Claude Marx tient absolument à ce que la CSSF garde un contact étroit avec les acteurs du marché et les instances politiques. «Nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire, coupés du monde», martèle-t-il. (Photo: Mike Zenari)

Claude Marx tient absolument à ce que la CSSF garde un contact étroit avec les acteurs du marché et les instances politiques. «Nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire, coupés du monde», martèle-t-il. (Photo: Mike Zenari)

Cette interview a été réalisée le 15 avril 2016, soit une semaine avant que le nom de Claude Marx ne soit cité en marge du dossier Panama Papers.

M. Marx, comment se retrouve-t-on à la tête de l’organisme de surveillance du secteur financier après une longue carrière de dirigeant de banque et de compagnie d’assurances?

«Je dois d’abord dire que c’est un honneur. Nous sommes le plus grand centre financier de la zone euro et un des 10 plus grands du monde; un centre qui n’a en tous les cas rien à voir avec la taille du pays. Pendant plus de 20 ans, j’ai moi-même été contrôlé par CSSF et par le Commissariat aux assurances et j’ai beaucoup d’estime pour ces deux institutions qui, avec relativement peu de moyens, font un travail très compétent.

J’ai entendu parler de la vacance de poste de directeur général en juin 2015 et j’ai alors réfléchi sur l’opportunité de relever un tel défi. Le cheminement intellectuel a été assez compliqué, car je partais vraiment dans une grande inconnue, ne connaissant personne sur place. Je me suis aussi renseigné pour savoir pourquoi ce poste était ouvert à l’externe, et suite à toutes ces réflexions je suis arrivé à la conclusion que ça pourrait en effet m’intéresser, à un moment où j’avais envie de faire autre chose.

En outre, j’ai aussi senti une volonté émanant du ministère des Finances de recevoir une telle candidature venant de l’extérieur. Je me suis donc décidé au début de l’été.

J’avais aussi essayé de savoir s’il y avait des précédents, mais je n’ai trouvé que quelques cas de personnes ayant migré du secteur public vers le privé. Mais pas l’inverse. Et c’est d’ailleurs dommage, car les deux parties auraient beaucoup à gagner avec de tels échanges.

Quelle a été votre motivation première?

«Cela concerne avant tout l’ensemble de ce qui a fait le succès du Luxembourg. Et l’une des composantes de cette réussite consiste en la bonne coopération et le bon dialogue entre toutes les parties prenantes du centre financier, chacun dans son rôle: le ministère des Finances, les acteurs des industries eux-mêmes, les agences de promotion et le régulateur. Comme je connais bien certaines de ces parties prenantes, je me suis dit qu’il serait intéressant de contribuer à ce facteur de succès en perpétuant ce bon dialogue.

Je crois à ce modèle de bonne collaboration, même si chacun soit rester dans son rôle. Quand la CSSF dit quelque chose, elle le dit forcément dans son rôle de régulateur. Mais ce n’est pas incompatible avec un bon dialogue franc entre les parties concernées.

Quand vous évoquez une volonté émanant du ministère des Finances de recevoir une candidature telle que la vôtre, ça veut dire que vous aviez le soutien de Pierre Gramegna? Que vous étiez son «favori»?

«Pas du tout! Mais je sais que cela a beaucoup été dit. Du reste, je ne connaissais pas particulièrement bien M. Gramegna. Ce que je voulais dire, c’est que j’avais eu l’occasion d’interroger un de ses proches conseillers, en l’occurrence Isabelle Goubin (directrice du Trésor, ndlr). Mais je ne suis par ailleurs membre d’aucun parti politique et je ne le serai jamais.

Quel état des lieux avez-vous fait de la CSSF en arrivant?

«Je n’ai été nommé officiellement qu’à la mi-décembre, le processus de recrutement ayant pris plus de temps que je ne le pensais notamment en raison de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE. Il était prévu que mon prédécesseur, Jean Guill, prenne sa retraite fin 2015. Mais j’ai obtenu qu’il puisse rester jusqu’au 4 février, date de son anniversaire, et j’ai alors officiellement commencé le 5. Cela m’a permis de passer tout le mois de janvier à ses côtés, ce qui était évidemment essentiel pour moi puisque je ne connaissais pas la maison.

