Depuis 2011, le Luxembourg a ratifié la convetion de l'ONU relative aux droits des handicapés. (Photo: Jessica Theis)

Depuis 2011, le Luxembourg a ratifié la convetion de l'ONU relative aux droits des handicapés. (Photo: Jessica Theis)

S i la diversité est souvent mise en lumière via les questions d’origines culturelles et de genre, elle l’est peut-être moins via celles liées à l’intégration des personnes handicapées dans le marché du travail. Or les besoins de part et d’autre sont nombreux. Les moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics aussi. Mais force est de constater en rencontrant les parties concernées que volontarisme et courage sont souvent nécessaires pour aboutir à des résultats. «Il existe une législation adaptée, des aides mais beaucoup d’employés et d’employeurs ne les connaissent pas», reconnaît Silvio Sagramola, directeur du service Info-handicap, point de convergence des informations depuis 1993. «Plutôt que de s’aventurer sur un terrain inconnu, certains préfèrent d’ailleurs ne pas franchir le premier pas.» Le besoin de coordination entre les différents acteurs concernés apparaît comme essentiel pour réussir une mise au travail. «La coordination est le terme clé, ajoute Silvio Sagramola. Lorsqu’un handicap survient durant un parcours professionnel, cela implique une remise en question qui doit être correctement gérée par les différents services concernés.»

Des rouages étatiques sollicités

Parmi ceux-ci, la commission médicale qui siège au sein du ministère du Travail occupe une place déterminante puisqu’elle est chargée d’accorder le statut de salarié handicapé. En 2013, pas moins de 977 demandes lui ont été adressées. Au sortir de ses 27 réunions, la commission a marqué un accord dans 421 cas (167 femmes et 254 hommes). Celle-ci transmet ensuite son avis à une autre commission, en charge de l’orientation et du reclassement professionnel qui, dans la suite des rouages étatiques, «décide de guider la personne (…) vers le marché du travail ordinaire ou vers les ateliers protégés», indique le rapport annuel 2013 du ministère de la Famille. Dans le premier cas, le lien entre employeurs et salariés handicapés est effectué par le service des salariés handicapés de l’Adem. «L’employeur peut s’adresser à ce service pour demander une participation de l’État au salaire du collaborateur concerné», déclare Ginette Jones, conseillère de gouvernement au ministère du Travail, en charge des questions des salariés handicapés. Le remboursement du salaire oscille entre 40% et 100% du montant brut, les aménagements de postes de travail peuvent aussi être supportés par les fonds publics. Difficile pourtant de dire si, malgré les aides possibles, la législation est respectée. En 2003, la loi protégeant les salariés handicapés a été revue et prévoit une série de quotas (un salarié handicapé temps plein pour les entreprises entre 25 et 49 collaborateurs, 2% des effectifs pour les entreprises de moins de 300 personnes et 4% des effectifs pour les structures dépassant ce seuil), assortis de sanctions financières en cas de non-respect.

«Les moyens d’opérer un véritable contrôle ne sont pas en place, note Silvio Sagramola. Le seul moyen d’inciter les employeurs est la sensibilisation.» Le consensus s’opère pour dire que les quotas doivent être maintenus dans la loi pour garder un caractère dissuasif en cas de situation extrême mais que le dialogue doit être privilégié. «Il faut garder les quotas comme porte d’entrée pour négocier, amener la discussion», relève Joël Delvaux, secrétaire syndical auprès du département des travailleurs handicapés de l’OGBL. «L’intégration de la personne handicapée dépend aussi d’elle-même et de son attitude plus ou moins ouverte, lorsque cela est possible bien entendu», ajoute Joël Delvaux, lui-même concerné par cette question. Celui qui deviendra l’an prochain conseiller communal de la capitale en raison des rotations effectuées parmi les élus Déi Lénk ne manque pas de motivation communicative.

