Enron est un cas d’école du whistleblowing. Les irrégularités comptables avaient été dénoncées de l’intérieur. (Photo: Licence CC)

Enron est un cas d’école du whistleblowing. Les irrégularités comptables avaient été dénoncées de l’intérieur. (Photo: Licence CC)

Les lanceurs d’alerte ont régulièrement fait les gros titres ces derniers mois. Ces «whistleblowers», pour reprendre leur dénomination anglo-saxonne, dénoncent ce qui à leurs yeux contrevient aux droits fondamentaux, règles éthiques, morales ou plus simplement légales dans le cadre de l’entreprise. N’est toutefois pas Edward Snowden, révélé en tant que tel publiquement aux yeux du monde, qui veut. Les whistleblowers ont, plus qu’on ne le pense, leur mot à dire dans l’univers de l’entreprise. Le sujet était d’ailleurs au cœur de l’Afterwork Legal Event de la British Chamber of Commerce for Luxembourg, qui se tenait ce mardi soir au cabinet d’avocats Kleyr Grasso.

Lors de cet événement autour du thème «Whistleblowing: an increasing risk for companies?», trois associés du cabinet – Rina Breininger, Christian Jungers et Rosario Grasso – ont été invités à répondre à la question. «Cela ne fait que peu de temps, depuis 2011 précisément, que ce concept de whistleblowing a été introduit dans le droit luxembourgeois», précise Rosario Grasso, avocat à la Cour et très probable futur bâtonnier. «S’il est important aujourd’hui, c’est parce qu’il constitue un moyen de combattre la corruption, le trafic d’influence ou encore le blanchiment d’argent. Le législateur, aujourd’hui, permet à celles et ceux qui constatent des faits anormaux de les dénoncer auprès d’autorités ou d’un supérieur en étant protégés d’éventuelles représailles.»

Une exigence de la CSSF

La loi donne cette possibilité aux travailleurs. D’autres instances, comme la CSSF, exige de certaines catégories d’entreprises, comme les PSF, qu’elles intègrent cette possibilité au cœur de leurs procédures de gouvernance interne. L’enjeu est de faire prendre conscience aux employeurs de cette possibilité légale offerte aux salariés, afin qu’ils puissent en tenir compte dans leur modèle de gouvernance. «Des réponses doivent être apportées, pour permettre à l’employé de se sentir libre de dénoncer, en toute confidentialité, certains faits qui, à ses yeux, contreviennent à des principes éthiques ou légaux, ou de rapporter le fait qu’un tiers lui ait demandé de contribuer à de telles actions frauduleuses», précise Rina Breininger.

Des questions se posent encore aujourd’hui sur la possibilité donnée aux employés de dénoncer des faits anonymement – ce qui est loin de faire l’unanimité –, sur les garanties de confidentialité octroyées ou sur la protection des données. La Commission nationale pour la protection des données (CNPD) devrait d’ailleurs prochainement proposer une note répondant à ces questions. «Il est toutefois recommandé aux entreprises, quand cela n’est pas une nécessité, d’adopter des schémas permettant le whistleblowing et de le prendre en considération à travers des procédures, que celui-ci soit géré en interne ou par une instance externe», poursuit Rina Breininger.

De bonne foi et protégé

Dans tous les cas, devant un juge du travail, le lanceur d’alerte sera protégé. «Pour peu que son action relève, comme le précise la loi, de la bonne foi», indique Me Christian Jungers. «Il ne pourra donc pas être licencié pour avoir dénoncé un fait ou une suspicion. Et s’il devait être victime de représailles, le droit du travail lui donne la possibilité d’introduire un recours en justice, lui permettant de réintégrer son emploi ou de bénéficier de dommages et intérêts.»

Reste que les abus ne sont pas exclure, et que les employeurs, eux aussi, doivent pouvoir défendre leurs intérêts face à des dénonciateurs de mauvaise foi. Or, déterminer ce qui relève de la bonne ou de la mauvaise intention n’est jamais simple à déterminer. «Mais, avec des informations et des circonstances, directes ou indirectes, l’employeur pourra toujours tenter de convaincre le juge de la mauvaise foi du salarié, et obtenir gain de cause face à ce que l’on appelle des dénonciations calomnieuses», précise Rosario Grasso, qui rappelle en outre que de tels faits, une fois démontrés, peuvent aussi être poursuivis pénalement.