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Robert Dennewald (ici lors d’une intervention en novembre 2018 lors d’un 10x6 du Paperjam Club) exhorte l’État à revoir sa copie sur la flexibilisation du temps de travail. 

Depuis son bureau, il peut contempler la zone d’activité où son entreprise – active dans les produits en béton et employant 160 personnes – occupe une large place. À Contern, il gère aussi un important patrimoine foncier où sont venues se loger des sociétés comme Interbrew pour sa distribution ou encore Hifi International.

Président de Contern SA (anciennement Société anonyme des Chaux de Contern) et du business club local, Robert Dennewald a retrouvé une liberté de parole en quittant il y a quelques jours son mandat à la Chambre de commerce. Le temps est venu de laisser la place à une autre génération, comme va le faire Michel Wurth. Sans pour autant se taire sur les sujets qui le passionnent… et parfois le fâchent. Tour d’horizon.

Un projet du gouvernement ne recueille pas du tout l’approbation du patronat: l’introduction de deux jours de congé supplémentaires, un légal et un jour férié. Pourquoi cette opposition? 

Robert Dennewald– «Ce projet me fâche. Il porte la signature des socialistes et l’influence des syndicats. J’y vois une conséquence des négociations de la coalition où les socialistes ont peut-être exercé plus d’influence que les électeurs ne leur en avaient confié. 

Ces deux jours de congé vont peser sur notre compétitivité, car nous allons perdre deux jours de travail. Le 9 mai tombe en plus dans la bonne saison pour le secteur de la construction, par exemple. Le mois de mai est déjà marqué par l’Ascension, et si le 9 mai tombe un mardi ou un jeudi, les gens vont faire le pont. J’ajoute que lorsque le patronat a rencontré Monsieur le Premier ministre et qu’il a été question de ces difficultés, il nous a été répondu que les entreprises qui n’arrivent pas à assumer feraient mieux de fermer aujourd’hui plutôt que demain. 

Le système actuel nous pousse à faire appel à beaucoup d’intérimaires.

Robert Dennewald, Contern

Mais la situation des entreprises paraît pourtant positive… celles-ci étant portées par la conjoncture.

«Vous connaissez peut-être l’histoire du paysan qui possédait un cheval. Il estimait que son cheval mangeait trop et a décidé de réduire progressivement sa ration d’avoine… jusqu’à ce que la bête réduise sa productivité… et meure. Ce ne sont pas ces jours de congé qui porteront un coup fatidique aux entreprises, mais ils s’ajoutent aux autres éléments qui nous rendent la vie réellement difficile: le congé parental, le jour de congé supplémentaire, le jour férié supplémentaire, la flexibilisation du temps de travail… on ne s’y retrouve plus.

Quels sont les problèmes que vous rencontrez en matière de gestion du temps de travail?

«C’est assez simple. Le patron veut pouvoir donner beaucoup de travail quand il y a beaucoup de travail à offrir. Quand il y a moins de travail, nous voudrions trouver un système qui puisse compenser le déficit. Le système actuel ne nous donne aucune flexibilité et nous pousse à faire appel à beaucoup d’intérimaires. Et qui dit intérimaires, dit quand même, d’une certaine manière, des conditions de travail précaire. J’estime que je pourrais engager 5% d’effectifs en plus si nous pouvions bénéficier d’une plus grande flexibilité. À condition de trouver la main-d’œuvre, ce qui est un autre problème.

Il faut provoquer le débat au Luxembourg.

Robert Dennewald, Contern

Vous prévoyez de publier des posts d’opinion sur les réseaux sociaux pour susciter le débat… et de déposer des pétitions publiques sur le site de la Chambre des députés…

«Je veux en effet publier des pétitions sur des sujets bien précis que je dévoilerai prochainement, avec l’espoir de déboucher sur un débat public. Je suis persuadé que certains sujets doivent être discutés, il faut provoquer le débat au Luxembourg. Je serai le ‘gilet jaune’ du patronat. Je ne vais plus me taire. 

Un exemple?

«Je pense à l’abolition des congés collectifs d’été. J’en ai déjà parlé sur Linkedin (un post rédigé après l’intervention de François Bausch lors de la Fête des entrepreneurs. Le ministre des Travaux publics suggérait aux entreprises de renoncer au congé collectif, ndlr). 

Ces congés collectifs représentent une perte sèche pour l’économie. Tout un secteur est arrêté pendant trois semaines, 15 jours ouvrables sur 200 annuellement. Le Luxembourg peut-il se payer ce luxe alors que nous n’arrivons pas à suivre au niveau des chantiers? Ma proposition est de laisser le libre choix aux entreprises. Il faut laisser la liberté aux gens.

La mandature qui débute est marquée par une continuité au ministère en charge des Infrastructures et des Travaux publics, avec François Bausch (Déi Gréng) qui en assure la tutelle. Comment estimez-vous son action gouvernementale?

«Il fait un travail extraordinaire. Il est à l’écoute des gens et a du courage dans ses idées, qu’il fait d’ailleurs passer du papier à la réalité. Or, le Luxembourg a un grand besoin urgent d’infrastructures. C’est l’homme qu’il fallait.

La présidence de la Chambre de commerce doit revenir à un entrepreneur de l’industrie ou du commerce.

Robert Dennewald, Contern. 

