Patrick Gillen (Fonds Kirchberg), Arlette Schneiders (Arlette Schneiders Architectes) et Germain Dondelinger (Fonds Belval) (Photo: Luc Deflorenne)

Patrick Gillen (Fonds Kirchberg), Arlette Schneiders (Arlette Schneiders Architectes) et Germain Dondelinger (Fonds Belval) (Photo: Luc Deflorenne)

Le passage en revue des projets en cours ou à avenir sur le plateau du Kirchberg renseigne de l’importance de l’État en tant que pourvoyeur de projets immobiliers. Comme à Belval, symbole de la reconversion industrielle du pays, l’État y a délégué un fonds – instauré en 1961 – consacré au modelage foncier du quartier d’affaires et accueillant les institutions européennes. «L’espace dédié aux infrastructures européennes est passé successivement de 448.000 m2 à 770.000 m2 pour atteindre 900.000 m2», note Patrick Gillen, président du conseil d’administration du Fonds Kirchberg et par ailleurs directeur du Contrôle financier de l’Administration étatique. «Il ne faut pas oublier que l’objectif principal du fonds lors de sa création était de mettre en place les infrastructures nécessaires pour accueillir les institutions européennes.»BEI, Jean Monnet, KAD II, les noms de code des projets européens, tous rattachés à un nouveau bâtiment ou à une extension d’un bâti existant, se poursuivent en tenant compte – idéalement – de l’évolution de la mobilité en ville. «Les parkings existants qui seraient supprimés lors des travaux seront remplacés par de nouveaux emplacements», précise Patrick Gillen. La part belle est donc encore faite aux quatre roues, en attendant l’arrivée du tram qui influera peut-être sur la conception des bâtiments destinés à recevoir des bureaux.

Faire preuve de vision

Outre les projets européens, le Fonds Kirchberg coordonne un développement géographique sur une zone de quelque 365 hectares. Finies les années dédiées uniquement aux espaces de bureau qui ont conféré un caractère quelque peu artificiel au quartier, surtout passé 18 heures. L’heure est à la mouvance dite du «quartier mixte» associant commerces et habitations. Une option choisie pour aménager le front sud de l’artère principale du Kirchberg, l’avenue Kennedy. D’ici une dizaine d’années, les espaces verts de cette zone, qui se situe entre la place de l’Europe et le carrefour Bricherhof, céderont la place à 44.000 m2 de surfaces tertiaires et accueilleront environ 2.000 habitants. La planification territoriale est donc au cœur de la mission des fonds, qu’il s’agisse de Belval ou du Kirchberg, même si ce dernier intervient davantage dans la conception et l’aménagement de certains bâtiments. Porté sur les fonts baptismaux par une loi de 2002, le Fonds Belval a dû aussi faire preuve de vision pour accueillir le principal locataire du site: l’Université. Son déménagement sera finalement différé à 2015 en raison de l’agenda politique quelque peu chamboulé ces dernières semaines. Les budgets nécessaires pour la dernière phase des travaux et la mise en place des équipements n’ont en effet pas pu être votés. «Lorsque nous avons débuté le projet, l’Université avait deux ans, nous avons dû miser sur une croissance de l’institution pour imaginer les plans du site», déclare Germain Dondelinger, président du Fonds Belval. Une sorte de pari sur l’avenir qui s’est opéré avec pour leitmotiv la flexibilité. «Nous avons construit des bâtiments pour des chercheurs qui n’étaient pas encore là, observe Germain Dondelinger. Nous avons donc dû penser des structures suffisamment flexibles pour s’adapter à de nouveaux besoins qui pourraient se présenter à l’avenir.»

Cette recette a été appliquée pour concevoir le premier bâtiment devenu opérationnel sur place: l’incubateur d’entreprises, prenant place dans les anciens vestiaires utilisés par les ouvriers des hauts fourneaux.

«L’essentiel du projet a été réalisé sans fioriture, se souvient l’architecte Arlette Schneiders, gérante du bureau Arlette Schneiders Architectes et auteur de l’aménagement courant sur une surface de 4.800 m2. Nous avons imaginé l’espace de travail pour qu’il puisse évoluer avec la vie des sociétés.»

Responsabilité sociétale

La mise en place de cette infrastructure, où se loge aussi la récente société Technoport (réunissant le Technoport et le centre Ecostart), illustre l’importance économique et artistique des projets publics pour le métier d’architecte au Luxembourg et, plus généralement, l’architecture du pays. «Il faut se placer en phase avec la réalité économique du pays et faire en sorte que les entreprises locales puissent participer aux marchés publics», relève Germain Dondelinger. Dans le cas de Belval, des concours européens ont permis de récolter des candidatures étrangères et locales. Au final, les architectes luxembourgeois se sont montrés plutôt convaincants. À l’instar de l’expérience menée par le Fonds Kirchberg, les architectes locaux prennent clairement en compte les matériaux locaux pour intégrer le futur bâtiment dans un environnement existant. «En tant que Luxembourgeois, nous pouvons véritablement nous identifier au passé du site», ajoute Arlette Schneiders.

