Le bâtonnier fustige l’obstination de l’Administration des contributions directes à obtenir des informations relevant du secret professionnel des avocats. (Photo: Patrick Galbats)

Le bâtonnier fustige l’obstination de l’Administration des contributions directes à obtenir des informations relevant du secret professionnel des avocats. (Photo: Patrick Galbats)

Voilà une récidive qui ne passe pas au Barreau. Dans la foulée des révélations des Panama Papers en avril dernier, l’Administration des contributions directes était partie à la pêche aux informations en ciblant les avocats identifiés comme ayant domicilié des sociétés panaméennes. L’ACD requérait de ces avocats les noms des sociétés concernées, ceux de leurs bénéficiaires économiques et des personnes habilitées à effectuer des transactions pour le compte de ces sociétés.

«On a été un peu surpris, on pensait même qu’ils faisaient ça quelque part par devoir, mais qu’un courrier du bâtonnier, en l’occurrence mon prédécesseur, calmerait un peu le jeu», confie MeFrançois Prum, le nouveau bâtonnier de Luxembourg, à Paperjam.lu. Le conseil de l’ordre n’était pas loin d’interpréter l’initiative comme une volonté de montrer que l’ACD avait essayé d’obtenir des informations, sans y parvenir, au titre du secret professionnel inhérent à la profession d’avocat.

MeRosario Grasso, bâtonnier sortant, avait répondu à la première tentative de l’ACD auprès de certains avocats par une lettre de cinq pages datée du 28 juillet. Les données ayant été récupérées auprès du cabinet Mossack Fonseca de manière «délictuelle», «toute possession et/ou utilisation de telles données donne lieu à l’infraction de blanchiment», avait-il rappelé. L’opacité entourant ces données permet donc d’assimiler les démarches de l’ACD auprès des avocats à une opération de «fishing». Or, le secret professionnel lie les avocats, un secret dont l’inviolabilité a été consacrée par la jurisprudence.

Le secret professionnel des avocats n’est pas étendu aux activités rentrant dans le domaine des avocats d’affaires.

Guy Heintz, directeur de l'Administration des contributions directes

Toutefois, le directeur de l’ACD, Guy Heintz, a récidivé et fait renvoyer début septembre une deuxième salve de courriers réclamant des informations sur les clients des cabinets travaillant dans la domiciliation. «Sur la base des publications dans la presse locale et internationale concernant l’affaire dite ‘Panama Papers’, l’Administration des contributions directes se voit obligée de faire les investigations nécessaires afin de vérifier l’exactitude des revenus déclarés des personnes qui tombent dans la souveraineté fiscale du Grand-Duché», écrit-il. Leurs noms n’étant pas connus, il incombe aux avocats qui ont servi d’intermédiaires de les communiquer.

L’ACD considère encore être autorisée par la loi à effectuer cette demande au titre des «Erforschung unbekannter Steuerfälle» (recherche de contribuables inconnus). Et balaie d’un revers de la main le secret professionnel brandi par le Barreau, au motif que «le secret professionnel des avocats n’est pas étendu aux activités rentrant dans le domaine des avocats d’affaires».

De quoi faire bondir le Barreau et son nouveau bâtonnier, Me François Prum, qui a adressé la semaine dernière un «courrier très circonstancié» à l’ACD, dont il a fait distribuer une copie aux membres du Barreau «pour les encourager individuellement à ne pas obtempérer à ce désir de l’ACD». Le Premier ministre, avocat de profession, en a également reçu un exemplaire.

Une interprétation différente du secret professionnel

Le courrier de six pages reprend point par point les arguments de l’ACD pour les contester. Le Barreau considère en premier lieu que l’ACD n’a aucune compétence territoriale pour s’intéresser aux sociétés établies ou domiciliées hors du Grand-Duché.

Le Barreau s’insurge surtout face à la compréhension restrictive du secret professionnel présentée par l’ACD. «Tous les avocats, y compris ceux travaillant en matière de ‘droit des affaires’, sont tenus, sans exception aucune, aux mêmes obligations que les avocats ‘du contentieux’, comme cela résulte de manière claire et explicite des dispositions de l’article 35 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat», écrit Me Prum.

Le Barreau nie encore l’obligation de coopérer avancée par l’ACD, s’appuyant sur plusieurs dispositions de la loi fiscale de tradition allemande. Et cite une jurisprudence fournie de la cour administrative consacrant le secret professionnel des avocats: ils «ont le droit, en leur qualité de tiers confidents nécessaires au contribuable, de refuser la communication à l’ACD des informations obtenues des contribuables».

Le Barreau vise une véritable jurisprudence administrative

Quant à la «recherche de contribuables inconnus» inscrite dans la loi fiscale et dont l’ACD se prévaut afin de justifier ses démarches auprès des avocats luxembourgeois, le Barreau rappelle un avis du Conseil d’État selon lequel cette pratique n’a jamais été utilisée et «relève d’une ferme et constante volonté politique». Les Sages se sont donc prononcés «pour l’opposabilité du secret professionnel à l’égard de l’Administration des contributions directes».

Il est toutefois vrai qu’il n’existe encore aucune jurisprudence portant spécifiquement sur le cas d’avocats sollicités pour livrer des informations sur leurs clients. Le bâtonnier invite donc l’ACD, si elle devait récidiver, à informer les avocats ciblés que sa «demande constitue une décision qui les oblige à répondre». Ils pourront ainsi la contester devant le tribunal administratif. Une façon d’amener les juridictions administratives à trancher sur le cas précis de tentative de «fishing» auprès d’avocats.