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Les acteurs luxembourgeois du courtage, principalement ceux de petite taille, sont inquiets. Un projet de loi, qu’ils jugent disproportionné et excessif, pourrait avoir des conséquences graves sur le développement de l’activité au Grand-Duché.

Alors que le dossier du statut de professionnel de secteur des assurances semblait bien ficelé et en bonne voie de concrétisation, certains courtiers ont jeté un pavé dans la mare en affichant leur inquiétude devant les nouvelles contraintes se profilant, estimant qu’il en va de la survie même de certains d’entre eux. 

Plus précisément, le mouvement est venu d’un courtier, Edouard Georges, gérant du bureau de courtage Luxembourg Insurance Brokers (LIB). « Alors que les courtiers ne sont pas inclus dans la liste des nouveaux PSA, nous serons tenus de remplir des conditions d’agrément et d’exercice similaires, en termes d’audit interne et externe, mais aussi au niveau du capital immobilisé, explique-t-il. Solvency II impose aux compagnies d’assurance de mieux couvrir les risques auxquels elles s’exposent, donc de pouvoir mieux les évaluer, afin d’immobiliser un capital suffisant pour assurer leur solvabilité. En tant que courtier indépendant, nous ne sommes que des intermédiaires, entre les clients et l’assureur. Notre activité est une activité de conseil et nous sommes d’ores et déjà obligés de couvrir le risque lié au conseil par une assurance de responsabilité professionnelle étendue. » 

Selon lui, beaucoup de petits courtiers ne comprennent donc pas la volonté du législateur qui, avec ces nouvelles contraintes, pourrait les pousser à fermer boutique, tout simplement. Ces contraintes sont de deux ordres. D’abord, le projet de loi fixe le capital immobilisé requis pour disposer de l’agrément délivré par le commissariat aux assurances, afin de pouvoir exercer une activité de courtage. Pour les personnes morales, le montant de l’assise financière sera de 125.000 euros. « Pour les petits courtiers, ou les personnes qui voudraient lancer une société de courtage, un tel capital est considérable, explique 
M. Georges. En cela, cette disposition pourrait être un frein au développement du marché sur le Luxembourg. Mais le plus gros problème se situe au niveau des nouvelles contraintes instaurées. » 

Incompréhension 

Dans les motivations du projet de loi, on peut lire, en effet, que « la soumission de l’agrément des différentes catégories de PSA et de courtiers à des conditions renforcées d’exigences financières, de reporting et de surveillance a également pour but d’éviter l’émergence de structures fragiles dont la défaillance aurait un impact négatif sur la réputation et la solidité de la place financière toute entière. » 

« On peut supposer, quand on lit le projet de loi, que les sociétés de courtage seront soumises à des exigences d’audits interne et externe et de reporting très onéreuses, à un point tel qu’elles grèveraient la rentabilité de tous les courtiers et risqueraient de détruire les petites structures actives en assurance IARD (Incendie, Accidents et Risques Divers) privée », commente M. Georges. 

Pour de nombreux courtiers, ces exigences sont injustifiées. « Aujourd’hui, le projet de loi laisse encore planer certains doutes sur son application sur le terrain, confirme Paul Hauffels, représentant de la Fédération des Courtiers en Assurances (FCA). Les conséquences de l’entrée en vigueur de ce projet de loi, du moins tel qu’il est formulé, sont dès lors difficiles à déterminer. On sait qu’il y aura des contraintes, mais l’application de la loi suivra. Toutefois, il faut s’attendre à des exigences lourdes en termes de gestion et coûteuses. » Face aux risques que pourrait engendrer cette modification légale, les deux associations professionnelles du secteur, la FCA et l’Ordre luxembourgeois des courtiers en assurances (OLCA), qui ont d’abord eu du mal à s’entendre sur la question, ont tout de même tenu à émettre un avis commun, critique, envers les intentions du législateur. Une association qui pourrait d’ailleurs être un premier pas vers une fusion pour la défense des intérêts commun de l’ensemble de l’activité de courtage. 

Cette nouvelle réglementation, ils la jugent « excessive et disproportionnée ». « Si l’on peut soutenir le législateur dans sa volonté de renforcer la place financière et le secteur des assurances, notre incompréhension relative aux mesures envisagées à l’égard des courtiers est réelle », appuie Raymond Lang, président de l’OLCA. 