Bénéfices pour tous

Outre le bon fonctionnement des services de soutien, la communication entre chaque partie est la clé. D’autant plus au sein des sociétés qui militent en faveur de l’inclusion, le terme de plus en plus utilisé pour décrire un objectif d’intégration des différences au sein d’un même projet d’entreprise. «Nos gérants organisent mensuellement une réunion d’information avec leurs équipes dans laquelle la diversité au sens large est régulièrement abordée, déclare Ann De Jonghe, directrice des ressources humaines de Sodexo au Luxembourg. Il est en effet important pour une entreprise qui emploie 1.700 personnes sur un mode décentralisé de veiller au partage des mêmes valeurs et de préserver la cohésion des équipes.» Le géant de la restauration collective et de facilities management poursuit d’ailleurs une politique de diversité à l’échelon local reposant sur un canevas global. «Nous proposons tous les mois une journée de sensibilisation sur base volontaire consacrée à l’inclusion en entreprise, ajoute Ann De Jonghe. Elle était initialement destinée aux managers mais nous avons remarqué un engouement de la part de nos différents collaborateurs, tout simplement pour partager leur réalité quotidienne et apprendre davantage sur leurs collègues.» Du travail en cuisine aux fonctions administratives, peu de freins théoriques existent pour qu’un collaborateur souffrant d’un handicap puisse exercer une tâche. «La première difficulté, et non des moindres, concerne les préjugés de chacun, relève Ann De Jonghe. Le plus difficile est de faire changer les mentalités.» L’entreprise qui veut intensifier ses collaborations avec l’Adem pour intégrer des jeunes en décrochage scolaire fait partie des exemples d’employeurs proactifs. Ceux qui ont compris les bienfaits de la diversité en interne mais aussi de la prise de conscience globale qui s’effectue autour de cette notion. «Dans leurs appels d’offres, nos clients tiennent de plus en plus compte du volet responsabilité sociétale, précise Ann De Jonghe. Ils veulent s’assurer que les valeurs de leurs fournisseurs correspondent à celles qu’ils défendent.»

Ces bonnes pratiques seront justement échangées lors d’une journée de sensibilisation organisée le 28 avril. «Nous devons montrer que le salarié handicapé est avant tout un salarié, déclare Nicolas Schmit, ministre du Travail. Certains préjugés subsistent alors que des projets concrets portent leurs fruits comme dans le cas du call center de l’Adem qui est entièrement géré par des travailleurs handicapés.» Une manière d’indiquer que le secteur public (soumis à un quota de 5% de salariés handicapés embauchés) doit montrer l’exemple pour entraîner l’adhésion du privé. «La convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées que nous avons signée implique notamment de créer des marchés du travail inclusifs», souligne Nicolas Schmit. Ratifiée via la loi du 28 juillet 2011, cette convention doit donc devenir une réalité, au-delà des principes louables. Elle prévoit d’ailleurs, dans son article 27, que les États doivent «favoriser l’acquisition par les personnes handicapées d’une expérience professionnelle sur le marché du travail général». Acteurs principaux de l’emploi des personnes handicapées au Luxembourg, les ateliers protégés (un terme appelé à être revu) proposent un véritable projet de vie au travail aux personnes présentant des besoins spécifiques. Cette réalité est vécue depuis de nombreuses années par l’Association des parents d’enfants mentalement handicapés (APEMH) qui a vu le jour en 1967 et s’est développée sur différents sites dont le château de Bettange-sur-Mess. Moins connu, le travail de quelque 70 personnes prises en charge par l’APEMH est indispensable pour la logistique du Parc Merveilleux de Bettembourg.

Un trinôme gagnant

«Nous employons 300 collaborateurs au sein de différents sites», déclare Liette Braquet, directrice de l’APEMH. Une vingtaine d’entre eux sont occupés dans des entreprises du circuit classique. «Dans tous les cas, une formation de trois ans est dispensée sur base d’un bilan de compétences, ajoute Liette Braquet. La réussite de leur intégration tient à la construction d’une relation triangulaire, entre la personne handicapée, sa famille et l’entreprise.» Au milieu de ce trinôme, les organismes spécialisés doivent jouer leur rôle, sur une approche individualisée. «Le job coaching est une solution intéressante à cet égard, note Joël Delvaux. Il s’agit de mettre en place des sortes de médiateurs qualifiés qui peuvent intervenir en cas de conflit ou de dégradation de la situation de travail, mais surtout dont le rôle préventif est primordial.»

Si la sensibilisation a progressé depuis 10 ans, notamment via la reconnaissance à part entière (salaire y compris) des salariés handicapés, des efforts restent à fournir, notamment en termes d’infrastructures. Comme la construction d’un nouveau site à Limpach pour l’APEMH qui lui permettrait d’accueillir 200 personnes supplémentaires. Une nécessité réelle puisqu’une enquête réalisée par le gouvernement en 2007 montrait qu’un besoin de 300 places – particulièrement dans le Sud – se faisait sentir pour les élèves au sortir de leur cycle de primaire dans l’éducation différenciée. Six ans plus tard, les terrains sont toujours à disposition, les fonds sont théoriquement débloqués mais pas les autorisations administratives nécessaires. Sans forcément demander plus de moyens, les acteurs du secteur attendent, eux aussi, une efficacité pragmatique de l’appareil étatique pour continuer à être en phase avec la société. Un point qui sera forcément évoqué au détour de l’important dossier de la réforme administrative.