Nicolas Limbourg: « Nos intermédiaires privilégiés sont désormais spécialisés, comme les banques 
privées ou les family office.» (Photo: Luc Deflorenne)

Nicolas Limbourg: « Nos intermédiaires privilégiés sont désormais spécialisés, comme les banques 
privées ou les family office.» (Photo: Luc Deflorenne)

Depuis plusieurs mois, la Belgique fait beaucoup parler d’elle dans le secteur de l’assurance. Le législateur y a récemment pris plusieurs mesures que d’aucuns, au Luxembourg, qualifient de protectionnistes. De quoi alimenter un vif débat dans le chef des acteurs spécialisés dans les produits d’assurance vie distribués depuis le Grand-Duché en libre prestation de services (LPS) et souscrits par des résidents belges.

« Plusieurs mesures à tendance protectionniste ont été prises chez nos voisins. Cela a commencé en 2013, avec l’obligation pour les souscripteurs d’un contrat d’assurance vie de déclarer à l’administration fiscale les seuls contrats souscrits à l’étranger, et ce même si ceux-ci ne font l’objet d’aucun impôt, explique Nicolas Limbourg, CEO de VitisLife. À côté de cette législation, la Belgique a aussi limité l’accès à certaines catégories d’actifs éligibles dans un contrat d’assurance vie. Cette limitation va à l’encontre du principe de la LPS qui vise justement à élargir l’offre en matière d’assurance en autorisant la souscription de contrats d’assurance vie auprès de toute compagnie d’assurance européenne au vu des spécificités et des avantages de chacune des compagnies d’assurance, comme l’actionnariat ou le ratio de solvabilité, de la palette des produits proposés par ses soins et du cadre prudentiel qui l’entoure et notamment en termes d’actifs éligibles.»

Obstacles à la LPS

Cela fait beaucoup. Le secteur luxembourgeois de l’assurance-vie, qui s’appuie essentiellement sur la libre prestation de services pour commercialiser ses produits, a de quoi se poser des questions. Si, selon les acteurs, le modèle n’est pas remis en cause, il semble que certaines autorités, à l’étranger, s’attèlent à placer des obstacles à cette prospection transfrontalière. Or, le secteur au Luxembourg aurait quelques droits à faire valoir.

«En matière d’éligibilité des actifs sous gestion dans un contrat d’assurance vie par exemple, c’est le droit prudentiel qu’il convient de considérer. Selon les règles en vigueur, c’est donc le droit luxembourgeois qui prévaut. La Belgique ne devrait pas pouvoir interdire des catégories d’actifs éligibles», précise Bruno Gossart, head of legal & tax d’ING Life.

Le Conseil d’État belge, d’ailleurs, a émis des réserves avant le vote de cette mesure. Celles-ci n’ont tout simplement pas été prises en considération. Les acteurs luxembourgeois auraient donc, malgré tout, du mal à se faire entendre. Si ces réglementations peuvent apparaître comme des limitations à la LPS, la visée protectionniste, dans le fond, n’est pas toujours évidente et les législateurs étrangers se gardent bien de la présenter comme telle.

Les acteurs luxembourgeois regrettent ces initiatives, principalement parce qu’elles limitent les libertés de leurs clients. Aujourd’hui, les souscripteurs de contrat d’assurance vie au Luxembourg, ou tout du moins la clientèle cible, sont principalement des personnes fortunées, bien accompagnées et conseillées. Derrière leur contrat d’assurance vie, elles optent d’ailleurs le plus souvent pour un placement des primes versées dans des fonds internes dédiés gérés de manière discrétionnaire par de nombreuses banques privées luxembourgeoises. «Ces limitations sont d’autant plus regrettables que le Luxembourg, lui-même, dispose déjà d’une réglementation très précise et fournie en la matière», poursuit Bruno Gossart.

Craintes et contraintes

Le marché belge, d’un point de vue historique, est et reste important pour les acteurs de l’assurance vie au Grand-Duché de Luxembourg. Toutefois, il a fortement diminué ces dernières années. «Et notamment depuis l’introduction d’une taxe de 2% sur le montant des primes versées», explique Matthieu Meyer, relationship manager chez Farad International.

