sont les particularités de votre agence, et comment se démarque-t-elle du reste du marché?

Michaël Soldi: En partant du fait qu'il y a trois niveaux à considérer, à savoir le potentiel humain, l'approche du métier et les moyens à mettre en oeuvre, on peut considérer qu'une compétence peut enrichir tout un spectre de services. Ainsi, un complément de tonalités différentes peut, dans une seule structure être dans l'intérêt du client et le groupe peut ainsi atteindre un objectif positif. Nos formations différentes et notre approche du métier font la complémentarité au sein l'entreprise. Nous ne réfutons ainsi aucune possibilité, même si nous ne considérons pas comme un couteau suisse. Mais en termes de stratégie de communication nous avons assez de ressources pour faire un bon travail préparatoire, et le pilotage reste entièrement in mano de la société. Enfin, l'adéquation des moyens techniques est telle, que les personnes choisies pour résoudre cette partie ont aussi des tonalités différentes, ce qui mène à une formalisation du message correspondant exactement au type du client, voire à son marché destination. En fait, il ne s'agit pas pour nous de reconnaître en premier lieu une annonce Millenium, mais notre client. C'est lui la star, pas nous.

Christophe Mathgen: Il nous importe surtout de valoriser en premier lieu l'image du client.

Claude Moes: Lorsque trois personnes conversent, même ou surtout sans qu'elles soient forcément d'accord sur tous les points, leur discussion mènera à une complémentarité. Cela évite l'effet d'inceste.

Lorsqu'on a un client considérable comme Tango à la base, cela crée un certain confort sur le reste des activités pour une société qui a à peine un an et demi?

M.S.: C'est quand même fascinant qu'on mette toujours TANGO en tête. C'est à se demander si avoir un client pareil ne finira pas par faire souffrir de l'avoir comme première référence. En fait, on aimerait bien qu'on parle autant de nos autres clients, pour lesquels nous avons le même souci à faire preuve d'efficacité et de réactivité. Il n'y a aucun confort à avoir un client pareil, surtout lorsqu'on connaît son professionnalisme et son désir d'efficacité. Nous devions donc avoir des prédispositions. Pour nous, cela représente un challenge quotidien. Tango ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. D'autant plus qu'il n'y a aucune ambiguïté entre ce client et nous. L'alliance par trop rapprochée que certains nous attribuent n'existe pas. Il s'agit là uniquement d'une collaboration fructueuse, comme avec l'ensemble de nos clients.

Cl.M.: Il y a dans chaque agence un client qui est un peu plus présent et qui domine plus le volume de nos activités. Mais nous avons à part lui un joli potentiel de clients qui réclament aussi des réponses quotidiennes à leurs problèmes.

Vous êtes une agence avec un effectif restreint. Comment cela se passe-t-il lors des contrats sur soumission' Trouvez-vous ce système injuste, parce que les petites structures prennent de plus grands risques en engageant beaucoup de temps dans des concours de ce genre?

Cl.M.: C'est simple. Que l'offre vienne d'une société ou d'un Ministère, si le projet est intéressant, nous participons. Sauf que nous le faisons bénévolement, alors qu'à l'étranger, l'effort est normalement rémunéré. Qu'il y ait compétition nous semble normal. Seul fait aggravant: parfois on demande à 12 agences différentes. Même si on n'a pas de service marketing pour se renseigner sur une présélection, il faudrait au maximum mettre trois agences en compétition. Personnellement, si on fait appel à douze maisons, pour moi il y a forcément quelque chose qui ne tourne pas rond. Quant à l'effort sollicité, l'agence de 50 personnes n'accomplira pas forcément mieux la tâche que celle de dix employés. Et ce n'est pas pour se faire une jolie image qu'on participe. C'est une offre de services. Lorsqu'on s'adresse à une société de consulting, on paie aussi. C'est la même chose. On sait que ce sera cher, parce que les gens qui vous conseillent exercent aussi leur métier. Lorsque quelqu'un fait le tour de la place avec sa demande d'offres, il ira en général envers celui qui sera le moins cher, avec, en plus, un premier service gratuit. Cela commence heureusement à changer à Luxembourg, où on commence à intégrer des services marketing dans les sociétés, ce qui mènera peut-être un jour à des soumissions avec un maximum de trois participants.

Ch.M.: Aussi faudrait-il veiller un peu plus à émettre toujours des briefings qualitatifs et complets.

