Michel Reckinger et Marianne Donven plaident pour un assouplissement des procédures d’embauche des réfugiés. (Photo: Matic Zorman)

Michel Reckinger et Marianne Donven plaident pour un assouplissement des procédures d’embauche des réfugiés. (Photo: Matic Zorman)

Pour réaliser son film «Grand H», Frédérique Buck a interviewé une bonne dizaine de personnes, issues de la société civile et actives dans l’aide et l’accueil des demandeurs de protection internationale. Outre les affres de l’attente de réponse, l’incertitude quant aux possibilités de logement, les difficultés à sortir des méandres de l’administration, le film pointe l’extrême difficulté de travailler pour les personnes en attente d’un statut.

À la veille de la sortie du film en salle, Paperjam.lu s’est penché sur cette question et a interrogé deux des témoins du film, Marianne Donven, personnalité très engagée et cofondatrice de OH Open Home – Oppent Haus, et Michel Reckinger, à la tête de l’entreprise de sanitaire-chauffage qui porte son nom.

Pouvez-vous d’abord nous rappeler le cadre légal de travail pour les bénéficiaires et demandeurs de protection internationale?

Marianne Donven: «Les bénéficiaires, une fois le statut obtenu, ont les mêmes droits que les travailleurs résidents de toute nationalité. Ça ne veut pas dire que c’est facile de trouver du travail, mais ils ont pleinement le droit de travailler et, le cas échéant, de s’inscrire à l’Adem.

Les DPI, depuis la loi de 2016, peuvent s’inscrire à l’Adem après six mois, ce qui leur donne le droit de travailler à travers une autorisation d’occupation temporaire (AOT), mais cette procédure est longue et complexe.

L’autorisation d’occupation temporaire est une procédure légale, pas une réponse humanitaire.

Michel Reckinger, chef d’entreprise

Pouvez-vous nous détailler les étapes de cette procédure?

M. D.: «Le chef d’entreprise doit déclarer le poste vacant à l’Adem, qui lui envoie les candidats correspondants. Il doit manifester qu’il veut ce candidat réfugié à l’exclusion des autres et rédiger une lettre qui motive ce choix. Après au moins trois semaines, le patron reçoit un certificat de l’Adem qui l’autorise à engager une personne d’un pays tiers (hors Union européenne, ndlr). Le ministère du Travail doit encore approuver par la suite. C’est une charge de travail considérable pour le chef d’entreprise, surtout s’il a besoin de main-d’œuvre rapidement.

Michel Reckinger: «C’est une procédure légale, pas une réponse humanitaire. Et c’est la même que pour embaucher n’importe quelle personne d’un pays extra européen, si on cherche un informaticien indien ou un cuisinier brésilien, il faut prouver qu’on ne l’a pas trouvé au Luxembourg. C’est une réponse logique, mais non appropriée. Ce qu’il faudrait, dans le cadre des DPI, c’est une procédure allégée, humanitaire, qui permette de leur donner du travail jusqu’au moment où la décision a été prise. Il est bien évident que le travail va faciliter l’intégration et la vie de tous les jours. Une fois qu’ils ont obtenu le statut, ils peuvent avoir un autre contrat, qui tient compte de leur expérience.

Avez-vous eu l’expérience pour faire travailler des DPI?

M. R.: «On a fait cette démarche à plusieurs reprises avec des jeunes qui sont dans des classes d’intégration à l’école et qui pendant leurs vacances ont travaillé en tant qu’étudiants. Ça, ils ont le droit, même en tant que DPI. Ça s’est très bien passé. Ils se sont bien intégrés dans l’entreprise, ont gagné un peu d’argent. Quand ils ont obtenu leur diplôme et leur statut, j’ai pu les embaucher. Cela représente sept ou huit personnes en deux ans qui progressivement vont pouvoir faire des apprentissages pour adulte, acquérir des compétences, et parfois se faire embaucher ailleurs. Ils entrent dans le marché du travail normal.

Combien de personnes bénéficient de ces contrats AOT?

M. D.: «Très peu encore pour l’instant. Sans doute une trentaine sur les plus de 1.500 qui pourraient en bénéficier. Le système allemand est intéressant. Après trois mois, les DPI sont obligés de s’inscrire dans un Job Center et on leur propose des emplois ou du bénévolat. C’est un passage obligé pour bénéficier des aides. Ils doivent être actifs. Alors qu’au Luxembourg, on fait le contraire, on les laisse dans les foyers et on leur apprend à être assistés.

Je vois ces personnes tous les jours venir demander qu’on leur donne des choses à faire.

Marianne Donven, Oppent Haus

Ça a des conséquences sur leur façon de vivre?

M. D.: «Le travail est non seulement un moyen d’intégration, mais aussi un moyen de s’occuper pendant les journées et les mois qui sont longs à attendre dans les foyers. On voit des hommes très atteints psychologiquement car ils ont toujours été actifs et ne peuvent plus subvenir aux besoins de leur famille. Je vois ces personnes tous les jours venir demander qu’on leur donne des choses à faire. Ils ne veulent pas rester inactifs, c’est un stress supplémentaire. 