Je dois dire que j’ai été très bien accueilli par tous les autres membres de la direction et par les chefs de service. Je n’ai pas senti d’a priori à mon encontre, même s’il n’y a pas eu d’antécédents.

Avez-vous néanmoins ressenti un choc en matière de gestion managériale?

«Entre une société privée et une institution publique, il y a évidemment des différences, mais aussi beaucoup de similitudes dans l’aspect organisationnel et technique du métier. Sur ce dernier point, je dois dire que nous avons un grand nombre de managers ayant déjà une très grande expérience, de 15, 20 ou 25 ans. Quant à mes trois collègues directeurs, ils cumulent 102 ans d’expérience!

Pour ce qui est du volet organisationnel, quand on parle de knowledge management, de ressources humaines, d’informatique, de gestion des finances, ou encore de communication interne ou externe, on touche à des thèmes que l’on retrouve aussi dans une entreprise privée.

Et puis la CSSF a connu ces dernières années une croissance très rapide et cela génère des challenges identiques à ceux que peut connaître une entreprise privée.

Il ne faut surtout pas que le risque fiscal soit remplacé par un nouveau risque: celui du non-respect des règles antiblanchiment.

En revanche, en termes de gouvernance, contrairement au secteur privé où un comité de direction doit rapporter à un conseil d’administration lui-même nommé par les actionnaires, nous sommes totalement indépendants dans notre fonctionnement, dans la loi et dans la pratique. Le conseil n’est là que pour les questions budgétaires.

Par ailleurs, la fonction publique requiert un devoir de réserve, d’impartialité et de discrétion. Nous ne pouvons pas nous exprimer sur les mêmes sujets comme pourrait le faire un chef d’entreprise dans le privé. Nous ne sommes pas là pour porter tous les sujets sur la place publique et avoir une opinion publique sur tous les sujets. Mais quand il y a des sujets sur lesquels il est important de communiquer, nous le faisons évidemment.

Vous avez pourtant récemment retweeté un article de Forbes évoquant une sanction de 547 millions de dollars à l’encontre de la banque Julius Baer aux États-Unis. Cela a pu surprendre. L’auriez-vous fait avec une sanction prononcée à l’encontre d’un établissement financier au Luxembourg?

«Il y a une différence entre la personne publique et la personne privée Claude Marx, qui a aussi son propre compte Twitter et LinkedIn. Ce sont deux choses très différentes. Du reste, il est bien indiqué sur mon compte ‘views are my own’. J’y exprime mes propres vues, ce que je trouve intéressant de relayer à d’autres personnes à titre privé. Cela n’est pas à mettre en relation avec ma fonction à la tête de la CSSF.

Il faut savoir qu’à mon arrivée, la CSSF n’était pas du tout présente sur les réseaux sociaux. C’est maintenant le cas. Nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire, coupés du monde. Nous sommes ouverts et quand nous l’estimons, nous communiquons sur le sujet.

La communication faisait justement partie des points faibles de la CSSF jusqu’à présent…

«Mais il faut considérer la chose dans son contexte et son époque. Il fut un temps où il était mieux pour la CSSF de ne pas communiquer. Aujourd’hui, il est exact qu’une non-communication créé un vide comblé par d’autres. Et cela n’aide pas la commission. Nous estimons qu’aujourd’hui, il faut communiquer de façon proactive et réactive.

Cela fait partie de nos chantiers organisationnels du moment. Nous sommes d’ailleurs en train de recruter un cinquième directeur qui aura notamment en charge ce volet communication interne. Il y a eu plus d’une vingtaine de candidats qui ont postulé (les dossiers devaient être remis pour le 31 mars, ndlr).

Quels sont vos autres chantiers du moment?

«En même temps que recruter un 5e directeur, nous recrutons un responsable informatique. C’est un poste-clé tant nous sommes dépendants de l’informatique. Jusqu’à présent, cette fonction existait, mais elle était partagée avec d’autres responsabilités. Là, nous voulons clairement un poste 100% IT.