Même si les propriétés ne sont pas toutes orientées vers le routier…

«Il en a quand même prévu beaucoup. Je pense par exemple aux ronds-points pour mener au site de Contern. Il a aussi accepté de mener une étude de faisabilité pour une nouvelle sortie d’autoroute qui desservirait Contern en direct. L’infrastructure ferroviaire est d’ailleurs tout aussi urgente. Nous devons jouer sur tous les tableaux.

Vous avez décidé de quitter la vice-présidence de la Chambre de commerce après 15 ans. Une volonté de laisser la place à la nouvelle génération?

«Chaque chose en son temps. J’ai en effet été vice-président pendant 15 ans. C’est le bon moment pour passer le flambeau aux jeunes. J’ai d’ailleurs été choqué d’apprendre qu’un homme politique (l’ancien ministre des Finances CSV, Luc Frieden, ndlr) avait posé sa candidature deux mois avant les élections de la Chambre. La présidence de la Chambre de commerce doit revenir à un entrepreneur qui est issu du monde de l’entreprise, selon moi, de l’industrie ou du commerce. D’autres secteurs sont intéressés par la Chambre de commerce, mais l’industrie et le commerce sont les plus tributaires de ses activités. 

Or, j’ai eu l’impression que les jeux étaient déjà faits avant que l’élection ait lieu… d’autant que j’ai appris que le monde politique avait été approché pour savoir si ce candidat conviendrait. C’est à nous d’élire ce président. Il ne faut pas que la Chambre de commerce perde son âme. Je rends d’ailleurs hommage à Michel Wurth qui a été un président exceptionnel. 

La tripartite a profité d’une conjoncture favorable, mais a fait un bon travail.

Robert Dennewald, Contern

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’économie du pays en 15 ans?

«Dans l’ensemble, nous avions bien tenu le coup face à deux crises. Si je pense au secteur bancaire, combien avaient prédit que l’abolition du secret bancaire marquerait la fin de la place financière? Et le secteur a bien tenu le coup. Pour l’industrie, je suis ravi de constater que les entreprises investissent. Je pense à la nouvelle usine de Goodyear, aux 340 millions investis par DuPont de Nemours, à l’usine controversée de yaourt qui va s’implanter (référence à l’usine Fage de Bettembourg, ndlr). Je déplore tout de même que certains autres projets n’aient pas vu le jour en raison de dissensions au niveau du gouvernement (référence au projet avorté de Knauf qui s’implante finalement en Moselle française, ndlr).

La tripartite a certes profité d’une conjoncture favorable, mais dans l’ensemble, elle a fait un bon travail. Le ministre de l’Économie (Étienne Schneider, LSAP, ndlr) a le sens du business. Il sait prendre des décisions, il a un très bon réseau. Il n’hésite pas à s’engager sur du concret.

Mais vous ne le rejoignez pas sur la politique sociale du gouvernement…

«Je déplore l’influence des syndicats. Sont-ils vraiment représentatifs au niveau national? 

Quelles sont désormais vos occupations au quotidien?

«Je suis président du conseil d’administration de Contern. Je ne suis plus dans l’opérationnel, j’assiste encore à des réunions importantes, mais je prends surtout le temps et le plaisir de visiter l’usine, je vais au contact de nos employés. Mon autre occupation est d’accompagner Apateq qui connaît actuellement un développement proche de l’explosion. En 2018, nous avons réalisé un chiffre d’affaires d’un peu moins de deux millions d’euros. Cette année, nous devrions clôturer l’exercice en dépassant la barre des 20 millions.

(Apateq est une start-up spécialisée dans le traitement industriel des eaux usées que Robert Dennewald a soutenue après avoir tenté l’expérience dans un secteur similaire avec Epuramat, ndlr)

Les hommes politiques qui parlent du Luxembourg comme d’une ‘start-up nation’ ne savent pas de quoi ils parlent.

Robert Dennewald, Contern

Comment expliquez-vous ce succès?

«Nous avons découvert un marché presque par hasard. En raison d’une législation qui entrera en vigueur en 2020, les navires n’auront plus le droit d’émettre des gaz d’échappement de moteurs à haute teneur en soufre. Se pose le choix de carburants moins polluants mais plus chers, ou de laver les gaz d’échappement grâce à la création d’une sorte de brouillard nécessitant de l’eau qui devra ensuite être traitée pour être rejetée à la mer. 

Apateq propose de traiter cette eau souillée. La recherche de main-d’œuvre est un très grand challenge dans ce contexte. L’autre est de trouver les partenaires pour financer notre fonds de roulement, sachant que les banques sont très frileuses quand il s’agit de prendre des risques. Nous réfléchissons à ouvrir le capital aux investisseurs.

Ce qui revient à l’enjeu de la «start-up nation» luxembourgeoise: financer les start-up prometteuses…

«Les hommes politiques qui parlent du Luxembourg comme d’une ‘start-up nation’ ne savent pas de quoi ils parlent. L’État pourrait jouer un rôle, par exemple en conférant à la Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI), qui dispose de fonds très importants, un volet ‘venture capital’ qui s’adresse à des secteurs autres que l’ICT, le tout en collaboration avec des investisseurs professionnels de l’étranger. Cela nous permettrait d’attirer des start-up au Luxembourg grâce à une structure de financement qui tienne la route. La réflexion autour des start-up ne doit pas se limiter aux data, aux fintech et à la digitalisation.»