Jean Guill, directeur général de la CSSF, s'est voulu rassurant quant à la transposition luxembourgeoise de la directive Barnier. (Photo: Charles Caratini)

Jean Guill, directeur général de la CSSF, s'est voulu rassurant quant à la transposition luxembourgeoise de la directive Barnier. (Photo: Charles Caratini)

Comme toutes les réformes évoquées depuis plusieurs années, elle continuera à faire débat même après son entrée en vigueur. Après deux ans et demi de gestation, à quelques mois de sa mise en application – le 17 juin 2016 – la réforme du marché européen de l'audit suscite toujours de nombreux commentaires en raison des questions qui subsistent autour de ses modalités d'application.

D'où l'idée de l'Institut des réviseurs d'entreprise (IRE) qui, quelques jours après les festivités de son trentenaire, avait convié ses membres jeudi pour une conférence sur le sujet. Parmi les interventions attendues lors de cette session organisée dans l'ancien Hémicycle du Parlement européen, celle de Jean Guill, le directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) n'était pas la moindre.

La CSSF est en effet chargée de composer, avec l'aide d'un groupe de travail où l'on retrouve des représentants de l'IRE, le projet de loi qui portera transposition des éléments de la directive européenne et de son règlement ad hoc. «Il faut garder en mémoire que l'objectif est de restaurer la confiance dans les marchés financiers», a tenu à rappeler Jean Guil en préambule d'une intervention.

La CSSF rassure

Sans vouloir déflorer les prochaines discussions qui consisteront à retoucher la loi du 18 décembre 2009 qui avait servi à transposer la précédente directive et qui sera la base pour retranscrire en droit luxembourgeois la réforme Barnier, Jean Guill a livré quelques premières indications sur les orientations de la CSSF. Plutôt dans le sens voulu par les professionnels.

Concernant le champ d'application des entités d'intérêt public qui implique de devoir se soumettre à la nouvelle législation, Jean Guill estime qu'il n'est «pas forcément compatible avec la nature des fonds d'investissements, surtout si cette nature est celle d'un OPCVM», statut qui a fait le succès de l'industrie luxembourgeoise cross-border. «Il ne serait cependant pas inopportun de réfléchir à certaines extensions de la notion, par exemple dans le cas d'une holding qui est la tête d'un groupe bancaire ou d'assurance et qui est quant à lui considéré comme entité d'intérêt public.»

Autre élément important à débattre dans les prochaines semaines: la durée de rotation externe des mandats d'audit. Comme l'avait montré André Kilesse, le président de la Fédération des experts-comptables européens quelques minutes plus tôt, chaque pays dispose de ses propres traditions en la matière et va probablement profiter des latitudes laissées dans la transposition de la directive pour fixer cette rotation sur les pratiques existantes. La durée maximale de 10 ans, renouvelable une fois suite à un appel public, semble être une bonne approche pour le directeur général de la CSSF. «Il ne faut pas mettre en place de disposition plus contraignante, car les entités d'intérêt public ont déjà adopté des principes de bonne gouvernance qui préconisent la rotation externe de cabinets sur des périodes plus courtes en pratique.»

Faire confiance aux praticiens

Jean Guill a également précisé vouloir faire confiance aux auditeurs et ne pas penser devoir étendre la liste des services qui leur seront prohibés à l'avenir, certains États européens se montrant plus restrictifs. «Il me paraitrait plus adéquat d'opter pour une épreuve d'aptitude pour évaluer rigoureusement que le candidat a la bonne connaissance des particularités de la législation grand-ducale», ajoutait Jean Guill quant aux modalités d'accès d'un auditeur étranger qui pourra, via la nouvelle directrice, viser des comptes d'entités luxembourgeoises. Sous conditions.

C'est donc une approche «du terrain», teintée de pragmatisme, qui se profile pour la version luxembourgeoise de la transposition de cette réforme, sur base des indications fournies hier par le représentant de la CSSF.

Des premières indications qui ont plutôt rassuré les participants à la table ronde organisée dans la foulée avec André Kilesse, John Li (membre du Conseil de l'Institut luxembourgeois des administrateurs et ancien managing partner de KPMG Luxembourg), Pit Hentgen (directeur général, La Luxembourgeoise), Philippe Meyer et Werner Weynand (réviseurs d'entreprises agréés), sous la modération de Jean-Michel Gaudron, rédacteur en chef de Paperjam.

Un échange durant lequel les praticiens de l'audit ont plaidé pour les normes et règlements existants et qui garantissaient, dans la pratique, certains principes énoncés dans la directive. Dont celui de la rotation externe qui a fait débat. «Les mandats longs risquent de verrouiller le marché, ce qui veut dire qu'il sera plus difficile pour les sociétés qui ne sont pas une Big Four de développer les compétences nécessaires», relevait Pit Hentgen. «Le principe de rotation au bout d'un certain temps est un bon principe qui est déjà appliqué, mais je ne suis pas sûr qu'il faille légiférer sur un nombre limité d'années», estimait John Li.

Éviter les effets contreproductifs

En pointant l'exemple de Solvency II, M. Hentgen a mis le doigt sur le volume global de réglementation auquel doit se soumettre le secteur financier dans son ensemble. «La crise a trouvé ses origines aux États-Unis, pourquoi l'Europe va-t-elle plus vite que les États-Unis (en matière de régulation, ndlr), alors que par le passé la situation était inverse», s'interrogeait Werner Weynand.

Outre des principes avec lesquels ils savent qu'ils devront composer, les auditeurs craignent surtout des effets contreproductifs générés, par exemple, par des mesures d'applications variant entre les différents pays. Ce qui pourrait entraîner des imbroglios lors dans le cas de groupes présents sur différentes localisations, mais appliquant la législation du pays de la maison-mère. Un cas qui sera probablement amené à se produire au Luxembourg.