Claude Wirion: «On doit s’attendre à ce qu’il y ait d’autres mouvements de concentration à l’avenir.» (Photo: Mike Zenari)

Claude Wirion: «On doit s’attendre à ce qu’il y ait d’autres mouvements de concentration à l’avenir.» (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Wirion, les chiffres pour le premier semestre ont été publiés en août. Quels sont les enseignements que l’on peut en tirer par rapport aux résultats de 2015?

«Ils confirment l’évolution constatée depuis le quatrième trimestre 2015: le secteur avait connu une décroissance assez forte, mais qui a déjà commencé à s’atténuer fin 2015, en ce sens qu’elle n’était plus à deux chiffres, mais seulement de 5%. Au premier trimestre 2016, nous avons encore connu une légère décroissance, mais encore plus modérée et, finalement, au deuxième trimestre 2016, nous avons renoué avec une faible croissance. Désormais, nous espérons que cette légère progression en assurance-vie va se transformer en une croissance plus soutenue.

Doit-on lier cette baisse des chiffres en assurance-vie en 2015 (-10,27% d’encaissement) à la situation persistante des taux bas?

«C’est plutôt dû à une année 2014 très atypique, avec une croissance extrêmement importante pour les produits à taux garantis. Les assureurs pouvaient offrir de tels produits, très attractifs par rapport au secteur bancaire. Il y a donc eu un afflux massif d’argent vers les assureurs. Mais ceux-ci ont fini par se retirer de ce business, car les taux qu’ils garantissaient n’étaient plus soutenables à long terme. L’argent frais investi est resté, mais les nouvelles souscriptions ont été freinées en 2015. Les montants exceptionnels enregistrés en 2014 ne se sont donc pas répétés en 2015. Aujourd’hui, nous sommes revenus à un rythme d’évolution quasi normal.

Mais cette année, sur le premier semestre, on constate à nouveau un retour vers ces produits à taux garantis…

«Effectivement, et cela constitue pour nous la surprise du deuxième trimestre. Nous n’avons pas d’explication à ce sujet actuellement. Il faudrait mener une analyse compagnie par compagnie…

Est-ce le début de la fin pour les produits à taux garantis?

«En Allemagne, certains grands assureurs ont déjà déclaré se retirer complètement de ce marché ou faire le strict minimum. Il est clair que si les taux bas perdurent, cette branche ne sera plus en mesure d’offrir quelque chose d’attractif pour les clients. Mais pour l’instant, aucun assureur au Luxembourg ne nous a signifié son intention de se retirer du segment. C’est davantage une question de pondération par rapport aux produits en unités de compte. Actuellement, on pousse plutôt les clients vers ce type de produits. Mais les assureurs restent prêts à s’engager à n’importe quel moment vers des produits à taux garantis s’ils sont en mesure d’offrir des rendements intéressants.

Est-ce la seule alternative ou bien les assureurs vont-ils devoir faire preuve de créativité pour découvrir de nouveaux types de produits qui ne soient ni à taux garantis ni en unités de compte?

«Il n’y a pas vraiment d’alternative possible, à moins de parler de produits de prévoyance comme l’assurance-décès. Mais la masse des primes vient des opérations d’épargne et il n’existe pas un nombre infini de solutions.

Par le passé, certains assureurs ont adossé des produits de type épargne à des produits structurés émis par le secteur bancaire, mais on entre alors très rapidement dans des produits extrêmement complexes dont le risque ne peut pas être apprécié, sauf par des investisseurs très qualifiés.

La directive Priips va donner l’obligation aux assureurs de fournir des informations très détaillées à partir de 2017 sur le risque de rentabilité de tels produits et ce sera vraiment une gageure pour ce type de produits. Bien sûr, les assureurs cherchent d’autres types de supports qui garantissent un rendement de base ou qui prémunissent contre des pertes excessives tout en faisant participer le client à une évolution favorable des marchés, mais encore une fois, on entre alors très vite dans une très grande complexité.

Les clients belges investissent moins dans l’assurance-vie luxembourgeoise à cause de mesures fiscales dans leur pays. Cela représente-t-il une perte importante en encaissement de primes?