L’obligation de déclaration des contrats d’assurance souscrits à l’étranger a également eu pour effet de décourager certains clients. Et ce même si le mécanisme est tout à fait permis, le droit fiscal du pays de résidence étant respecté. «Mais l’obligation de cette déclaration, purement formelle, suscite une forme de crainte et exige plus de contraintes administratives dans le chef du client lambda», explique Nicolas Limbourg. «Les attaques contre le Luxembourg, très évoquées ces derniers mois, ne sont pas non plus étrangères à cette crainte», ajoute Matthieu Meyer.

Twin Peaks II, pour en venir à la dernière législation entrée en vigueur, ajoute une couche de contraintes supplémentaires, dans le chef cette fois de tous les intermédiaires en assurance, qu’ils soient Belges ou étrangers. Cette nouvelle réglementation définit plus précisément l’attitude que doivent adopter les intermédiaires vis-à-vis de leurs clients résidents belges.

«Elle introduit plus d’exigences en matière de formation et de connaissance des produits, exige une meilleure information à l’égard du client. Elle prévoit la mise en œuvre du devoir de diligence et de vigilance, ainsi que l’analyse du client. Elle exige aussi une mise en place d’une politique de gestion des conflits d’intérêts, la tenue d’un dossier client et l’envoi de rapports. Enfin, elle renforce la transparence sur les rémunérations perçues, notamment au niveau des commissions et avantages», résume Matthieu Meyer. Ces mesures doivent assurer une meilleure protection du client. Mais elles pèsent aussi lourdement sur les intermédiaires, ceux-là mêmes qui commercialisent les produits luxembourgeois sur le territoire belge.

Deux pas en avant, un en arrière

Dans les faits, avec Twin Peaks II, la Belgique a pris un peu d’avance sur les réglementations actuellement discutées au niveau de l’Europe, notamment au niveau de Mifid II (directive sur les marchés d’instruments financiers) et IMD2 (révision de la directive intermédiation en assurance). Au risque, d’ailleurs, d’adopter des exigences plus contraignantes que celles sur lesquelles déboucheront ces deux directives. Mais la Belgique a surtout comblé un retard persistant au niveau de l’intermédiation en assurance.

Le secteur de l’assurance vie au Grand-Duché de Luxembourg avait quant à lui pris conscience d’une réelle nécessité de transparence à l’égard de la clientèle. «Ces règles portées par Twin Peaks et les autres réglementations sont dès aujourd’hui déjà appliquées par les acteurs luxembourgeois, qui doivent répondre aux attentes d’une clientèle exigeante, fortunée et souvent très bien conseillée, précise Bruno Gossart. Le souci de transparence, avec des reportings clairs et réguliers, est pris en compte dans nos démarches auprès de nos clients depuis longtemps.»

Dès lors, quelles conséquences ces nouvelles exigences vont-elles avoir sur la distribution des produits luxembourgeois sur le marché belge? «Elles devront désormais être assumées par les intermédiaires. Compte tenu des efforts à réaliser, il est fort probable que les petits acteurs en souffriront. Le modèle devrait favoriser les structures de type banque-assurance», explique Nicolas Limbourg.

Recentré sur les grandes fortunes

Au niveau des intermédiaires, il faut en effet une certaine taille critique pour assumer les nouvelles et nombreuses démarches administratives exigées alors même que les réseaux de type banque-assurance ont déjà implémenté nombre de ces exigences au niveau de la commercialisation des produits bancaires. D’autant plus que Twin Peaks II introduit une notion de responsabilité dans le chef de l’intermédiaire, qui se voit attribuer la charge de la preuve en cas de problèmes. «De nombreux acteurs, de petite taille, devront choisir entre se regrouper ou disparaître», commente Bruno Gossart. C’est le client «affluent» qui, dans l’ensemble, se détourne des produits luxembourgeois. Avec Twin Peaks II, ce mouvement devrait s’accentuer à l’avenir. «Il apparaît évident que c’est un client que l’on touchera plus difficilement, commente Matthieu Meyer. En revanche, nos produits sont toujours très appréciés des clients plus fortunés, qui cherchent une expertise, de la flexibilité, un cadre réglementaire optimisé…»

À entendre plusieurs responsables du secteur, ces changements législatifs devraient presque être perçus comme des opportunités. «Aujourd’hui, l’activité de l’assurance vie au Luxembourg, comme la banque privée, s’oriente prioritairement vers une clientèle très fortunée, à la recherche de solutions et de services pointus, spécialisés, de prestataires capables de comprendre leurs attentes et d’y répondre», poursuit Nicolas Limbourg.

