Paul Priestman: «La conception des transports se doit d'être intemporelle.» (Photo: Priestmangoode)

Paul Priestman: «La conception des transports se doit d'être intemporelle.» (Photo: Priestmangoode)

Monsieur Priestman, pour vous, à quoi sert le design?

«Depuis toujours, je réfute l’idée que le design est une affaire de style. Il ne s’agit pas de faire beau mais de faire mieux, de faire en sorte que la vie s’en trouve améliorée. Il ne s’agit pas de faire vendre plus d’objets, mais de trouver des solutions aux problématiques spécifiques, voire d’aller au-delà des attentes ou des questions formulées. La plupart des gens ne réalise pas que le design est partout autour d’eux et a de l’impact sur nos vies quotidiennes.

À quoi reconnaît-on alors le bon design?

«À mon sens, le bon design est celui que l’on ne remarque pas, il ne crie pas ‘Regardez-moi’, il permet simplement à la vie quotidienne de fonctionner convenablement. Il y a aussi une question de durabilité et, dans l’univers des transports où je travaille particulièrement, cette notion de temps est très importante parce que les investissements sont considérables. Le designer a donc une très grande responsabilité parce que ce qu’il met en place va rester longtemps.

Comment travaillez-vous pour obtenir ce bon design?

«La clé de la réussite d’un projet est de mener un processus intégré, qui considère tous les aspects du problème. Par exemple, quand on s’adresse à une compagnie aérienne, cela va de l’interface pour réserver son billet en ligne à l’avion lui-même, ses sièges, sa cabine de première classe, ses trolleys pour servir, mais aussi les salons pour attendre à l’aéroport, le logo de la compagnie, le traitement des bagages et, pourquoi pas, la liaison pour arriver à l’hôtel… Bien sûr, cela prend plus de temps et cela demande un grand nombre d’expertises. Notre bureau emploie une cinquantaine de personnes avec des compétences variées – des graphistes aussi bien que des ingénieurs, des développeurs web que des techniciens des matériaux, des ergonomistes aussi bien que des spécialistes des marques – ce qui permet d’avoir une vue globale de toutes les facettes de la question.

Avez-vous une ligne reconnaissable?

«Comme je l’ai dit, le style importe peu, c’est l’adéquation de la réponse qui compte. Cependant, je dois dire que l’expérience nous permet d’apprendre d’un secteur, d’une industrie, pour nous en servir dans un autre. Nous avons vu que certains problèmes sont les mêmes dans les cabines des avions que dans les hôpitaux: peu d’espace, des temps de séjour courts, des questions d’hygiène et de sécurité… des solutions trouvées pour l’un, en termes ergonomiques ou par le choix de certains matériaux faciles d’entretien, peuvent être utiles à l’autre. Dans le même ordre d’idées, des réalisations pour un hôpital peuvent inspirer un hôtel, notamment ceux avec des chambres petites. C’est ainsi que la chaîne Yotel, nous a invités à travailler sur leur concept pour les hôtels futurs qui visent à offrir aux clients une expérience de première classe à des prix abordables. Afin de maximiser un espace de 10,5 m2, le lit double peut tourner pour se transformer en canapé afin de se détendre. Les rangements sont encastrés pour libérer encore plus d’espace. À travers une variété de paramètres d’éclairage programmables, la salle Yotel peut être transformée pour la détente, le travail ou le bain. On utilise la taille réduite de la salle comme une contrainte pour développer une solution hautement intégrée.

À quoi ressembleront les trains de demain?

«La conception des transports se doit d'être intemporelle. Nous concevons des trains qui seront en service pour les 50 prochaines années. Si nous les avions conçus avec une ressemblance avec les derniers modèles, ils auraient très vite l’air datés. Certaines caractéristiques du futur train sont importantes pour des raisons pratiques. Ainsi, un train à deux étages doublera la capacité, ce qui est essentiel pour la croissance du nombre de passagers en regard des croissances de populations urbaines et périurbaines. Une conception aérodynamique lisse est impérative pour un train qui roule à des vitesses élevées.

Le réseau ferroviaire est aussi appelé à évoluer…

«Le secteur des transports est aussi important que celui de l’éducation, car il définit les lignes de demain. Toutes les villes ont les mêmes problèmes: trafic, pollution, sécurité parce qu’historiquement elles ont été conçues de la même façon, soit autour de la voiture. Le point critique est de faire arriver les gens en ville parce que si les centres-villes se vident, les villes meurent. Il faut trouver des alternatives à la voiture: interconnexion entre les vélos et les transports publics, marche… À l’autre bout, il s’agit de faire circuler la population à longue distance. Partout, les gouvernements dépensent des milliards en essayant de construire le nouveau train du 21e siècle sur une infrastructure de gares qui a été conçue au 19e siècle pour les trains à vapeur. Nous devrions repenser les infrastructures et la construction d’un réseau ferroviaire local au global interrelié.

C’est votre projet «Moving Platforms»?

«Oui. C’est un concept d’infrastructure ferroviaire totalement interconnectée où les tramways locaux se connectent à un réseau de trains à grande vitesse qui ne s’arrêtent pas. Les passagers peuvent ainsi voyager depuis leur arrêt local à une adresse locale à destination sans descendre d'un train. Pour réussir à changer la façon dont nous voyageons, il est impératif que l'infrastructure que nous utilisons fonctionne avec cette nouvelle technologie et qu’elle permette un voyage des passagers sans coupure, de la maison à la destination voulue.

Le projet de tram à Luxembourg fait couler beaucoup d’encre. Qu’en pensez-vous?

«En tout état de cause, Luxembourg a raison de vouloir se sortir de la voiture. Il faut voir plus loin que le périmètre de la capitale. L’échelle de la ville dépasse maintenant les frontières de son propre territoire et même dans votre cas de celles du pays. La notion de frontière n’est donc plus pertinente et les transports doivent être pensés à cette échelle. Ça vaut la peine d’investir dans un système qui pourra remplacer la voiture et ce ne sera le cas que s’il est performant.»

Conférence organisée par Design Friends le 23 avril à 18h30 au Mudam

www.priestmangoode.com