Un des principaux reproches formulés réside dans le fait que le projet de loi ne fait pas la différence entre les courtiers de petite taille et les grands acteurs présents sur la Place, entre ceux qui encaissent des primes d’assurance et ceux qui ne le font pas. 

En fonction du risque 

La faculté des courtiers de pouvoir encaisser de primes est la principale raison invoquée par le CAA pour illustrer le risque que pourraient représenter ces acteurs en particulier. Or, selon les mêmes chiffres du Commissariat, détaillés dans le rapport annuel 2010 (le rapport 2011 est attendu courant septembre), 90,6 % des primes souscrites par les courtiers ont été encaissées directement par les compagnies d’assurance. « Seulement 10 % du total des primes émises sont donc encaissées directement par les courtiers. Les risques, pour le client comme pour la compagnie d’assurance, sont donc limités », estime Edouard Georges.

D’autre part, le risque sera proportionnel au montant des primes encaissées par l’un ou l’autre acteur. Dans la majorité des cas, les acteurs du marché seraient donc soumis à des contraintes mal adaptées : inutiles pour les courtiers qui n’encaissent pas de primes, trop lourdes pour les petits coutiers indépendants et les courtiers spécialisés en assurance IARD privée, qui encaissent peu de primes et trop faible, en termes de capital particulièrement, pour les grands courtiers qui encaissent des sommes importantes. « Sur un volume d’affaires de 3,1 milliards d’euros, 9,4 % (295,2 millions, ndlr) ont été encaissés directement par les courtiers en 2010. Environ 25 % des courtiers encaissent directement. Pour la majorité des courtiers, les assises financières prévues par le projet de loi sont inutiles. » 

Si un pépin devait survenir auprès d’un des grands coutiers en revanche, un capital de 125.000 euros pourrait s’avérer bien insuffisant. Alors que, pour un courtier indépendant, qui génère 250.000 euros de chiffre d’affaires par an, bloquer 125.000 euros de capital n’est pas forcément aisé. 

Dépenser encore plusieurs dizaines de milliers d’euros pour répondre aux procédures réglementaires, alors qu’il n’encaisse pas la moindre prime, n’est pas envisageable pour un courtier qui n’encaisse pas de primes. L’impact de ce projet de loi sur les petites structures n’a pas été évalué et le principe de « think small first » n’a pas été respecté. Tous les courtiers supporteront la même charge financière, qu’ils encaissent des primes ou non et quelle que soit leur taille. 

Peu d’impact sur les grands 

« Je peux me mettre à la place de mes confrères, courtiers indépendants, et comprendre l’inquiétude qu’ils ont à l’égard de ce projet de loi, commente Frederick Gabriel, directeur de Marsh Luxembourg, filiale luxembourgeoise d’un groupe figurant parmi les leaders mondiaux de l’activité de courtage.

ujourd’hui, en regardant le projet de loi, nous sommes déjà conformes aux nouvelles exigences, tant au niveau du capital qu’au niveau des procédures de contrôle internes et externes à mettre en œuvre. Pour nous, comme pour les autres grands acteurs de la Place, cette modification légale ne devrait pas avoir d’impact. Ce qui ne signifie pas que nous ne sommes pas solidaires de nos confrères. Je pense, face à la problématique soulevée, qu’il faut trouver une formule adaptée pour les diverses formes et tailles d’activités en la matière. » 

Marsh, en tant que courtier, encaisse des primes, dédommage ses clients, pour la plupart des entreprises. Pour Frederick Gabriel, il y a un intérêt clair à réguler, à protéger le métier et les personnes qui font confiance à un courtier. 

