Le Premier ministre de Malaisie, Najib Razak, au cœur du scandale 1MDB après un don de près de 700 millions de dollars reçu de la famille royale saoudienne pour son soutien à un islam modéré. (Photo: Licence CC / Wikipedia.org)

Le Premier ministre de Malaisie, Najib Razak, au cœur du scandale 1MDB après un don de près de 700 millions de dollars reçu de la famille royale saoudienne pour son soutien à un islam modéré. (Photo: Licence CC / Wikipedia.org)

La justice luxembourgeoise se saisit enfin d’un tentaculaire scandale de corruption d’une ampleur sans précédent touchant la Malaisie et éclaboussant plusieurs places financières, dont celles de Suisse, de Singapour et du Grand-Duché et touchant plusieurs pays (Royaume-Uni et États-Unis entre autres). Le nom de l’actuel premier ministre de Malaisie Najib Razak a été cité dans ce scandale. Il aurait empoché près de 700 millions de dollars. Mais les autorités de Kuala Lumpur l’ont disculpé, affirmant que les fonds correspondent à un don de la famille royale saoudienne dans le but de promouvoir un islam modéré.

Toutefois, des doutes subsistent quant à la réalité de ce don, la famille royale n’ayant pas confirmé cette version. Des pistes, qui conduisent déjà en Suisse, pourraient aussi mener au Luxembourg pour retracer des flux financiers de l’argent de la corruption.

Jeudi, le Parquet de Luxembourg a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire contre inconnu suite aux révélations sur les détournements allégués au préjudice du fonds souverain malaisien 1Malaysia Development Berhad (1MDB). Une enquête menée pour «blanchiment de fonds susceptibles d’émaner du détournement de deniers publics», signale le communiqué du Parquet.

Les autorités luxembourgeoises se concentreraient sur des transactions réalisées en 2012 et 2013 à partir du compte auprès de la Banque privée Edmond de Rothschild Europe lié à un ressortissant d’Abu Dhabi et ancien dirigeant de la société publique Aabar, Khadem Al Qubaisi.

«L’instruction», indique le communiqué du Parquet, «vise notamment à retracer l’origine de quatre virements au cours de l’année 2012 et d’un virement en début de l’année 2013 pour un montant total de plusieurs centaines de millions de dollars, à destination d’une société offshore disposant d’un compte auprès d’une banque de la Place.» En l’occurrence, la Banque privée Edmond de Rothschild Europe. Contacté par Paperjam.lu, l’établissement n’a pas souhaité faire de commentaire à ce stade.

Quatre milliards de dollars de dommages

Les enquêteurs luxembourgeois ont découvert des «indices concrets» de détournements de fonds commis au détriment de sociétés détenues par l’État malaisien par le biais de «différentes sociétés offshore disposant de comptes à Singapour, en Suisse et au Luxembourg», précise le communiqué du Parquet luxembourgeois. «Les faits allégués concernent notamment des sommes payées lors de l’émission de deux emprunts obligataires en mai et octobre 2012.»

Il s’agit d’un des volets du scandale 1MDB, qui en comprend plusieurs tant l’affaire qui éclabousse la Malaisie est tentaculaire.

La justice luxembourgeoise renvoie ainsi à un communiqué du 26 janvier dernier du ministère public de la Confédération suisse, qui enquête depuis août 2015 sur la disparition de 4 milliards de dollars du fonds public 1MDB. La justice helvétique évoquait alors quatre schémas de détournements entre 2009 et 2013.

Dans la ligne de mire, des investissements réalisés en relation avec le groupe pétrolier PetroSaudi, SRC, une filiale de 1MDB, Genting Group/Tanjong, le premier étant un conglomérat actif dans les jeux de hasard et l’industrie, qui aurait mis à disposition des millions de dollars au Premier ministre malaisien selon la presse internationale, et le second contrôlé par un milliardaire de Malaisie suspecté, lui, de surfacturation au détriment du fonds souverain, et, enfin, le fonds Abu Dhabi Malaysia Investment Co. (Admin, codétenu par 1MDB et Aabar Investment, cette dernière appartenant au fonds souverain de Dubaï.)

Et Khadem Al Qubaisi a été le grand patron de Aabar avant de s’en faire limoger. Son nom apparaît d’ailleurs jusqu’en août 2012 dans une antenne luxembourgeoise d’Aabar, Aabar Block sarl, alors domicilié 15, rue Edward Steichen. Il a été remplacé à la tête de l’entité luxembourgeoise par le boss d’Aabar lui-même, un certain Mohamed Badawy Al-Husseiny. Le site d’investigation Sarawak report a révélé ce mercredi que Al-Husseiny a été arrêté à Abu Dhabi et qu’il devrait être transféré prochainement aux États-Unis, qui ont demandé son extradition en relation avec le scandale 1MDB.

PetroSaudi Leaks

Dans son édition du 16 mars dernier, Sarawak Report fait état de documents de transferts de fonds entre des banques américaines et la Banque privée Edmond de Rothschild Europe (BPEDRE) via notamment une société des BVI, Vasco Investment Services, liée à Khadem Al Qubaisi et totalisant un demi-milliard de dollars.

Le nom de Marc Ambroisien, ancien dirigeant de BPEDRE, qui a quitté «avec effet immédiat» la banque en septembre 2015, apparaît dans des transactions. Le site sarawakreport.org a aussi révélé l’existence d’un courriel du banquier luxembourgeois ayant trait à une opération entre Khadem et l’homme d’affaires malaisien Jho Low, proche de 1MDB mais aussi du Premier ministre Najib Razak. Le banquier y lance un «warning» sur un risque de saisie des fonds s’ils devaient passer par certains établissements.

Un autre facsimilé révèle l’achat par Al Qubaisi d’une Aston Martin grise, pour 110.000 euros hors taxes, destinée à être livrée à son nouveau propriétaire, Marc Ambroisien. Le site s’interroge sur la raison d’un tel cadeau fait par l’homme d’affaire des Émirats à son banquier luxembourgeois.

Le scandale 1MDB prend son origine à Genève, rapporte le quotidien suisse Le Temps, dans son édition du 12 février 2016. L’ancien dirigeant de PetroSaudi à Genève, le Suisse Xavier Justo, a substilisé 9 Gigabits d’informations confidentielles, soit quelque trois millions de courriels, à son ancien employeur. Des données qui ont été à l’origine de l’enquête suisse l’été dernier. Justo purge actuellement une peine de trois ans de prison à Bangkok précisément pour ce vol d’informations. Les données ont été livrées entre autres à une journaliste britannique, Clare Rewcastle Brown, belle-sœur de l’ex-Premier ministre Gordon Brown.