Nous travaillons aussi sur bon nombre d’aspects d’organisation interne, notamment pour une meilleure coopération transversale entre les services et les métiers. Le fait d’être désormais dans un même immeuble aide évidemment à cette communication interne.

Il y a bien sûr les chantiers réglementaires. Nous sommes en pleine construction de l’Union bancaire européenne, qui a seulement débuté en novembre 2014. Un an et demi, c’est très récent. Et nous sommes en échanges permanents avec la Banque centrale européenne et les diverses autorités européennes ou encore le Mécanisme de surveillance unique.

Il y a aussi les textes et réglementations en cours d’implémentation tels que PSD II, qui vient d’entrer en vigueur, mais aussi Mifid II, la 4e directive antiblanchiment ou encore Ucits V qui sont en cours de transposition. Même si nous ne sommes pas le législateur et que nous n’écrivons pas les lois, nous sommes amenés à les appliquer. Le tsunami réglementaire qui est un challenge pour les acteurs l’est aussi pour le régulateur pour suivre cette masse de directives et de règlements communautaires, ainsi que les mesures de niveau deux et trois qui y sont liées.

N’oublions pas non plus que dans le cadre du régime CRD IV, qui impose davantage de capitaux propres et de meilleure qualité aux établissements financiers, nous sommes amenés à effectuer des tests plus systématiques et plus poussés.

Cette avalanche de tâches réglementaires risque-t-elle de nuire à la qualité de vos contrôles?

«Le grand défi qui nous attend est, en tous les cas, d’effectuer davantage de contrôles sur place et de nous préoccuper notamment des business models et des stratégies mises en place. Nous sommes encore dans une période où les revenus d’intérêt sont très faibles, voire inexistants pour les établissements financiers. La transparence et la concurrence de nouveaux acteurs mettent les revenus sous pression. Et d’un autre côté, les coûts réglementaires et d’infrastructures sont croissants. C’est bien beau de parler de fintech et de transformation digitale, mais cela a un coût! Il est donc important de se pencher sur les modèles d’affaires des entités surveillées.

Nous devons notamment rester vigilants et faire en sorte que ces nouveaux business models n’amènent pas les entreprises à se diriger vers des marchés qu’elles ne maîtrisent pas. Il ne faut surtout pas que le risque fiscal qui, aujourd’hui, appartient à l’histoire, soit remplacé par un nouveau risque: celui du non-respect des règles antiblanchiment, notamment dans son volet sur la connaissance du client (les procédures KYC, ndlr). Je pense que des affaires comme 1MDB ou Petrobras en sont des exemples. Il existe tout un tas d’obligations professionnelles de base qui existent depuis longtemps, mais qui reviennent plus que jamais dans l’actualité.

C’est pourquoi en plus de l’outil classique du contrôle du réviseur d’entreprise, nous ferons davantage de contrôles sur place. Nous avons des programmes annuels et pluri-annuels de contrôles thématiques concernant par exemple le risque crédit ou la prévention du blanchiment. Dans les 18 prochains mois, nous allons recruter un personnel en nombre suffisant pour le faire.

Le nom de l’avocate Simone Retter, membre du conseil de la Banque centrale du Luxembourg, est cité dans les Panama Papers, où l’amalgame est vite fait entre structurations légales et fraudes avérées. Le risque de réputation est de plus en plus sensible dans le milieu des affaires. Cet aspect des choses a t-il été ouvertement discuté au moment de votre nomination, sachant que vous avez une longue carrière dans des établissements privés, notamment à la banque HSBC, qui a souvent été montrée du doigt?

«Mon CV est assez simple! Je viens de passer quatre ans dans une compagnie d’assurances (Lombard International Assurance, ndlr) en tant que directeur agréé, mon parcours a donc déjà été scruté et analysé par les autorités compétentes. Et avant, j’ai passé 17 ans dans une même banque (HSBC, ndlr), dont j’ai été les dernières années un des deux directeurs agréés, donc également ‘screené’ par les autorités.

