Mario Draghi a surpris l'ensemble des observateurs avec ses mesures de quantitative easing. (Photo: BCE)

Mario Draghi a surpris l'ensemble des observateurs avec ses mesures de quantitative easing. (Photo: BCE)

Coup de tonnerre dans l’action de la BCE. À la surprise générale, la réunion de jeudi dernier, qui devait être une formalité, a vu la BCE agir vigoureusement sur la politique monétaire, même si cela était inscrit dans les faits évoqués lors de la réunion des gouverneurs des banques centrales à Jackson Hole. Mario Draghi avait confirmé que la BCE travaillait sur le rachat d’ABS, alors qu’en fait le travail était tout prêt. Au passage, les taux, qui étaient pratiquement à zéro, sont ramenés à un double zéro… et surtout les dépôts des banques auprès de la BCE sont encore plus négatifs à -0,20%, pour inciter les banques à utiliser plus intelligemment leur cash. Pour mettre encore plus de liquidités, la BCE achètera des crédits hypothécaires, ce que faisait régulièrement notre ami Bernanke jusqu’à récemment. Non content d’annoncer toutes ces mesures, M. Draghi a confirmé que les membres du Conseil étaient tous d’accord pour utiliser des nouvelles mesures non conventionnelles afin d’éloigner le spectre de la déflation.

Ainsi, après les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon, l’Eurozone est la dernière à implémenter un programme de QE à l’Européenne, car malheureusement la BCE ne peut pas tout faire statutairement en raison des politiques économiques et fiscales indépendantes des 18 membres de l’Eurozone.

Dépréciation bienvenue

Comme au Japon, ce coup de tonnerre s’est accompagné d’une dépréciation bienvenue de l’euro, alors que le marché avait déjà entamé le mouvement de correction. L’euro a touché presque les 1,29 dollar en séance, et corrige donc de 6% depuis le début de l’année et de 3,5% par rapport à la livre anglaise, très importante pour les exportations. Cette dévaluation par rapport au dollar entraîne de facto une meilleure compétitivité par rapport aux devises chinoise, japonaise et australienne. C’est un ballon d’oxygène non négligeable pour retrouver un peu de compétitivité sans douleur pour les pays du Sud.

Inutile de dire que cette action paraissait indispensable dans une Europe qui sombrait inéluctablement dans la déflation avec une croissance économique plus qu’anémique. Le dernier chiffre de l’inflation affichait 0,3% de hausse sur un an alors que la croissance économique à travers l’Eurozone était totalement absente au 2e trimestre et, pour la première fois, même l’Allemagne a ressenti le froid qui soufflait en partie de l’Ukraine et la Russie. Pour l’ensemble de 2014, on sera content si la hausse se stabilise à 1% pour l’Eurozone comme le prévoit le consensus.

Avant des États-Unis dans le cycle

Heureusement que les États Unis sont passablement en avance sur le cycle économique et leur inflation se rapproche de l’objectif de 2%. La Fed pour le moment a les yeux entièrement braqués sur le marché de l’emploi qui donne des signes de faiblesse surtout au niveau qualitatif, comme l’emploi subi à temps partiel ou la mobilité des salariés. Plus grave encore, le salaire horaire moyen a évolué au rythme de l’inflation, pas plus, et le pouvoir d’achat est stagnant pour la grande majorité de la population alors qu’en haut de l’échelle les «rémunérations» se sont envolées, ce qui signifie que les emplois créés sont à faible valeur ajoutée. Janet Yellen, présidente de la Fed, reste donc très prudente dans sa politique monétaire et a laissé entendre que celle-ci resterait accommodante encore très longtemps.

L’Eurozone au bord de la déflation. L’Amérique mieux lotie.

La politique monétaire agressive des banques centrales se traduit par une chute accentuée des rendements des emprunts d’État à long terme, qui sont le moteur des marchés actions. Nous observons surtout des emprunts à 30 ans où des investisseurs à la recherche de quelques maigres points de rendement se contentent de toucher un coupon de 3,21 dollars pendant 30 ans avant d’être remboursés in fine avec tous les aléas qu’une période aussi longue peut comporter. Pour les emprunts en euro, c’est bien pire: un coupon de 1,90 euro pendant 30 ans et encore… il était tombé à 1,75. Si on veut placer à 10 ans, on est tombé à moins de 1% pour l’obligation allemande. La baisse des taux longs a poussé les investisseurs à aller chercher de plus en plus de risque sur les marchés des taux avec les spreads qui rappellent ceux d’avant la crise que ce soit au niveau de l’Espagne ou de l’Italie, ainsi que la recherche de placements corporate qui offrent de moins en moins de prime de risque.

La plupart des actifs sont à des niveaux de prix très élevés, y compris l’immobilier dans certains pays… dont la rentabilité n’a pas cessé de se dégrader. Les intervenants continuent donc de se tourner vers les actions qui offrent encore un potentiel de rentabilité ne serait-ce que par leur dividende. Celui-ci n’a pas cessé d’augmenter malgré la crise, surtout aux États-Unis. Après une année 2013 «exubérante» sur le plan des performances boursières, 2014 reste très décente avec un indice mondial en progression de 8,6% en monnaie locale avec dividende réinvesti. Les États-Unis, qui sont quelque peu immunisés sur les risques géopolitiques, affichent la meilleure performance avec 10,1% conjointement à un dollar qui s’apprécie, l’indice S&P500 ayant franchi la barre des 2.000 points. L’Europe, après une correction significative en raison de la crise ukrainienne, a rebondi, l’Eurozone progresse de 7,8%. Les pays émergents affichent les meilleurs scores avec 11,5% pour rattraper leurs maigres performances de 2013 et leurs devises ont rebondi après la crise de la fin de l’année dernière.

La politique monétaire fait envoler les marchés actions.

Les sociétés américaines ont joui de profits de très bonne qualité au deuxième trimestre. Ils progressent de 10% avec 8% de hausse sur l’ensemble de 2014. Les sociétés européennes restent encore fragiles en raison de la crise et le niveau élevé de l’euro, mais devraient retrouver une hausse des profits cette année.

Ces scores sont réalisés malgré un environnement géopolitique très instable, mais le marché n’accorde d’importance qu’au conflit ukrainien et l’impact économique de la Russie. Le Moyen-Orient à feu et à sang n’a pas empêché le prix du baril de Brent de se rapprocher des 100 dollars, car l’offre est abondante et la demande atone. L’arrivée massive du pétrole de schiste américain commence à soulager la pression sur la demande ainsi que la progression de la part des énergies renouvelables.

Nous pensons qu’il reste un potentiel de hausse sur les marchés et après la chute de l’euro, la performance en Europe pourrait dépasser celle des États-Unis. Bien entendu, si la situation en Ukraine n’était pas stabilisée, l’impact se fera sentir. Le maintien des taux très longs à un niveau très bas restera un facteur de soutien important.