«La Belgique est un marché qui ne retrouvera pas la position qu’il avait dans le temps. Plusieurs aspects entrent en ligne de compte: on a vu d’abord des mesures de régulation fiscale, ensuite l’échange automatique d’informations fiscales. Il faut aussi tenir compte du fait que, dans le passé, il restait un stock important de clients belges ayant des revenus de l’épargne non clairement déclarés. Ce n’était par contre pas le cas pour la clientèle française. Suite à l’affaire Paneurolife, au début des années 2000, les assureurs luxembourgeois se sont retirés du marché français et n’y sont revenus que 10 ans plus tard, après que Paneurolife a été blanchi par la justice française. Et tous les assureurs qui sont retournés en France ont fait très attention à l’origine des fonds. En Belgique, l’assainissement du portefeuille s’est fait avec une dizaine d’années de décalage, ce qui explique que, maintenant que l’on est à la veille de l’échange d’informations fiscales, il y a eu un reflux d’argent. Les différentes mesures d’amnistie fiscale en Belgique ont facilité la tâche des preneurs d’assurance concernés. Et, d’une manière générale, la fiscalité sur les primes d’assurance fait que l’investissement en produits d’assurance n’est plus attractif. Les premières victimes en sont d’ailleurs les assureurs belges.

Au niveau du Luxembourg, est-ce une grosse perte pour les assureurs?

«Ça se traduit par un manque à gagner plutôt que par une perte. Les portefeuilles ne sont pas renouvelés et les rachats ne sont pas compensés par les souscriptions nouvelles. Ceci dit, certains assureurs pensent maintenant à revenir sur le marché belge malgré les difficultés.

Certains pays, comme la France ou la Belgique, ont plus la culture de l’assurance-vie. Y a-t-il un travail à faire pour mieux faire valoir les atouts de l’assurance-vie luxembourgeoise sur certains marchés étrangers?

«C’est ce qu’ils font. Dans notre rapport annuel, on note que le marché allemand est en croissance, du fait qu’une poignée d’assureurs y rencontre un certain succès. Le marché suédois a aussi connu une croissance remarquable, tout comme le portugais. Donc, oui, on peut dire que les assureurs sont très actifs pour aller chercher ailleurs des sources de primes. Certains, depuis quelques années, vont même au-delà de l’Union européenne.

Par rapport à ce marché international, faut-il s’attendre à un impact concret du Brexit?

«Le Brexit est dans tous les discours. Précisons donc d’abord que le marché anglais n’est pas un marché important pour les assureurs-vie luxembourgeois. Mais nous avons d’autres enjeux, notamment en assurance non-vie. Un certain nombre de compagnies sous-traitent une grande partie des activités via des structures établies à Londres.

Le Royaume-Uni quittant l’UE, il faudra donc voir ce qu’il va advenir de ces opérations de sous-traitance. Quels seront les droits de contrôle du Commissariat aux assurances? À ce niveau, nous avons pris contact avec le régulateur britannique pour voir ce qu’il en sera des modalités de contrôle dans un paysage entièrement modifié. Si nous parvenons à trouver un terrain d’entente, une grande partie de ces équipes pourra rester à Londres. Globalement, dans le cadre du Brexit, il y aura peut-être quelques responsabilités déplacées au Luxembourg, mais l’optique du gouvernement est plus de coopérer avec le Royaume-Uni dans le contexte de la nouvelle configuration que d’essayer de délocaliser des milliers de personnes vers le Luxembourg.

Si certains clients se voyaient plus tard inquiétés par leur administration fiscale, ce ne serait pas faute de ne pas avoir été prévenus.

Claude Wirion, Commissariat aux assurances

Au 1er janvier 2017, l’assurance-vie sera soumise aux règles internationales de transparence et à l’échange automatique. Est-ce qu’il y a là un risque important de retrait de clientèle?

«Les compagnies y sont préparées depuis longtemps. Elles ont nettoyé leurs portefeuilles en mettant clairement les clients devant leurs responsabilités et en les informant que l’existence de certaines catégories de contrats serait divulguée auprès de l’administration fiscale du pays de résidence du client. C’est ce qui explique aussi ce mouvement de rachat plus important sur le marché belge.

Les compagnies ont fait le nécessaire, mais contrairement à un banquier, un assureur ne peut pas mettre fin à la relation contractuelle en assurance-vie. C’est le client qui doit le faire. Donc si certains clients se voyaient plus tard inquiétés par leur administration fiscale, ce ne serait pas faute de ne pas avoir été prévenus.

Après neuf mois sous le régime Solvency II, quel premier bilan pouvez-vous tirer?

«Le bilan est plutôt positif. Depuis 2009, on demande les états de contrôle aux compagnies qui connaissent donc la mécanique et savent faire les calculs. Depuis 2013, nous avons aussi vérifié la compatibilité des procédures internes. La seule chose que l’on ignorait, c’était le format de reporting. Il faut savoir qu’il y a plusieurs sortes de formats et que les reportings ont été multipliés par 10!

