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Depuis la grave crise de l'industrie sidérurgique au milieu des années 70, le Grand-Duché de Luxembourg a trouvé, dans l'économie des services, une formidable planche de salut qu'il a su faire fructifier au point d'être devenu, à l'aube du XXIè siècle, une des principales places financières mondiales.

Il n'y a rien de fondamentalement étonnant dans cette mutation, qui ne fait que suivre la progression logique de toute économie voyant sa main d'oeuvre, au fil de l'histoire, migrer du secteur primaire (industrie extractive et agriculture) vers le secteur tertiaire (services), après être passée par le secondaire (industrie). Au plus fort de l'époque sidérurgique, dans les années 70, l'industrie atteignait ainsi près de 45% de la population active au Grand-Duché alors que l'agriculture, qui affichait ce même taux d'occupation au début du siècle, était passée sous les 10%.

Aujourd'hui, le secteur des services occupe presque les trois quarts de la population, et l'industrie un quart environ, la part de l'agriculture étant inférieure à 3%. Mais si quelque 200 banques et un grand nombre de professionnels du secteur financier représentent, aujourd'hui, une richesse non négligeable (32% de la production nationale, 38% du PIB et 37 des recettes fiscales, selon l'étude d'impact de l'industrie financière sur l'économie luxembourgeoise réalisée par le Comité pour le Développement de la Place Financière), il ne faudrait pas non plus croire que le tertiaire écrase tout sur son passage.

6,2 milliards d'euro produits

La part relative des services marchands, au Luxembourg, reste équivalente à celle mesurée chez les voisins français, belges ou néerlandais, et l'industrie continue à jouer un rôle clé dans l'économie du pays. Et c'est heureux. Quel intérêt y aurait-il eu à se préserver d'une structure "monolithique" telle que le fut la sidérurgie pour courir le même risque avec le secteur financier ? "Aujourd'hui, l'industrie luxembourgeoise a atteint un degré de diversification qui la rend moins vulnérable par rapport aux variations conjoncturelles des marchés internationaux" estime Georges Schmit, Secrétaire Général du ministère de l'Economie, et Président de la Société Nationale de Crédit et d'Investissement (SNCI).

Certes, l'Arbed - devenue Arcelor - et ses filiales constituent toujours, et de très loin, le premier employeur du pays (voir page 059). Mais l'ensemble du secteur industriel luxembourgeois comprend environ 350 entreprises occupant plus de 35.000 salariés et qui fabriquent, chaque année, des produits pour un montant global proche de 6,2 milliards d'Euro (environ 250 milliards de francs luxembourgeois). "Lorsque la place financière s'est fortement développée au Luxembourg au cours des années 70 et 80, l'opinion largement répandue à l'époque était que l'industrie n'était pas à la mode" rappelle pourtant Georges Santer, Chargé de Communication à la Fédération des Industriels Luxembourgeois (FEDIL). Les faits ont, heureusement, prouvé le contraire. Evidemment, cette forte croissance ne pouvait pas être exclusivement organique, et l'apport étranger recherché essentiellement à partir des années 60 s'est avéré capital. En l'espace d'une quarantaine d'années, ce sont environ 150 entreprises industrielles manufacturières employant pas moins de 17.000 personnes qui se sont installées dans le pays.

Goodyear... et les autres

Mais d'où vient donc l'industrie luxembourgeoise, après que se furent éteintes les petites entreprises manufacturières, souvent familiales,  qu'étaient les tanneries, filatures, draperies, tissanderies et autres teintureries de Luxembourg, Wiltz, Larochette, Ettelbrück ou Esch-sur-Sûre ?

Historiquement, le premier 'Grand' de l'industrie mondiale a avoir posé ses valises au Luxembourg - plus précisément à Colmar-Berg -, c'est Goodyear, dès 1949, même si d'autres noms "étrangers" prestigieux apparaissent un peu avant dans la chronologie (Siemens en 1910, Shell en 1920 ou BP en 1947).

