Jean-Yves Camus: «L’élection de Philippot serait dramatique pour tous ceux qui passent la frontière tous les jours.» (Photo: DR)

Jean-Yves Camus: «L’élection de Philippot serait dramatique pour tous ceux qui passent la frontière tous les jours.» (Photo: DR)

Monsieur Camus, les résultats du premier tour des élections régionales en France, en général, et dans le Grand Est, en particulier, vous ont-ils surpris?

«Le score qu’a réalisé le Front national au premier tour de ces élections – 28% au niveau national – ne me surprend pas dans la mesure où il est conforme aux prévisions que j’avais faites.

Concernant son résultat dans le Grand Est, où il a obtenu 35% des suffrages, il faut souligner que c’est une région composite qui a déjà été un bastion frontiste et où la situation économique favorise le vote FN.

Ce qui fait débat, c’est par contre la personnalité de Florian Philippot qui n’est pas de la région et qui n’a pas le charisme de Marine Le Pen ou de Marion Maréchal Le Pen.

Je ne le vois pas en tête au second tour car, dans le Grand Est, il sera plus facile pour un électeur de gauche – pour faire barrage au Front national – de voter pour Philippe Richert (le candidat de la droite, ndlr) que pour un autre électeur de gauche en Région Paca (Provence-Alpes-Côte d'Azur, ndlr) où Christian Estrosi demeure tout de même un candidat à droite de la droite.

Ce score du Front national, peut-on encore le considérer comme un vote de rejet à un tel niveau?

«À condition qu’on prenne ce terme dans un sens très large puisque un vote de rejet n’a qu’une durée limitée dans le temps, comme à l’époque de Pierre Poujade dans les années 50.

Ce qu’il faut dire, c’est qu’il y a toute une batterie de thèmes auxquels les Français sont sensibles comme l’immigration, la société multiculturelle, l’ordre public, le chômage ou encore le pouvoir d’achat. Et le Front national sait très bien s’en servir.

Mais cela ne suffit toutefois pas pour expliquer pourquoi l’extrême droite est passée de 1% en 1980 à 28% aujourd’hui.

Comment expliquer que le Front national arrive aussi en tête de territoires plus favorisés, en raison de leur proximité avec le Luxembourg, que sont la Moselle et la Meurthe-et-Moselle?

«Peut-être parce qu’il n’a a pas de crainte de la détérioration relative de la situation économique au Luxembourg où pourtant les frontaliers français, mis à part quelques-uns dans la finance, ne sont pas les travailleurs les plus qualifiés.

Il faut dès lors faire attention car la grande époque de l’emploi est terminée et pour beaucoup, s’il n’y avait plus cet emploi, ce serait l’abîme.

Quelle doit être selon vous l’attitude des partis républicains?

«Je pense que la droite fait une erreur quand elle renvoie dos à dos la gauche et le Front national. Et j’estime aussi que l’attitude de Nicolas Sarkozy, qui a voulu maintenir coûte que coûte tous ses candidats, n’est pas tenable.

Toutefois, si le FN ne remporte aucune région, Sarkozy pourra dire que sa tactique était la bonne.

Et que penser de la décision de Jean-Pierre Masseret de se maintenir dans le Grand Est?

«Je comprends la décision de Jean-Pierre Masseret de proposer à l’électeur le choix le plus large possible.

Mais d’un autre côté, il y a tout de même la décision du Parti socialiste qui a choisi de se désister pour faire obstacle au FN, en appelant à soutenir le candidat de la droite.

C’est donc un risque que Jean-Pierre Masseret a pris après l’avoir sans doute calculé, mais j’estime qu’il est des plus hasardeux. L’élection de Philippot serait dramatique pour tous ceux qui passent la frontière tous les jours et pour toute cette région où les flux économiques et humains dépendent de l’ouverture.

Veut-on une région cadenacée par elle-même? Et le retour des contrôles dans ce train de banlieue qui relie Metz à Luxembourg?»

Jean-Yves Camus est également auteur, avec Nicolas Lebourg, de l'ouvrage «Les droites extrêmes en Europe», paru en novembre 2015 aux éditions du Seuil.