Outre cette responsabilité à l’égard des entreprises luxembourgeoises, les fonds remplissent aussi une mission publique lorsqu’ils dédient des zones au logement ou qu’ils coordonnent un projet d’habitation. Car le besoin de nouveaux logements se fait, plus que jamais, sentir à l’échelle du pays tout entier, comme le soulignait, fin octobre, le Conseil économique et social (CES) lors de son assemblée plénière: «D’ici 2030, il faudrait construire, en moyenne annuelle, près de 6.500 logements nouveaux pour couvrir les besoins en logements (y compris l’accroissement de la population [4.000], les besoins de remplacement [2.300] et la réserve de mobilité [200]», précisait le CES, en ajoutant qu’en «progressant au rythme passé, il ne sera pas possible de satisfaire les besoins en logements nouveaux résultant uniquement de la croissance de la population». Il faut donc construire plus et plus vite que par le passé et étendre les zones constructibles. Ce besoin impérieux se conjugue avec une demande spécifique à la population étudiante telle que l’Uni s’apprête à accueillir à Belval: disposer d’un logement à un prix raisonnable. Une spécificité de ce «marché» qui pousse ses parties prenantes à imaginer de nouveaux modèles. À l’exemple de l’ancien hôtel Mercure d’Esch-sur-Alzette racheté en 2012 par la commune et qui va abriter une quarantaine de logements pour étudiants. Le secteur privé a emboîté le pas, au moins via un acteur qu’est la compagnie d’assurance Lalux. Elle s’est dotée, débuté février, de sa propre fondation pour soutenir la vie universitaire luxembourgeoise. «En facilitant la formation, nous participons à la construction de la société luxembourgeoise de demain», expliquaient, à l’époque, ses promoteurs, en procédant à l’achat d’un terrain dédié à la construction de 45 logements dans le quartier de Belval Nord à Sanem. Coût de l’opération menée avec le soutien financier de l’État: 6 millions d’euros.

L’importance du propriétaire

«Des promoteurs privés acceptent aussi le principe de construire des immeubles mixtes avec des petites unités de logement et des surfaces commerciales si l’Université garantit la location pendant une période d’une dizaine d’années, tout en jouant le rôle de locataire unique», ajoute Germain Dondelinger. L’autre bénéfice recherché par les pouvoirs publics via cette formule est de garder une vie active au centre de la nouvelle cité, en plaçant logements, commerces et lieux de vie à deux pas de l’Université. Du côté du Kirchberg, la demande de logements se fait aussi sentir, fortement influencée par le prix dans le quartier d’une capitale. Partant de ces données propres au marché immobilier global, l’augmentation de l’offre de logements a été envisagée, à terme, dans le quartier du Kiem et du Grünewald, afin de faire baisser le prix. La mise en place de schémas collaboratifs innovants vient compléter la création de nouveaux immeubles. «L’expérience du quartier du Grünewald nous a permis, avec le concours de la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM), de réaliser cinq bâtiments sans recourir à des partenaires financiers afin d’éviter la spéculation», note Patrick Gillen. Le principe d’un logement par ménage y a été appliqué.

Dans le cas du quartier du Kiem, une forme de coopérative a été créée, permettant aux locataires devenant propriétaires de parts sociétales du bâtiment de bénéficier d’un loyer fixe. Jusqu’à la sortie de la coopérative en cas de départ. Ce quartier s’apprête d’ailleurs à connaître une nouvelle mutation avec la construction, à terme, de bureaux et de logements à l’arrière du site occupé par le groupe RTL.

Énergie: quo vadis?

Comme le montrent les plans de vente des logements de la SNHBM, l’option choisie en matière énergétique est clairement de proposer des habitats performants, notamment de classeA. Or, à grande échelle, la question énergétique peut se révéler aussi coûteuse que difficile à gérer, au vu des matériaux proposés et de la panoplie disponible dans les équipements de chauffage. Pour ne citer qu’eux. «Nous ne faisons qu’anticiper les dispositions de 2017 dans le cas de notre collaboration avec la SNHBM», ajoute Patrick Gillen. Le gouvernement a en effet décidé qu’à compter de cette date, tout nouvel immeuble devra respecter les critères de la maison passive. «C’est une bonne chose que l’État montre l’exemple, se félicite Arlette Schneiders. Parmi les options possibles, il faudra trouver les bonnes voies au fur et à mesure des projets, entre l’expression architecturale et les besoins énergétiques.» Si la recherche de développement durable est un but en soi, elle devra en effet être confrontée à la réalité des utilisateurs de bâtiments conçus de plus en plus en vase clos, systèmes de ventilation à l’appui. Sans oublier les variations climatiques qui peuvent fortement influer sur ce mode de fonctionnement.

Reste que le pragmatisme semble d’ores et déjà prôné du côté de la gestion du domaine foncier de l’État. «Les derniers terrains vendus par le fonds l’ont été volontairement à des propriétaires occupants (EY, KPMG, ndlr)», relève Patrick Gillen. Une manière de rappeler que le développement durable est, dans sa conception littérale, intimement lié aux projets immobiliers, censés durer sur le long terme.

Symboles

Composer avec le passé

Du pont Rouge (officiellement Grande-Duchesse Charlotte) érigé au Kirchberg en 1963 aux hauts fourneaux des anciennes usines de Belval, les deux zones se reconnaissent à leurs symboles. Des éléments qui servent véritablement de repères. «Nous n’avons pas voulu ajouter d’éléments spectaculaires sur Belval car la conservation des hauts fourneaux apportait un élément suffisamment spectaculaire», précise Germain Dondelinger, président du Fonds Belval. Les hauts fourneaux ont d’ailleurs été inscrits en 2000 à l’inventaire supplé­mentaire des sites et monuments nationaux, soulignant la volonté de conserver ce témoin de l’histoire industrielle du pays. Autre symbole, la future Maison du livre et de la lecture est en cours de travaux, au pied des géants d’acier.