Mais c'est clairement à partir des années 60 que les choses se sont accélérées. Outre la création du Board of Industrial Development, assurant la promotion du pays hors de ses frontières, il fut en effet mis en place une véritable politique de diversification industrielle et un cadre législatif destiné à accompagner les investissements industriels et à rendre le pays plus attractif pour les investisseurs étrangers. Parmi les mesures déjà proposées à cette époque: une exemption de 25% du bénéfice imposable pour les exploitations et fabrications nouvelles installées ou introduites entre 1962 et 1964.

Entre 1959 et 1972, 49 implantations nouvelles ont ainsi été recensées; 400 millions d'Euro (16 milliards de francs) investis en bâtiments et en équipements; 10.000 emplois créés pour des recettes fiscales de 42 millions d'Euro (1,7 milliard de francs) et un coût direct pour l'Etat et les communes estimé à 25 millions d'Euro (1 milliard de francs). Pour la seule période 1962-1964, plus de 20 créations d'entreprises industrielles avaient été faites par des investisseurs notamment d'origine américaine.

12.000 emplois nouveaux en 25 ans

De 1975 à nos jours, ce sont ensuite près de 200 entreprises ou activités nouvelles qui se sont implantées dans le pays, ayant généré quelque 12.000 emplois nouveaux. A ce chiffres, il faut ajouter les dépenses en R&D. C'est ainsi que depuis 1981, le Ministère de l'Economie a encadré pas moins de 210 programmes et projets de Recherche et Développement qui représentent somme toute un investissement de quelque 478,56 millions d'Euro (plus de 19 milliards de francs).

"Les années 70 ont marqué une certaine pause, en raison d'une période conjoncturelle très chaude se souvient M. Schmit. Il y avait aussi une résistance qui s'était créée dans les milieux professionnels, car il commençait à y avoir une pénurie de main d'oeuvre alors que le flux de frontaliers n'existait pas encore vraiment. Les implantations étrangères au Luxembourg avaient donc, petit à petit, épuisé le réservoir de main d'oeuvre. Au départ, n'oublions pas que la politique de diversification n'avait pas pour objet de résoudre un problème d'emploi dans l'industrie, mais dans l'agriculture, suite à la mise en place de la politique agricole commune au niveau européen. C'est pour cela que les premières grandes installations industrielles ont été concentrées plutôt dans le nord du pays: Goodyear à Colmar Berg; Monsanto à Echternach et d'autres encore à Wiltz ou Clervaux. C'est seulement dans le courant des années 70 que le centre de gravité régional de la politique de diversification s'est déplacé vers le sud'.

Cette pénurie de main d'oeuvre, la crise sidérurgique va, bien involontairement, se charger de la résoudre en partie. "Beaucoup d'emplois qui avaient été perdus chez Arbed se sont ainsi retrouvés dans d'autres entreprises existantes, ou encore dans les entreprises nouvellement créées, implantées surtout dans le sud du pays" rappelle M. Santer.

Neutralité et confort social

Si les récentes réformes fiscales entrées en vigueur ont rendu le pays encore plus attractif pour les entrepreneurs (l'impôt sur les sociétés n'est plus que de 22% désormais, alors qu'il culminait à 40% au milieu des années 80), elles ne représentent néanmoins qu'une faible partie du pouvoir de séduction du Luxembourg. "L'un des arguments clef du choix du Luxembourg réside aussi dans la stabilité sociale qu'on ne retrouve pas chez nos voisins. Le principe des tripartites a permis de restructurer la sidérurgie en accord avec les syndicats et sans conflit social' constate M. Santer.

On se rappellera aussi que le gouvernement luxembourgeois a su retenir Goodyear en autorisant le travail de nuit sur son site de Colmar, alors que, par ailleurs, le régime de travail de 40 heures par semaine se montre tout à fait compétitif par rapport aux durées réduites mises en avant par bon nombre d'autres pays.