Cl.M: Il faut dire que ce dérapage est aussi dû au fait que tout le monde veut laver plus blanc que blanc au niveau des agences, et que si on laisse la liberté aux solliciteurs de contacter douze agences pour leurs concours sans que les agences ne réagissent, celles-ci sont co-responsables de cet état de fait.

Quelles sont, selon vous, les caractéristiques spéciales du marché national global: son évolution, ses forces et ses faiblesses?

M.S.: Il y a d'abord la taille du marché. Celui-ci est quand même très restreint, sauf s'il y a promotion à l'étranger. Par contre, personne n'a pour autant à rougir de ce qui est fait ici. La taille n'est pas forcément un handicap. Il y a donc juste une différence de surface, la technicité étant la même qu'ailleurs.

Cl.M.: au niveau budgétaire, il y a aussi des différences.

M.S.: Oui, mais il y a des moyens à mettre en oeuvre identiques, alors qu'en production le volume change, ce qui prouve que la relation n'est pas normale. Mais nous avons appris à nous adapter à cette donne, et à être qualitatifs avec des budgets, et une production très restreints.

Trouvez-vous qu'en moyenne la pub' nationale tienne la route avec les campagnes internationales, et cela aussi bien en originalité qu'en qualités techniques, ou allez-vous vous réfugier derrière le bon vieil argument du manque de budgets confortables?

Cl.M.: Non, nous n'allons pas nous réfugier derrière cet argument. Néanmoins? Prenons Nike, avec des spots qui coûtent 2,8 millions de dollars. Mettez les nôtres à côté, même s'il ne s'agit pas du même produit. On voit quand même à Luxembourg des choses de très bonne qualité depuis quelques années. L'audiovisuel, la photo, tout ça s'est nettement amélioré. On arrive à tout finaliser sur place, sans recourir à l'étranger, sous prétexte qu'on a produit de meilleures choses. C'est devenu un faux argument. Il y a de plus en plus de sociétés étrangères qui s'établissent ici, et qui prennent leurs décisions sur place. Ils arrivent avec un personnel de qualité, ce qui ne les empêche pas de nous contacter.

Ch.M.: D'ailleurs c'est ce melting pot qui a fait de Luxembourg un excellent marché test pour pas mal de produits.

M.S.: Il y a aussi l'arrivée récente de nouveaux interlocuteurs qui sont de plus en plus formés en communication. Le stade où la secrétaire de direction s'occupait de tout ça est heureusement largement dépassé. Cela aide à renforcer la qualité du briefing. Si le client ne sait pas où il doit placer l'effort commercial, ce n'est pas possible de communiquer convenablement. L'identification du profil du client, beaucoup ne savent pas le faire, mais cela commence à s'améliorer. L'agence ne peut pas donner plus que le client ne peut souhaiter. Et l'univers du consommateur n'est jamais réduit à un seul service. Le discours des vendeurs de réclame est fini. L'approche intuitive et patriarcale doit être remplacée par une véritable analyse du marché.

Que pensez-vous de ce boom extraordinaire qui a fait que le nombre d'agences se sont multipliées à l'infini pendant les dix dernières années? Est-ce un enrichissement ou plutôt une tare?

C.M.: Une chose est sûre, il y a au maximum une douzaine de vraies agences au Luxembourg, et il faut le dire.

M.S.: Allez, disons une vingtaine, parce qu'il est vrai qu'on ne les suit pas toutes. Il y a des tonalités et affinités entre les différentes agences, mais on peut dire que quelques agences seulement couvrent plus de 50% du marché. Le reste est totalement dispatché, ce qui est très bien ainsi, car ça offre aux clients qui veulent juste un projet basique d'en avoir pour leur budget. Le marché démontrera si cela tient. La progression est en croissance continue, on occupe le premier poste dans les budgets, mais si jamais il y aura décroissance, nous serons aussi les premiers touchés. Surtout les petites structures. Il faut l'avouer: on ne devient pas riche en faisant de la communication.

Au niveau des concepts des campagnes, avez-vous l'impression qu'il y a occasionnellement plagiat sur des créations internationales?

M.S.: On se copie rarement les uns les autres, c'est rassurant. Mais parfois il se passe des choses incongrues. On nous a convoqué un jour au tribunal, tout simplement parce que nous avions utilisé un cadre jaune. La communication ne se vit et ne se fait pas en vase clos. On est tous imprégnés. Parfois, il arrive qu'il y ait double emploi de façon fortuite et involontaire. Et voilà que l'idée graphique donne le même résultat qu'une annonce analogue dans un même secteur à l'étranger. On ne réinvente pas la roue à chaque action. Il arrive parfois qu'un tronc commun se remarque.