On s’interrogeait dès lors sur la capacité des compagnies à nous fournir ces états, mais le reporting que nous avons eu au mois de mai s’est déroulé dans de très bonnes conditions. Maintenant, c’est un travail continu. Le reporting de fin 2015 ne reprend qu’une petite partie des états qui seront exigés fin 2016.

Les compagnies ont-elles digéré l’aspect surcoût imposé par Solvency II?

«Oui. Encore une fois, Solvency II n’a pas été découvert en 2015. Toutes les démarches liées à sa mise en place se sont faites au fil du temps. Ce n’est pas un coût unique, ça a été étalé. Mais évidemment, ça n’a pas non plus été une implémentation à coût zéro.

À combien estimez-vous cet impact?

«On ne connaît pas le montant de manière précise. Ce n’est pas un exercice isolé dont on pourrait chiffrer le coût. Beaucoup de sociétés ont d’ailleurs profité de l’occasion pour moderniser leurs systèmes d’information.

On parle beaucoup fintech dans le secteur des banques, beaucoup moins dans celui des assurances. Est-ce un enjeu important pour l’avenir du secteur?

«C’est un mot à la mode, tout le monde en parle et le comprend de manière différente. Si 'fintech' veut dire automatiser les processus de communication vis-à-vis de la clientèle et des autorités, alors nous faisons de la fintech depuis 20 ans.

Malgré cela, il existe un très grand potentiel d’automatisation des processus dans le secteur des assurances. Solvency II a poussé dans cette direction, mais il faut toujours aller plus loin. Il reste énormément de choses qui sont encore faites à la main dans de nombreux domaines.

Et en matière de service clientèle, pouvoir consulter la position de son contrat d’assurance ou voir les opérations d’arbitrage sur son contrat est une attente légitime, à laquelle on n’a pas encore répondu. L’assurance affiche sans doute un certain retard par rapport au secteur bancaire. Il faut aller de l’avant.

Maintenant, si fintech veut dire assureur digitalisé, là je reste dans l’expectative. Dès qu’on a des produits un peu plus complexes avec garanties combinées, ça reste difficile à réaliser.

Le Commissariat peut-il jouer un rôle pour accentuer ces développements?

«C’est davantage une affaire pour les professionnels du métier que pour le régulateur. Pour notre part, nous avons à veiller à ce que les développements fintech n’aillent pas à l’encontre de la réglementation. Notamment en matière de protection des données nominatives. Nous pourrions le cas échéant intervenir pour adapter la législation.

Mais notre rôle n’est pas de nous substituer au secteur ou de préconiser certaines voies techniques par rapport à d’autres. Par contre, nous devons faire en sorte que la réglementation ne s’oppose pas aux développements nécessaires en matière d’automatisation.

Il y a un an, vous affirmiez dans les colonnes de Paperjam que la protection des consommateurs est une matière qui va prendre de l’ampleur dans un avenir proche. Où en est-on dans ce domaine et en quoi faut-il encore mieux protéger le consommateur?

La directive sur la distribution des produits d’assurance doit être transposée pour le début 2018. Nous en sommes au stade des travaux de transposition.

La volonté est-elle de transposer la directive et rien que la directive, ou bien existe-t-il au Luxembourg une ambition d’aller un peu plus loin?

«Il est déjà très complexe de transposer la directive en tant que telle. Nous verrons ensuite dans une seconde étape, via des discussions avec le secteur, si nous pouvons aller plus loin. Mais l’idée n’est pas de faire du gold plating. Pour l’instant, au niveau des intermédiaires que nous connaissons, nous essayons déjà de modifier les textes les concernant de façon à tenir compte de la directive. Nous regarderons ensuite s’il y a éventuellement de la place pour de nouveaux acteurs, mais il est prématuré d’en parler.

Quelles sont les grandes mesures de protection supplémentaires prévues au niveau de la directive?

«En assurance non-vie, une fiche de description du produit sera obligatoire. En vie, c’est le règlement Priips qui renforcera très largement l’obligation d’information. Les conditions d’agrément et d’exercice des intermédiaires seront renforcées et la directive pointe aussi la formation initiale et continue des intermédiaires d’assurance.

Pour l’instant, le texte se limite à la directive, mais l’Eiopa (European Insurance and Occupational Pensions Authority, ndlr) travaille sur des textes d’accompagnement. Ça se traduira donc par des coûts supplémentaires pour le secteur, mais c’est dans le but d’améliorer le niveau de protection des consommateurs.