Autrement dit, déjà actuellement, les acteurs de l’assurance vie luxembourgeois ne comptent plus sur la collecte émanant des «petits» clients. Ils entendent aller chercher des primes autrement plus conséquentes. «À partir d’un certain niveau de prime, les exigences évoquées n’ont plus d’impact. En matière de transparence, le client préfère payer en honoraires plutôt qu’en commissions, afin de s’assurer un conseil de qualité. Le client est prêt à payer pour le service», explique Bruno Gossart.

Le modèle luxembourgeois, avec des acteurs désireux de travailler avec une clientèle plus fortunée, ne semble pas inquiété par des changements au sein de processus de distribution. «Nous travaillons de plus en plus avec des intermédiaires très spécialisés, comme des banquiers privés ou des family office, qui connaissent la valeur de nos solutions en matière d’assurance et les atouts qu’elles présentent dans une démarche de structuration ou de transmission du patrimoine, commente Nicolas Limbourg. Nos produits suscitent un grand intérêt dans le chef de cette clientèle et de leurs conseillers. Finalement, ces changements ont permis de replacer l’assurance comme un outil efficient de structuration du patrimoine et des actifs d’une clientèle internationale.»

Accompagner le changement

Si les intermédiaires en Belgique sont toujours intéressés à proposer des produits luxembourgeois à leurs clients existants, les acteurs de l’autre côté de la frontière doivent tout de même accompagner le changement. On regrettera, à cet égard, une forme de précipitation du côté des autorités belges, qui n’ont pas laissé le temps aux acteurs de terrain, et notamment aux intermédiaires, de s’adapter.

«Chaque acteur, en effet, doit remettre à jour l’ensemble de ses dossiers clients. Il a fallu aussi réadapter la documentation. C’est un travail documentaire et administratif considérable, pour lequel on n’a guère laissé de latitude. Même les autorités belges ont fini par admettre que les délais laissés ne permettaient pas d’assurer la transition. Pour l’ensemble des acteurs, il a fallu accompagner le mouvement, assurer une mise à jour», explique Matthieu Meyer.

Les changements réglementaires intervenant à l’étranger font cependant partie du jeu, pour toute structure basant son modèle économique sur la distribution en libre prestation de services. «Nous sommes habitués à devoir nous adapter sans cesse. Pour pouvoir proposer nos produits dans le respect du droit de chacun des pays dans lesquels nous avons des clients, nous avons rassemblé et développé des compétences et un réel savoir-faire au niveau juridique et fiscal. C’est aussi ce qui fait un des atouts du secteur de l’assurance vie au Luxembourg», conclut Nicolas Limbourg.

Rémunération

Interdiction ou réelle transparence

Avec IMD2 (Insurance Mediation Directive), le secteur de l’assurance craint de devoir faire face à la fin de la rémunération à la commission des intermédiaires.
Les législateurs européens ont en effet tendance à privilégier la rémunération du conseil effectué par l’intermédiaire, selon des honoraires clairement établis, plutôt que sa rémunération à travers le contrat d’assurance vie. Ce qui est regrettable, aux yeux des acteurs de l’assurance, c’est que finalement les autorités auraient tendance à préférer une interdiction pure 
et simple d’une rémunération à la commission à une réelle transparence. Si celle-ci est effective, le client devrait, toujours selon les experts 
du secteur, pouvoir choisir 
la manière d’envisager 
les choses, entre commissions et honoraires au bénéfice de son conseiller en assurance.

Éviter les zones d'ombre

Twin Peaks?

David Lynch n’est pour rien dans la dénomination de ce cadre réglementaire belge. Et ce n’est probablement pas en Belgique que l’on trouvera le meurtrier de Laura Palmer… Mais alors, pourquoi Twin Peaks ? C’est le nom qui a été choisi pour qualifier le modèle bipolaire de contrôle du secteur financier 
dès 2010 chez nos voisins. 
Il est assuré par la Banque nationale, puis par le FSMA, l’autorité des contrôles des services et marchés financiers. La première exerce un contrôle visant à préserver la stabilité macro- et micro-économique du système financier. La seconde assure la surveillance des marchés et le contrôle du respect des règles de conduite que les intermédiaires doivent appliquer pour assurer le traitement honnête, équitable et professionnel de leurs clients. Twin Peaks II vient renforcer ces règles. Pour une meilleure information et plus de transparence ? C’est le but avoué. La série télévisée, elle, a toujours préservé une part de mystère.