Des fonds proposent d'investir dans les chevaux de course. Attirant, mais pas sans danger. (Photo: Shutterstock)

Des fonds proposent d'investir dans les chevaux de course. Attirant, mais pas sans danger. (Photo: Shutterstock)

Le ministre des Finances a déposé le 18 janvier dernier à la Chambre des députés un projet de loi destiné à mieux encadrer certains fonds d’investissement, notamment ceux liés à des actifs tangibles comme le vin, les diamants ou même les chevaux de course. Avec en arrière-plan les déboires qu’avait connus sur le marché le fonds Nobles Crus (proposé par Elite Advisers), en raison des difficultés de valorisation de ce genre d’actifs.

Le gouvernement veut aussi davantage réglementer le cadre dans lequel se meuvent les différents types d’investisseurs, les «avertis» et les Monsieur et Madame Tout-le-Monde qui ont besoin de davantage de protection de la part du régulateur du secteur financier, la CSSF. Il s’agit enfin d’adapter la législation sur les fonds d’investissement spécialisés aux textes européens.

Dans un entretien à Paperjam.lu en février, peu avant son départ de la CSSF qu’il dirigeait depuis 2009, Jean Guill indiquait que le régulateur essayait «de faire beaucoup plus de distinction entre ce qu’il est permis d’offrir aux investisseurs professionnels et ce qu’il est interdit de vendre aux investisseurs de détail». «Chaque fois que le déposant de détail est impliqué, nous exigeons davantage de protection», soulignait-il encore en évoquant deux des chantiers de la place financière: un premier sur la création des fonds alternatifs réservés (Fiar), et un contrôle très léger du régulateur (avec une «police à l’entrée» sur la société de management, mais pas sur le fonds lui-même), et un second, qui en serait la «contrepartie», selon Jean Guill, réservant les fonds d’investissement spécialisés (Fis) aux clients avertis ou professionnels. À moins d’une dérogation de la CSSF pour ouvrir le produit à des investisseurs lambda.

Droit de veto

«Il y a deux facettes. Avec le projet de loi sur les fonds alternatifs réservés, nous ne contrôlerons plus le produit, mais celui qui le vend. Il y a là plus de liberté. Les investissements dans du vin, des diamants ou des chevaux, difficiles à liquider et encore plus à valoriser, seront réservés aux investisseurs professionnels», indiquait Jean Guill, ajoutant que la CSSF allait devenir «plus stricte pour les investissements faits par Monsieur ou Madame Tout-le-Monde».

La surveillance des fonds d’investissement spécialisés par la CSSF sera donc renforcée. Elle se verra ainsi attribuer une sorte de «droit de veto» sur les actifs dans lesquels ces fonds pourront investir. Il s’agit de protéger les investisseurs « normaux » qui sont tentés de placer leurs économies dans des produits à la mode comme les fonds «atypiques» investissant dans des actifs «tangibles». En principe, seuls les investisseurs avertis pourront y placer de l’argent.

«Dans un environnement de taux d’intérêt très bas, la recrudescence des fonds d’investissement spécialisés investissant dans des actifs tels que le vin, les diamants, les contrats d’assurance, les droits économiques de joueurs de football, les œuvres d’art, les objets de collection ou les animaux s’explique en partie par la recherche de rendement par les investisseurs», indique l’exposé des motifs du projet de loi. «Investir dans de tels fonds peut s’avérer très risqué et illiquide et ne convient dès lors pas à tout investisseur, même si cet investisseur se qualifie d’averti au sens de la loi modifiée du 13 février 2007 relative aux fonds d’investissement spécialisés», poursuit le texte. Aussi, les Fis dits «atypiques» seront-ils désormais réservés aux investisseurs professionnels qui sont censés disposer de l’expérience, des connaissances et des compétences pour évaluer correctement les risques encourus.

En contrepartie, un Fis pourra investir dans tout, ses horizons de placement étant illimités, pour autant que ses cibles ne soient pas des gens comme tout le monde. L’article 19 du projet de loi dispose ainsi qu’un Fis «peut investir dans tout type de valeur s’il réserve ses titres ou parts d’intérêts à des investisseurs professionnels (…) et qui font supporter les risques liés à cet investissement à des investisseurs non professionnels».

Les fonds atypiques destinés à des clients «conventionnels» sont actuellement légion, il n’est pas question de les rayer d’un trait de plume du jour au lendemain. «Comme certains fonds d’investissement spécialisés autorisés, qui sont accessibles à des investisseurs non professionnels, seront impactés par ces restrictions, notent les auteurs du texte, le projet de loi prévoit que le règlement CSSF pourra établir des exemptions (pour les Fis ou compartiments de Fis) qui, en conformité avec leur document d’émission, ont investi dans des actifs qui ne seront plus éligibles suite à l’entrée en vigueur du règlement CSSF.»