Fuite vers l’étranger 

À condition que les mesures soient adaptées. « Il y a de la place pour des courtiers professionnels quelle que soit leur taille. L’important est de préserver ce marché du courtage, qui apporte un réel know-how pour le secteur de l’assurance, explique-t-il. Il ne s’agit ici que d’un projet de loi, et je reste persuadé que les petits acteurs auront la possibilité de faire entendre leur voix auprès des autorités, qui ont montré à plus d’une reprise par le passé qu’elles pouvaient mettre en œuvre les meilleures solutions pour tous. » 

Les représentants des petits courtiers, jugeant le législateur peu inspiré sur ce coup-là, avancent d’autres formules pour à la fois répondre aux nouveaux besoins de régulation et préserver la rentabilité des acteurs. Ils espèrent, à travers la FCA et l’OLCA, faire entendre leurs voix. Du reste, le premier avis émis par la Chambre de Commerce a largement repris les motifs de leurs inquiétudes. « Sans doute vaudrait-il mieux envisager que de nouvelles exigences portent sur les courtiers encaissant des primes et que l’on contraigne ces derniers à capitaliser de manière proportionnelle au montant des primes qu’ils encaissent, explique Paul Hauffels (FCA). La garantie proportionnelle aux montants encaissés est mieux adaptée pour protéger les clients contre l’incapacité du courtier de transférer les montants encaissés. Des formules similaires, dans d’autres pays de l’Union, fonctionnent de cette manière. » 

L’enjeu est important. Les deux associations professionnelles craignent que les mesures proposées n’éliminent nombre de courtiers fournissant un travail de qualité et ne permettent plus, à l’avenir, l’établissement de société de courtage par de jeunes entrepreneurs luxembourgeois.

Une autre conséquence pourrait être une fuite des courtiers à l’étranger, créant une distorsion de la concurrence pour les acteurs de la Place. « La réglementation européenne exige de la part de chaque autorité de surveillance nationale d’accepter l’établissement de succursales de courtiers étrangers, explique Raymond Lang (OLCA). Nous redoutons donc que les courtiers luxembourgeois, avec cette réglementation, voient leur compétitivité réduite, alors que les courtiers allemands, français ou belges seront en mesure d’offrir les mêmes services à travers une succursale luxembourgeoise ou en libre prestation de service, sans pour autant subir les coûts de la réglementation nationale luxembourgeoise. » 

Si le projet de loi, en l’état, devait être voté, les courtiers de la Place sauraient tout du moins où aller s’installer.

 

 

Marché - Compagnies peu enchantées

De nombreuses interrogations ont été soulevées avec ce projet de loi. L’une d’entre elles porte sur la volonté du gouvernement d’astreindre les courtiers et non l’ensemble des intermédiaires, en ce compris les agents d’assurances, à des contraintes plus importantes. D’aucuns pourraient voir, là, la conséquence d’un lobby des compagnies d’assurance, voulant préserver un marché luxembourgeois sur lequel les agents d’assurance continuent à occuper une place prédominante. « On pourrait en effet le penser, confirme Raymond Lang, président de l’Olca. Mais on a découvert que les assureurs n’étaient pas plus enchantés que cela par ces modifications envisagées. On constate que, au niveau des entreprises, le courtier est devenu un interlocuteur privilégié quand il s’agit de se couvrir de manière optimale. Le projet de loi, par ailleurs, ouvre la porte aux acteurs en libre prestation de service et, par là, un accès plus aisé aux produits qui ne sont par inscrits au Luxembourg. Pour les compagnies d’assurances, voir disparaître ou s’en aller les courtiers luxembourgeois, c’est risquer de voir partir aussi certains contrats. » 

 

Mesures - Privilégier la formation

Si l’OLCA et la FCA sont critiques envers le projet de loi tel que présenté, les deux associations se disent favorables à toute initiative tendant à l’amélioration de la qualité du service proposé, des formations des professionnels et des garanties aux clients. « Le secteur se porte bien, assure Paul Hauffels, président de la FCA. Le courtage, aujourd’hui, crée une véritable valeur ajoutée, notamment au niveau des entreprises, au sein d’un marché de l’assurance qui a longtemps été dominé par les agents. On ne comprend pas pourquoi on voudrait anéantir une activité qui se porte bien. Au contraire, il faudrait l’aider à prospérer au Luxembourg, et pas ailleurs. Pour nous, cela passe peut-être pas de meilleures exigences, en termes de formation, de meilleures échanges entre les acteurs et les autorités. Sur ce projet de loi, rappelons-le, elles n’ont pas consulté les représentants du courtage. L’amélioration du métier et de l’activité ne passe pas par des exigences supplémentaires visant à mieux maîtriser un risque qui, selon nous, l’est déjà. »