Particuliers et ONG s’étaient mobilisés en première instance pour soutenir Antoine Deltour et Raphaël Halet. Le parvis de la cité judiciaire devrait encore être bien rempli lors de l’ouverture du procès en appel lundi. (Photo: Sven Becker / Archives)

Particuliers et ONG s’étaient mobilisés en première instance pour soutenir Antoine Deltour et Raphaël Halet. Le parvis de la cité judiciaire devrait encore être bien rempli lors de l’ouverture du procès en appel lundi. (Photo: Sven Becker / Archives)

Moins de six mois après le prononcé du jugement de la 12e chambre du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, les trois prévenus vont de nouveau fouler les pavés du parvis de la cité judiciaire.

Les deux anciens salariés de PwC, l’auditeur Antoine Deltour et l’agent administratif Raphaël Halet, ont en effet interjeté appel de leur condamnation le 29 juin à respectivement 12 et 9 mois de prison avec sursis et à une amende de 1.500 et 1.000 euros. Quant au journaliste Édouard Perrin, il avait été acquitté par le tribunal en première instance, mais le Parquet a décidé de contester ce jugement afin d’éviter un saucissonnage du dossier et a lui-même fait appel le 1er août.

Antoine Deltour et Raphaël Halet comparaissent ainsi à nouveau pour les chefs d’inculpation de vol domestique, fraude informatique, violation du secret d’affaires et du secret professionnel et blanchiment (détention). Quant à Édouard Perrin, il lui est reproché d’avoir été co-auteur ou complice des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation de secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment-détention des documents soustraits par Raphaël Halet.

Une affaire en deux temps

Étrange affaire que celle-ci, qui s’étend sur près de quatre ans. Elle a commencé le 13 octobre 2010, lorsque Antoine Deltour, démissionnaire de son poste d’auditeur chez PwC, copie sur son disque dur externe des dossiers informatiques classés dans le serveur de l’entreprise à la veille de son départ. Des dossiers comportant des contenus de formation, mais aussi des ATA (advanced tax agreements), les fameux rulings permettant aux entreprises, en l’occurrence des multinationales, de faire valider leurs montages fiscaux par l’Administration des contributions directes et d’anticiper le montant d’impôts à payer par la suite – avec une décote significative pour certains. Des montages élaborés par des sociétés de consultance comme les Big Four. Ce sont ainsi des milliers de pages qui ont été copiées par Antoine Deltour. Des documents qui alimenteront l’émission Cash Investigation de France 2 dédiée aux pratiques fiscales des multinationales en juin 2012, ainsi que les LuxLeaks en novembre 2014.

Deuxième acte: Raphaël Halet, alors au sein de l’équipe de soutien administratif du département Fiscalité chez PwC, découvre la nature de certains documents qu’il traite au quotidien et se manifeste auprès du journaliste Édouard Perrin, artisan de l’émission Cash Investigation. Il lui communiquera une dizaine de déclarations fiscales qui apparaîtront dans les documents publiés par l’ICIJ dans le contexte des LuxLeaks. Démasqué par PwC, il est conduit à signer un accord de confidentialité sanctionnant de 10 millions d’euros toute communication sur son geste. Un accord dont le sceau ne sera brisé que lorsqu’il sera évoqué par la défense d’Édouard Perrin devant le tribunal en avril dernier.

Nouveau tour de piste pour le journaliste acquitté

Deux combats se livrent au sein du procès LuxLeaks. D’un côté, les lanceurs d’alerte – reconnus comme tels par le tribunal dans son jugement – réclament un acquittement au vu de l’intérêt général qui a motivé leur geste et de l’électrochoc salutaire provoqué par les LuxLeaks, amenant l’UE à prendre des mesures contre les pratiques fiscales agressives permettant aux multinationales de réduire parfois à quelques points de pourcentage l’imposition de leurs bénéfices. Le sursis intégral adjoint à leur condamnation ne leur suffit pas et ils demandent la protection de la justice luxembourgeoise. Ils avaient prévenu au printemps qu’ils comptaient bien aller défendre leur cause jusque devant la Cour européenne des droits de l’Homme dans le cas contraire.

De l’autre, Édouard Perrin, poursuivi en premier lieu à la suite des déclarations ambiguës d’un Raphaël Halet terrorisé par l’épée de Damoclès qu’était l’accord de confidentialité, se retrouve une nouvelle fois devant la justice alors même qu’il a été acquitté en première instance. Cette nouvelle comparution relance en tout cas les commentaires sévères de la presse étrangère et pèsera encore sur la réputation du Luxembourg.

Antoine Deltour et Raphaël Halet seront représentés comme en première instance par Mes Philippe Penning et William Bourdon pour le premier et par Mes May Nalepa et Bernard Colin pour le second. Édouard Perrin sera assisté par Me Olivier Chappuis et Me Christel Hénon. Me Hervé Hansen s'exprimera au nom de la partie civile, PwC.

Les audiences auront lieu les 12, 19 et 21 décembre de 15 à 18h devant la 10e chambre correctionnelle de la Cour d’appel, présidée par Michel Reiffers, avec le premier avocat général John Petry.