Mais les atouts du Grand-Duché ne manquent pas, par ailleurs. Outre sa position géographique centrale au c'ur des principales places fortes européennes que sont la France, l'Allemagne et le Benelux, on peut également citer la grande neutralité d'un site qui, de surcroît, est orienté à 95% vers l'export. "Dans la mesure où nous n'avons pas de véritable marché propre, donc pas de concurrence propre, cela joue forcément en notre faveur lorsqu'une entreprise veut s'implanter en sachant qu'elle n'aura pas de concurrence directe à prévoir, notamment venant d'entreprises ayant un fort ancrage historique dans leur propre pays" explique M. Schmit. Goodyear aurait-il ainsi débarqué de la même façon au Grand-Duché si Michelin avait été luxembourgeois ?

Une autre force du pays réside également dans son caractère multiculturel, qui peut assez facilement servir d'interface: "une entreprise française désirant pénétrer le marché allemand pourra ainsi, par exemple, trouver au Luxembourg une meilleure compréhension de la langue et de la culture allemande. Et c'est aussi vrai dans l'autre sens. Le Luxembourg peut constituer une porte d'entrée dans chacun de ces marchés".

Dans toute cette palette de couleurs attractives, les avantages fiscaux ou financiers sont donc loin d'être les plus criards. "Une entreprise qui fait le choix d'investir au Luxembourg doit d'abord bien maîtriser son potentiel d'accès au marché. Nous n'avons pas eu de cas d'implantations uniquement motivées par l'appât d'aides. De toute façon, les gouvernements, quels qu'ils soient, n'ont pas donné de feu vert à une implantation si le projet proposé ne semblait pas tenir la route. Il est important d'avoir une bonne visibilité sur le long terme" estime M. Schmit.

Cet état d'esprit général est certainement pour beaucoup dans le taux relativement faible "d'échecs" industriels marquants dans le pays, lesquels se sont longtemps limités au seul cas de Monsanto, à la fin des années 70. Mais les dernières expériences douloureuses de Bay State ou de Getec sont là pour rappeler que rien n'est jamais acquis d'avance.

Plus de la moitié des résultats nets réinvestis sur place

Aujourd'hui, les investissements en provenance de l'Europe sont de plus en plus importants au Luxembourg, certainement plus que ceux issus du Japon ou des Etats-Unis. Il faut dire aussi que la plupart des investissements majeurs de ces deux pays sont déjà faits ici !

Fin 1999, selon les dernières statistiques fournies en la matière par le Statec, l'encours total des investissements directs de l'étranger (IDE) au Luxembourg s'est élevé à 21,26 milliards d'Euro, dont 72% proviennent du secteur banques et assurances. Ce stock des IDE "entrants" excède le montant du PIB (ratio: 117%), alors qu'il n'en représente qu'une fraction dans les autres pays industrialisés (17% pour la moyenne mondiale, 22% pour la moyenne communautaire et 51% pour l'Irlande, qui affiche derrière le Luxembourg le taux le plus élevé dans l'UE). Par personne employée, l'IDE s'élève au Luxembourg à 85.463 Euro, contre 36.157 Euro en Irlande, 30.771 Euro aux Pays-Bas ou 14.481 Euro pour la moyenne communautaire.

Les investissements directs de l'étranger en matière d'industrie ont représenté 2,75 milliards d'Euro (13%), dont plus de la moitié en provenance des Etats-Unis. Les résultats nets proportionnels dégagés par les sociétés objet d'IDE de l'étranger s'élèvent à quelque 3 milliards d'Euro, dont les trois quarts reviennent au secteur bancaire. L'industrie, tout comme les services autres que banques et assurances, atteint un résultat d'environ 300 millions d'Euro. Et si plus de la moitié des résultats nets proportionnels du secteur bancaire ont été reversés sous forme de dividendes à l'étranger, les entreprises industrielles ont réinvesti sur place plus de la moitié des résultats dégagés.