Le projet de loi initié par les services de Pierre Gramegna devrait par ailleurs faciliter la vie aux organismes de placement collectif de type «fermé», relevant de la partie II de la loi du 17 décem­bre 2010 sur les OPC. Un fonds fermé est un fonds dont les parts ne peuvent pas être rachetées directement ni même indirectement à la demande des investisseurs. Il en existe essentiellement dans l’immobilier.

Or, la loi de 2010 sur les OPC les oblige à émettre des parts ou actions à un prix obtenu en divisant la valeur de l’actif du fonds par le nombre de parts en circulation, ce prix pouvant être majoré de frais et commissions (les maxima et modalités de prélèvement peuvent être fixés par un règlement de la CSSF), c’est-à-dire sur base de la valeur nette d’inventaire (VNI), ce qui «n’est plus adapté aux besoins du marché», selon le projet de loi. Le texte veut y remédier en leur permettant d’émettre ces parts ou actions à un prix établi conformément à leurs documents constitutifs.

Contraintes inappropriées

L’approche serait particulièrement «inappropriée» pour les fonds fermés, qui sont en général cotés (et leurs prix d’émission basés sur le cours de bourse et non la VNI) ou qui sont des fonds de private equity. Dans le cas des fonds immobiliers de type fermé, le cours de bourse est en général moins élevé que la VNI, surtout lorsque ces produits font un recours important à l’emprunt. Difficile pour eux de lever de nouveaux capitaux dans un cadre légal actuel les obligeant à émettre leurs parts à un prix équivalent à la VNI.

Les fonds de private equity, non cotés et fermés, rencontreraient des problèmes identiques, en particulier ceux qui ont une durée de vie limitée, investissant dans des actifs illiquides et dans lesquels les engagements des investisseurs arrivent progressivement pour financer de nouvelles acquisitions et dont les produits de désinvestissement sont répartis sur base d’une distribution en cascade.

L’obligation pour ce type de fonds de prendre la VNI comme prix de souscription ne fait pas de sens et «engendrerait un traitement inégalitaire des investisseurs», selon les commentaires du projet (probablement inspirés eux-mêmes par l’industrie du private equity), étant donné que la VNI de départ a tendance à baisser après le lancement du fonds, compte tenu des frais importants qui y sont associés. Ainsi, les investisseurs initiaux sont pénalisés en payant «une prime injustifiée» par rapport à ceux qui arrivent après et souscrivent sur la base d’une VNI moindre.

Le changement de régime devrait être particulièrement opportun à la promotion des Fonds européens d’investissement à long terme (Eltif), présentés comme les futurs produits phares de la place financière de Luxembourg. Un règlement de l’UE d’avril 2015 (donc d’application immédiate) vise la promotion des marchés secondaires pour l’achat et vente de parts ou actions d’Eltif par les investisseurs de détail. Les fonds d’investissement de la partie II de la loi OPC permettraient une structuration de ces Eltif cotés. Et pour en favoriser le développement, les restrictions à la fixation du prix de souscription sur base des VNI «doivent être supprimées», plaident les rédacteurs du projet de loi.

Les avis du Conseil d’État et de la Chambre de commerce sont particulièrement attendus.

Produit hybride
Eltif, mode d’emploi

C’est par un règlement communautaire d’avril 2015 que sont nés les Eltif, les fonds européens d’investissement à long terme. Il s’agit d’instruments financiers de type fonds alternatifs devant investir au moins 70% de leur capital dans des instruments de capital ou de dette et/ou actifs d’une valeur d’au moins 10 millions d’euros nécessitant du capital à long terme. Ne pouvant être gérés que par un gestionnaire autorisé par la directive AIFM, les Eltif ne peuvent pas, en règle générale, investir plus de 10% de leur capital dans une même entreprise, un même actif physique ou un seul et même Eltif. «Les Eltif constituent le 1er produit hybride européen conçu à la fois pour les investisseurs institutionnels et de détail, une base d’investisseurs plus large devant permettre de lever davantage de capitaux pour les entreprises européennes», indique une brochure explicative éditée par le cabinet d’avocats d’affaires Clifford Chance en décembre dernier. De son côté, l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement y voit une opportunité de renforcer la position du Luxembourg «comme centre européen de premier plan» pour ces fonds à long terme. Une restriction tout de même: l’entreprise visée par un tel fonds doit être non cotée ou bien être une PME dont la capitalisation boursière ne dépasse pas 500 millions d’euros.