De notre côté, nous travaillons sur un règlement concernant le traitement des plaintes des clients. Cette tâche a toujours été de notre attribution, mais il n’existait pas de règlement précis et connu. Nous préparons donc un texte pour formaliser tout cela. Notre rôle en tant qu’organisme extrajudiciaire de traitement des plaintes sera ainsi davantage précisé. Dans cette démarche, nous nous inspirons de près d’un règlement de la CSSF, qui, elle, a déjà formalisé ces procédures.

Les économies d’échelle supposent l’existence d’acteurs d’une certaine taille.

Claude Wirion, Commissariat aux assurances

Globalement, comment estimez-vous la protection dont bénéficient déjà les consommateurs? Y a-t-il encore de grosses lacunes à combler?

«Si on en juge par le nombre de réclamations que l’on reçoit, soit en moyenne entre 200 et 300 par an, le taux de plaintes n’est pas très important. Dans beaucoup de cas, en outre, nous pouvons donner une réponse directement dans la mesure où, fréquemment, il s’agit uniquement d’un problème de compréhension des garanties de la part du client. Par rapport aux centaines de milliers de contrats signés, il s’agit donc d’un taux très réduit.

Les statistiques que l’on récolte auprès des compagnies directement sont un peu plus élevées, mais ça reste également très faible par rapport au volume de contrats. Ceci dit, je reste prudent: ce nombre très faible de plaintes est-il dû à la satisfaction réelle des clients, à une méconnaissance des possibilités de déposer une plainte ou à la souplesse dont font preuve les assureurs luxembourgeois par rapport à leurs clients? Je n’ai pas la réponse...

Au début de l’été, le groupe Foyer a annoncé le rachat de la société Iwi. Quel est votre sentiment par rapport à cet événement?

«La concurrence devient de plus en plus exacerbée en matière d’assurance et les coûts de gestion sont de plus en plus importants. Donc, quelque part, les économies d’échelle supposent l’existence d’acteurs d’une certaine taille. Je suis sûr que Foyer a regardé cette opération sous cet angle. C’est un saut en taille qui va lui apporter des gains de productivité très clairs. Au niveau du secteur, on doit s’attendre à ce qu’il y ait d’autres mouvements de concentration à l’avenir.»

PSA: vers un rythme de croisière

Depuis 2013, le marché au Luxembourg accueille une nouvelle catégorie d’acteurs: les PSA, autrement dit professionnels du secteur des assurances. Une catégorie inspirée du statut de PSF (professionnels du secteur financier) qui a déjà fait ses preuves. À l’heure actuelle, 21 sociétés ont reçu l’agrément pour opérer en tant que PSA au Grand-Duché. «Le marché a mis du temps à démarrer, mais maintenant les choses évoluent très bien», note avec satisfaction M. Wirion. «Ce ne sera jamais quelque chose que nous pourrons mesurer en centaines d’unités, mais actuellement un nombre croissant d’entités se constitue. C’est très bien.» Inévitablement, les développements à venir des PSA sont à lier directement avec la mouvance fintech qui est en train de tout bousculer sur son passage. «Une grande partie des développements des fintech passera par les PSA pour mettre en place des plateformes de services», affirme M. Wirion, persuadé que les assureurs pourront ainsi se concentrer sur de nouveaux produits et sur leur activité commerciale, en confiant une partie de leur back-office à des prestataires externes.

Réassurance: pression sur les captives

Depuis quelques années, le nombre de captives de réassurance est en repli au Luxembourg. Depuis 2010, une quarantaine de réassureurs a ainsi disparu des listes officielles. Au 1er juillet, il y en avait 216 officiellement établies. «On en a un moment compté jusqu’à 260», rappelle M. Wirion. L’explication de cette tendance est simple et tient en un mot et un chiffre: Solvency II. «Les coûts engendrés sont très importants et il y a une exigence pour qu’un certain nombre d’organes soient présents dans toutes les entités, quelle que soit leur taille», indique M. Wirion. «Nous avons tout fait pour atténuer ces effets en permettant aux sociétés de réassurance de se décharger vers des sociétés de gestion, mais il reste toujours un minimum incompressible qui rend la vie des petites structures très difficile.» Cette diminution statistique ne signifie pas non plus que le marché luxembourgeois perd de sa puissance comparé aux autres. Car, généralement, les sociétés de réassurance qui ont cessé leur activité ici ont cessé d’exister tout court. «Nous avons aussi vu arriver de nouvelles entités depuis le début de l’année», tempère M. Wirion. «Mais de nouveaux risques pointent, notamment avec les règles Beps qui exigent qu’il y ait de la substance dans un pays. Qui dit substance dit coûts, il n’est donc pas impossible que les mesures Beps découragent à nouveau l’une ou l’autre captive.»