L'Administration des contributions directes devra désormais veiller au respect du principe de pleine concurrence dans les transactions entre parties liées, autrement dit les prix de transfert intragroupe. (Photo: Maison moderne / archives)

L'Administration des contributions directes devra désormais veiller au respect du principe de pleine concurrence dans les transactions entre parties liées, autrement dit les prix de transfert intragroupe. (Photo: Maison moderne / archives)

Petit à petit, le Luxembourg rentre dans le moule fiscal international. Dernier pas franchi: l’inscription dans la législation du principe de pleine concurrence concernant les prix de transfert intragroupe.

Une étape symbolique puisque la législation précédente en matière de prix de transfert a valu au Luxembourg le scandale retentissant des LuxLeaks à l’automne 2014 et également la requalification par la Commission européenne des rulings accordés à Fiat Finance & Trade en aides d’État.

«Entre-temps, il y a eu le plan d’action Beps et le Luxembourg a déjà mis en place un certain nombre de règles en matière de prix de transfert, notamment le nouvel article 56 de la loi sur l’impôt sur le revenu l’an dernier qui établit la définition d’une partie liée conforme aux principes de l’OCDE et donc la définition du principe de pleine concurrence», explique Me Sophie Balliet, avocate spécialisée dans les prix de transfert chez Allen&Overy.

Un forfait peu adapté aux risques réels

Le Luxembourg avait aussi mis en place une circulaire en 2011, à la demande de la Commission européenne, largement inspirée de la législation néerlandaise en la matière. Toute la discussion porte sur l’évaluation du capital à risque porté par la société de financement luxembourgeoise. Le principe d’une fixation forfaitaire du bénéfice était auparavant la règle, et le montant du capital à risque équivalait au volume le plus bas entre 1% du volume de financement et 2 millions d’euros.

«Le problème est que pour un financement de 3 milliards, le capital à risque restait limité à 2 millions d’euros et on pouvait considérer qu’aucun tiers indépendant ne serait jamais entré» dans cette transaction, explique Me Balliet. Or le principe de pleine concurrence promu par l’OCDE veut que chaque transaction entre parties liées, donc intragroupe, corresponde à une transaction qui aurait pu être menée par un tiers indépendant.

La circulaire publiée le 27 décembre par l’Administration des contributions directes vient entériner ce principe de pleine concurrence en faisant officiellement sauter le plafonnement à 1% ou 2 millions d’euros en vigueur. «Les seuils de 1%/2 millions d’euros disparaissent, il faudra déterminer par soi-même le montant de capital à risque en fonction des risques liés à l’activité de financement sous-jacente», précise Me Balliet.

Il faudrait trouver une méthodologie appropriée pour déterminer le capital à risque approprié en fonction des risques et des actifs sous-jacents.

Me Sophie Balliet, avocate chez Allen&Overy

Si la société de financement peut être assimilée à une banque, elle tombera sous le cadre réglementaire idoine, à savoir Bâle III qui prévoit un montant de capital à risque entre 8 et 11%. «Si la société n’a pas des fonctions et des risques similaires à ceux d’une institution financière, il faudrait trouver une méthodologie appropriée pour déterminer le capital à risque approprié en fonction des risques et des actifs sous-jacents.»

De fait, les avocats fiscalistes avaient senti le vent tourner et anticipé le changement des règles. «La tendance ces derniers mois allait plus dans le sens de ne plus prendre en compte le cap de 2 millions d’euros», mais plutôt celui de 1% ou «de déterminer un montant de capital à risque approprié en fonction des risques portés par la société de financement luxembourgeoise», indique Me Balliet. 

Une nouvelle ligne défendue dans un communiqué du ministère des Finances – fait rare lorsqu’une nouvelle circulaire de l’ACD est introduite -, qui précise que «le Luxembourg adapte ainsi son cadre juridique, pour tenir compte des dernières évolutions au niveau international et européen. Cette publication fait suite à des contacts avec les services de la DG Concurrence de la Commission européenne, qui ont permis de mettre au point le texte en question.»

Des règles validées par Bruxelles

Les nouvelles règles visées par Bruxelles coûteront certainement plus cher aux multinationales implantées au Luxembourg. Mais la nouvelle circulaire permet au Luxembourg de poursuivre sa double stratégie de dépoussiérage de sa législation (sous la pression internationale) et de préservation de la Place - comme le montre sa réticence devant le reporting public pays par pays, alors que le reporting pays par pays vient d'être adopté par la Chambre des députés.

«En mettant en place une telle analyse, la société de financement luxembourgeoise va devoir porter son propre risque de crédit, ce qui n’était pas vraiment le cas avant puisque le risque était limité à 1% du volume de financement ou 2 millions d’euros, donc ça accroît la substance au niveau du Luxembourg et c’est une bonne chose puisqu’on pourra plus difficilement remettre en cause de l’étranger les structures qui passent par le Luxembourg», commente Me Balliet.

«D’ailleurs la circulaire insiste beaucoup sur le personnel qualifié et les managers des boards qui doivent effectivement être qualifiés pour prendre un certain nombre de décisions et faire en sorte que la société de financement soit à même de prendre des risques et de les assumer.»