Pierre Kihn (à droite) : « On ne se protège pas pour payer moins d'impôts, mais pour gagner plus. » (Photo : Olivier Minaire / archives)

Pierre Kihn (à droite) : « On ne se protège pas pour payer moins d'impôts, mais pour gagner plus. » (Photo : Olivier Minaire / archives)

Messieurs, les règles fiscales particulières à la propriété intellectuelle pèsent-elles lourd dans le choix des entreprises de se protéger ?

Pierre Kihn : « Il ne faut pas inverser les priorités. On ne se protège pas pour payer moins d’impôts, mais pour gagner plus ! La propriété intellectuelle, ce sont les ‘bijoux de famille’. Ce que les groupes internationaux font la plupart du temps, c’est de l’abriter dans des véhicules qui ne sont pas exposés à des risques de faillite.

La législation luxembourgeoise, en permettant une fiscalité favorable, est un plus, mais elle n’est pas suffisante. Et puis attention, il y a d’autres pays qui ont des conditions encore plus avantageuses que le Grand-Duché ! La décision de choisir un pays ou un autre vient d’un ensemble de paramètres complémentaires, et c’est de ce point de vue que le pays a une offre intéressante.

Olivier Laidebeur : « Il est effectivement essentiel de souligner que c'est l’accumulation de différents éléments, favorables au développement de l’activité économique, qui confère au Luxembourg son intérêt. Lorsque l’on veut héberger sa propriété intellectuelle dans un pays, on prend aussi en compte sa stabilité économique et politique, sa culture internationale, ou encore l’ensemble des outils de financement qui existent.

Nous avons également sur la place luxembourgeoise des compétences pointues, réelles, capables d’accompagner les entreprises dans la définition de leur stratégie, et dans sa mise en œuvre. Mettre sa propriété intellectuelle au Luxembourg, c’est quelque part ne pas prendre de risques.

Y a-t-il des manières plus efficaces que d'autres de gérer les droits ? Peut-on mettre en place une «défense active» de son portefeuille ?

PK : « Si l’on est détenteur de droits, et que l’on voit un concurrent qui copie, il faut bien évidemment réagir. Mais par exemple, sur les quelque 3,5 millions de brevets en vigueur, on voit qu’il n’y a en fait qu’une petite centaine de procès chaque année… C’est d’ailleurs cette rareté qui explique leur retentissement.

La plupart du temps, les industriels veulent trouver une solution, ils ne veulent pas juste prouver qu’ils ont raison. Si la partie opposée n’est pas de mauvaise foi, il est toujours possible de discuter… Entre concurrents, on se connaît, et l’on peut travailler pour trouver une solution raisonnable.

Mais attention, on parle ici bien entendu des entreprises de bonne foi, pas du crime organisé et de la contrefaçon en ‘bonne et due forme’, si j’ose dire. Dans ce domaine, il n’y a bien entendu pas de discussion possible.

OL : « Dans le cas d’un conflit, les coûts engendrés sont toujours en proportion de l’atteinte qui a été faite… Encore une fois, 85 % des conflits en matière de propriété intellectuelle sont résolus à l’amiable… D’ailleurs, la législation et la jurisprudence encouragent les acteurs à s’entendre. Une bonne pression externe pour avoir envie de s’entendre, c’est le fait que les tribunaux exigent, en plus des amendes, que le ‘perdant’ rembourse le ‘gagnant’ de ses frais de justice… Tout le monde a intérêt à s’entendre.

Comment construire un «business plan» pour sa propriété intellectuelle ? Y a-t-il un «marché» pour cela?

PK : « Bien sûr… Pour prendre un exemple simple, une grande partie du succès d’une entreprise comme McDonald’s est basée sur un réseau de franchisés… Et qu’est-ce qu’une franchise, sinon une licence d’utilisation d’une propriété intellectuelle, en l’occurrence une marque et d’autres éléments ?

Je pense qu’aujourd’hui McDonald’s gagne bien sa vie. Et pourtant, il a commencé aussi petits que d’autres. Il a simplement utilisé une stratégie gagnante. Il y a bien entendu d’autres moyens, comme vendre son savoir-faire, en proposant des licences à ses clients ou à même à ses concurrents ! On revient toujours au même point : la propriété intellectuelle permet de devenir un acteur incontournable sur son marché… »

OL : « Et les collaborations entre concurrents, sur base de cette propriété, sont plus courantes qu'on ne le pense. Prenons l’exemple de Sony et de Philips. Au début, au tournant des années 80, il y a eu une guerre féroce entre Sony et son Betamax, Philips et son V2000 et JVC et son VHS. Sony et Philips ont perdu des sommes énormes. Donc, au moment de lancer le CD, ils ont collaboré en partageant une partie de leur propriété intellectuelle… et cela leur a bien mieux réussi. On peut avoir un 'business plan' autour de la propriété intellectuelle, sans pour autant être opposé aux collaborations avec les concurrents. »