Paperjam.lu

 

Tout le monde se plaint des prix immobiliers. Toutefois, les chiffres qui permettraient d’évaluer le marché dans un contexte à la fois économique et international sont rarement avancés. Pourtant, il serait intéressant de dépasser l’anecdotique et de laisser la parole aux chiffres. Mais il ne suffira pas de comparer le prix du mètre carré à Bertrange avec celui de Fresnois-la-Montagne. Voici une première tentative de mise en perspective.

Le Premier ministre Jean-Claude Juncker déclare que la hausse des prix des logements a été le grand échec de son gouvernement. Le patronat estime que le coût du logement exerce une pression à la hausse sur les salaires. Tous les partis politiques promettent le logement abordable. On entend que les prêts hypothécaires d’une durée de 30 ans ne sont plus l’exception, et les jeunes familles ont l’impression amère que l’accès au logement est plus difficile pour eux qu’il ne l’était pour leurs parents. De nombreux compatriotes préfèrent fuir le pays et devenir, pour ainsi dire, frontaliers dans leur patrie.
Sans aucun doute, les prix sont élevés. Selon l’Observatoire de l’Habitat, le prix moyen d’une maison unifamiliale s’affiche actuellement à 599.000 euros, celui d’un appartement à 370.000 eu­ros.

Cela signifie-t-il pour autant que l’immobilier est cher au sens économique – c’est-à-dire en relation avec la situation économique du pays, en l’occurrence du revenu des résidents, et, dans une deuxième étape, en comparaison avec nos pays voisins ? (L’Observatoire ne publie malheureusement pas de chiffres sur d’autres pays.) Le magazine The Economist publie des indicateurs qui montrent l’évolution des prix immobiliers résidentiels en termes nominaux, réels, en relation avec les salaires et avec les loyers, pour 21 pays, à l’aide de séries chiffrées qui remontent jusqu’en 1975. Le vénérable hebdomadaire arrive ce faisant à la conclusion que, comparés aux fondamentaux économiques, les prix de l’immobilier se situent en terrain spéculatif dans 9 pays parmi les 21. Malheureusement, le Luxembourg ne fait pas partie des pays couverts par ces indicateurs.

Le Statec collecte deux séries de prix immobiliers (résidentiels et semi- ou non-résidentiels) sur base des transactions réalisées remontant jusqu’en 1975. Entre 1975 et 2010, les prix dans le secteur résidentiel ont été multipliés par 13, ce qui représente une progression annuelle moyenne de 7,40 %, avec une forte poussée entre 1998 et 2007.

Un rendement honorable, certainement, mais moins faramineux qu’on aurait pu le penser compte tenu des prix affichés dans les agences et de l’affolement du public.

La progression annuelle est légèrement supérieure à celle constatée dans nos pays voisins, mais très proche de celle en Belgique (6,27 %) et aux Pays-Bas (5,04 %). On se rend compte qu’une petite différence de croissance a des conséquences importantes sur le long terme. Notons que les taux de croissance sont très disparates à travers les pays, et n’atteignent que 2,1 % en Allemagne et 2,79 % en Suisse (voir graphique). Corrigé par l’inflation, le taux de croissance annuel des prix immobiliers est ramené à 3,69 %.

Comment se compare l’immobilier avec l’évolution économique du pays ? Sa progression est très en ligne avec le celle du Produit Intérieur Brut sur la période considérée, ce dernier montant de 7,43 % en moyenne annuelle à prix courants. Bien sûr, nous savons que le PIB n’est qu’une mesure très imparfaite du niveau de vie. Dans le cas du Luxembourg, il est notamment très différent du revenu des résidents en raison de l’apport important des non-résidents dans la production réalisée dans le pays.

Dans les profondeurs des bases de données de l’OCDE – un régal – se trouve également une série intitulée « Revenu disponible par tête aux prix du marché et en devise nationale ». Elle devrait donc a priori refléter l’évolution du niveau de vie et donc du pouvoir d’achat du citoyen. Pour le Luxembourg, le taux de croissance de ce revenu disponible s’élève toujours à 6,31 % sur la période considérée, ce qui signifie que les prix dans l’immobilier n’ont dépassé, sur les 35 dernières années, que de 1,03 % par an la progression du niveau de vie. Ainsi, rapportés aux revenus, les prix immobiliers luxembourgeois évoluent grosso modo en ligne avec ceux de la Belgique et de la France. En Allemagne et en Suisse par contre, l’immobilier est devenu nettement plus abordable au cours de cette période.

L’analyse n’est que partielle et il reste du travail à faire. Elle n’inclut pas l’évolution des loyers (faute de données), ni la comparaison internationale en termes de niveau des prix (par opposition à l’évolution historique) ; elle n’inclut pas les différences régionales, ni les disparités de revenus, ni les éventuelles différences de qualité au niveau des indices et des biens. Elle permet toutefois d’arriver à la conclusion que si les prix dans l’immobilier sont certainement élevés, ils ne sont pas déconnectés de l’évolution économique du pays et se trouvent, en termes relatifs, plutôt en ligne avec d’autres pays. Si les prix sont inabordables, ils l'étaient déjà il y a 35 ans.