"Du côté des entreprises, le choix d'une implantation et d'un investissement est également un exercice délicat constate M. Schmit. Les investissements par emploi sont devenus de plus en plus importants: il fallait compter environ 5 millions de francs par emploi il y a quelques années; entre 15 et 20 millions aujourd'hui. Une décision d'implantation demande donc une étude très fine de tout l'environnement du pays".

Le Vieux Continent représente actuellement, plus que jamais, le terrain de chasse privilégié des prospections économiques luxembourgeoises. L'Italie du Nord ou la Scandinavie, par exemple, sont particulièrement sollicités. Mais globalement, le Luxembourg se trouve confronté à une difficulté incontournable: celle du manque d'espace susceptible d'accueillir des grandes implantations industrielles. "Ce qui nous oblige à nous concentrer sur des activités à forte valeur ajoutée, nécessitant moins de besoins de base en matières premières" reconnaît M. Schmit.

C'est aussi pour cela que sont fortement soutenues toutes les initiatives visant à promouvoir le développement des pôles de compétences existants et la coopération technologique entre entreprises établies: c'est le principe des ?clusters", déjà concrétisés entre DuPont de Nemours et Chaux de Contern, réunis dans la conception de nouvelles formules de béton, de matériaux composites et de géométries innovantes pour des blocs isolants visant à améliorer sensiblement leur propriétés d'isolation thermique (voir aussi l'article consacré aux cols blancs et aux clos bleus, page 068).

"C'est une approche originale qui permet même de générer des coopérations entre différents secteurs. Elle peut également profiter du fait qu' il n'y a que très peu de cas de concurrence directe entre des entreprises luxembourgeoises. La concrétisation du partenariat entre DuPont et Chaux de Contern a d'ailleurs dépassé nos propres espérances. Mais il y a une vingtaine d'entreprises qui se voient régulièrement dans ce domaine des matériaux. On espère ainsi des partenariats plus durables à l'avenir" explique Marco Walentiny, Conseiller de Direction 1ère classe au ministère de l'Economie.

Ainsi, peut-être l'industrie luxembourgeoise de demain, une fois digérée l'intégration verticale des compétences et moyens venus de l'étranger, sera-t-elle en mesure de trouver un souffle nouveau dans ces développements horizontaux qui, eux non plus, ne connaissent pas de frontières?

 

Ils sont là depuis?

 

1511: Brasserie Mousel-Diekirch

1767: Villeroy et Boch

1824: Brasserie Simon

1847: Heintz van Landewyck



1870: Paul Wurth



1882: Arbed (devenue Arcelor)



1894: Luxlait



1906: Poudrerie de Luxembourg



1910: TrefilArbed Bissen; Siemens



1919: Matériaux S.A.



1920: Ciments luxembourgeois; Shell Luxembourgeoise



1921: Caves Bernard Massard



1923: Chaux de Contern



1928: Cegedel



1931: Cerametal; CLT (devenue RTL Group)



1932: Téléphonie S.A.



1937: Brasserie Battin



1947: BP Luxembourg



1949: Goodyear; Soludec; Texaco Luxembourg



1951: Société Electrique de l'Our



1961: Circuit Foil Luxembourg (ex-Yates Industries); CTI Systems; Luxair



1962: Astron Building Systems; DuPont de Nemours; Bay State; Centralfood



1963: Saint-Gobain Norton



1970: Cargolux



1972: Electrolux (devenue Dometic)



1975: Brasserie Nationale (Bofferding)



1976: Elth; Ludec Sàrl



1979: Delphi Automotive



1980: Guardian Luxguard



1981: Galvalange



1984: Husky



1985: Société Européenne des Satellites



1986: GE Fanuc Automation Europe



1989: Rotarex; TDK Recording Media Europe; IEE International Electronics & Engineering



1992: Tarkett Sommer Luxembourg



1993: Ceodeux



1944: Rubbermaid Luxembourg, Kronospan Sanem Ltd et Cie



1997: Euronimbus (devenue Technicolor-Euronimbus)



1998: Mipa

1999: Gapi

 

(Source: Annuaire 2001 de la FEDIL et autres)