M. R.: Il faudrait créer un contrat spécifique sur le modèle du contrat étudiant, qui spécifie un salaire, un nombre d’heures maximal, un cadre…

Qu’est-ce qui vous empêche de faire évoluer les choses?

M. R.: «Dans l’artisanat, il y a 7.000 entreprises et leur problème principal est le recrutement. Dans le domaine de la restauration, c’est la même chose. Il serait donc faux de penser que les réfugiés prennent le travail d’autres. Beaucoup de ces emplois ne demandent pas forcément de compétences spécifiques.

M. D.: «Ce type de contrat permet d’apprendre le métier, d’utiliser la langue, qui reste souvent abstraite dans les cours de langue…

En dehors de ce cadre d’AOT, y a-t-il d’autres initiatives?

M. D.: «Oui, il y a d’autres possibilités. Par exemple, le CNDS à Troisvierges propose aux DPI de travailler bénévolement et de se former au jardinage, à la menuiserie… ce qui leur permet de se lever le matin et d’avoir un rythme normal. Il y a aussi le service Connexions à l’Asti qui peut être une bonne solution en attendant que l’AOT aboutisse.

Qu’est-ce que l’entreprise et ses collaborateurs retirent de ces expériences avec les DPI?

M. R.: «Il ne faut pas faire de l’optimisme forcené. L’arrivée de nouvelles personnes peut être compliquée, réfugiées ou pas réfugiées. Parfois ça fonctionne, parfois pas, comme n’importe quelle embauche. Mais après deux ans, je vois maintenant une routine. C’est devenu normal, les gens ne posent plus de questions. Si le nouveau vient du Portugal ou d’Afghanistan, c’est pareil. Je ne veux pas qu’ils soient traités différemment ou stigmatisés. Même s’il y a parfois des restrictions avec des personnes qui ont été blessées et qui ne peuvent pas faire certaines choses.

Quels sont les secteurs où ces embauches sont les plus aisées?

M. D.: «Il y a des personnes qui ont un bon niveau de formation, des informaticiens, des ingénieurs… Mais beaucoup n’ont pas de formation spécifique, car dans leur pays, ils faisaient différents travaux dans différents secteurs, souvent manuels. Ils peuvent donc être des ouvriers polyvalents et apprendre progressivement sur le terrain.

M. R.: «Il faut quand même préciser que peu de personnes ont les compétences techniques précises requises avec les normes et les machines. Il faut arrêter de classer les gens avec des listes de métiers liés à des formations. Il faudrait simplement lister les secteurs: bâtiment, restauration, coiffure, soins… 

M. D.: «Avec la motivation, ils apprennent très vite. Surtout s’ils risquent d’être expulsés s’ils n’ont pas de travail.

L’apprentissage n’est pas une solution pour les jeunes réfugiés.

Michel Reckinger, chef d’entreprise

Qu’en est-il de l’apprentissage?

M. R.: «C’est un point délicat. Il faut arrêter de faire croire à tous les jeunes réfugiés qu’ils peuvent faire un apprentissage. Cela se fait après l’école primaire, après un début d’école secondaire et avec un encadrement spécifique et formé. Les bases doivent être acquises. Ils risquent de rater et de déchanter, il vaut mieux qu’ils commencent à travailler et qu’ils fassent un apprentissage pour adulte après quelques années.

M. D.: «Faire un apprentissage après un ou deux ans de classe d’accueil, c’est vraiment très difficile. 

Pour les bénéficiaires, une fois qu’ils ont le statut, ce n’est pas facile de trouver un emploi.

M. D.: «Bien évidemment, ils se retrouvent en concurrence sur le marché du travail et notamment en concurrence linguistique. Il est donc essentiel qu’ils apprennent bien le français, mais dans les métiers de bureaux, ou commercial, il faut plus de langues en général. Il faut aussi les aider à écrire une lettre de motivation et à activer des réseaux.

M. R.: «Il existe des contrats aidés et subventionnés qui existent à l’Adem, qui pourraient être élargis aux réfugiés pour inciter les patrons à les embaucher et donner la chance à ces jeunes de faire leurs preuves.

Les partis écoutent mais ne veulent rien promettre.

Marianne Donven, Oppent Haus

À la veille des élections législatives, quels messages voulez-vous faire passer aux candidats?

M. D.: «J’ai fait le tour des partis politiques. On a beaucoup parlé de la possibilité de travailler pour les DPI. Ils écoutent, mais les propositions ou les promesses ne viennent pas.

M. R.: «Ce n’est pas un sujet que les partis veulent mettre en avant. Ce n’est pas porteur au niveau électoral. Ils ne mesurent pas quel est le degré d’urgence du problème. Tous les partis ont peur de ce fameux ‘appel d’air’ si cela devenait trop facile de travailler au Luxembourg.»

M. D.: «Il faudrait aussi pouvoir valoriser les personnes qui sont actives, qui recherchent du travail, qui font un apprentissage dans l’avancée de leur dossier pour l’obtention du statut.» 

«Grand H» de Frédérique Buck sort en salle ce 10 octobre.