Cl.M.: Parfois on remarque quand même qu'une annonce étrangère est reprise pile poil une année plus tard. D'autres fois on ne peut pas parler de plagiat, parce que deux agences ont eu la bonne idée de louer la même photo auprès d'une banque d'images pour un même type de message. Le magazine allemand "Werben & Verkaufen' se fait alors un plaisir de les juxtaposer.

Par rapport aux régies publicitaires et aux médias, trouvez-vous la situation au Luxembourg: exemplaire, plutôt moyenne, carrément navrante?

M.S.: Nous avons d'excellents rapports avec la plupart des régies publicitaires. De là à savoir si elles ont toutes leur place ici? Elles sont là, point. Quels sont les enjeux entre les deux principales, et peut-on observer une mouvance? Il est vrai qu'IP semble avoir subi une légère perte alors qu'Espace Régie s'affirme. L'ISP, qui a rafraîchi sa démarche, se maintient dynamique. Il n'y a en tous cas pas de guerre entre les régies et les agences,  à nous d'agir.

Existe-t-il encore certains tabous au Luxembourg qui vous empêchent d'aller au bout de votre créativité, ou peut-on tout oser de nos jours au Grand-Duché?

Cl.M.: Un petit nichon, et c'est foutu!

M.S.: Et c'est Marie-Josée qui nous envoie une lettre.

Ch.M.: Déjà qu'il y a un Ministère de la Promotion Féminine, c'est se foutre un peu de la tronche de tout le monde.

On n'entend pas beaucoup parler des activités du Comité d'Ethique en matière de publicité. Pensez-vous que c'est parce qu'il n'y a pas grande utilité, ou au contraire avez-vous des exemples sur lesquels il aurait dû intervenir à votre avis, sans l'avoir fait?

M.S.: Soit il fait bien son travail, soit les agences font déjà leur propre censure.

Quel effet les nouveaux médias ont-ils sur votre travail'

Ch.M.: Eh bien, l'effet SMS, on en a beaucoup parlé?

M.S.: En 1922, un manuel a été édité qui a livré l'ensemble des recettes pour diffuser un message. Tout existait, mais la façon de publier le message est devenue plus technologique. Tout cela ne sert qu'à une chose: favoriser l'idée qu'on arrive à contracter le temps. Pour aller de plus en plus vite. Ca, c'est du nouveau média. Or, pour mettre en place de bonnes stratégies, on a besoin de temps.

C.M.: Toute la polémique autour de la Campagne du Ministère de la Santé qui nous a incité à utiliser les SMS, c'était parce qu'il restait une cible difficile à atteindre dans sa globalité. Par ce moyen, nous avons pu réaliser du "one to one". Il y a eu des réactions violentes, on s'est fait agresser sous prétexte que nous avions créé un précédent qui allait déclencher l'invasion des messages sur le portable.  En fait, nous avons  formulé cette proposition après avoir soupesé tous les paramètres de la communication. Il s'agissait d'un message de prévention, et par ce biais nous avons eu une pénétration forte, capable d'atteindre 270.000 personnes.

Lequel de vos concurrents se rapproche-t-il le plus dans son travail de ce qui vous semble idéal' Bref, avez-vous une admiration pour une agence en particulier, ou plutôt pour les actions ponctuelles de différentes maisons?

Cl.M.: De l'admiration, ce serait quand même un peu hard' Il y en a une que j'aime bien, mais elle se trouve au Brésil. Je dirais quand même qu'il y a de bonnes choses , faites et vues, au Luxembourg.

Ch.M.: Il y a néanmoins beaucoup de qualité produite sur la place.

S.M.: Ce sont les paramètres qui sont différents. Certaines agences sont plus créatives, d'autres ont une meilleure logistique.

Quelles sont vos perspectives personnelles, et comment voyez-vous celles du marché publicitaire au Luxembourg en général'

S.M.: La vigilance reste de mise, aucun état ne dure. Même si la tendance qui s'inscrit est plutôt positive, il faut néanmoins s'attendre aux contrecoups.

Cl.M.: Nous restons pourtant optimistes. Le pire, en fait, ce serait d'être en décalage personnel avec le reste du marché.