Oui, pendant le processus de recrutement, j’ai été interrogé sur ces fonctions antérieures, le rôle que j’ai eu et les expériences professionnelles qui ont été les miennes dans ces postes que j’ai occupés. En tant que dirigeant de banque ou de compagnie d’assurances, il faut déjà remplir des conditions d’honorabilité et de compétences. Cela a déjà été analysé en ce qui me concerne.

Mais une affaire telle que 1MDB, dans laquelle apparaît le nom Marc Ambroisien, un ancien dirigeant de la banque Edmond de Rothschild à Luxembourg, montre tout de même que ces conditions d’honorabilité et de compétences ne mettent pas à l’abri de tout…

«Je ne peux évidemment pas commenter cette affaire par principe, et la CSSF, tout comme le Parquet, se sont déjà exprimés à ce sujet. Je rappelle tout de même qu’il s’agit à la base d’une affaire pénale et que l’enjeu est de savoir concrètement si de l’argent présumé de la corruption a pu être blanchi, entre autres, par le système financier.

La position de la CSSF est très claire: nous attendons de voir les résultats de l’enquête pénale du Parquet, mais nous ne nous intéressons qu’au seul volet de surveillance prudentielle, c’est-à-dire de savoir si la banque citée, ou bien d’autres, ont respecté ou pas leurs obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui semble être au cœur de cette affaire.

Nous avons imposé ces cinq dernières années 3,6 millions d’euros d’amendes pour les entités surveillées, dont 1,1 million pour la seule année 2015.

À partir du moment où une banque ne respecte pas ses obligations et qu’elle a été abusée pour des délits ou des crimes, alors il y a des sanctions que nous pouvons prendre contre cette banque ou contre ceux qui sont agréés par la CSSF comme étant honorables ou compétents. Et nous le faisons! Nous retirons régulièrement leur honorabilité à des dirigeants fautifs – et nous sommes d’ailleurs parfois attaqués pour ce fait – et nous avons imposé ces cinq dernières années 3,6 millions d’euros d’amendes pour les entités surveillées, dont 1,1 million pour la seule année 2015. Et la tendance est croissante.

Il ne faut pas faire d’amalgame entre le rôle des uns et des autres: il n’est pas impossible qu’une banque soit abusée pour tel ou tel délit. Mais après, il y a la question du respect des procédures et c’est là que nous entrons en scène. D’où notre attitude non émotionnelle pour une affaire qui est extrêmement grave etbqui concerne plusieurs pays et un Premier ministre qui est encore en fonction.

Par beaucoup d’aspects, cette affaire nous préoccupe et nous la suivons de très près. Il ne s’agit certainement pas d’une affaire Rothschild, mais plutôt d’une affaire d’un fonds malaisien avec des implications internationales, complexes et de grande envergure.

Cette volonté de renforcer les contrôles est-elle liée à un constat de manquements dans le chef des acteurs concernés?

«Non, mais il est important de les accompagner dans les nouveaux défis qui les concernent. Prenons l’exemple des questions de gouvernance inscrites dans CRD IV. Toutes les décisions stratégiques prises par un conseil d’administration, que ce soit en termes de produits ou de marchés, doivent l’être en lien avec un certain niveau d’appétence au risque qui aura été défini au préalable. Cela veut dire qu’au sein d’un conseil d’administration, il doit y avoir des compétences plus approfondies requises. Il en va de même pour la direction générale et certaines fonctions-clés dans le management.

Un autre exemple concerne la politique de rémunération, pour laquelle il y a des prescriptions très précises. Il faut donc pouvoir contrôler l’application de toutes ces normes et ce contrôle est assez intensif en personnel.

Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. C’est prévu dans la réglementation, mais la mise en place au sein de toutes les entités surveillées se fera sur une certaine durée. Mais elle devra se faire obligatoirement! Et nous devrons veiller à ce que cela soit le cas. Et ça, c’est nouveau.

Au niveau de la Banque centrale européenne, pour les banques directement contrôlées par Francfort, il est parfois procédé à des interviews. Je ne veux pas dire que demain, toutes les personnes autorisées par nous seront interviewées par nous, mais nous allons certainement intégrer à l’avenir des interviews dans l’agrément de nouveaux dirigeants responsables.

Votre prédécesseur a également laissé deux projets de loi en cours, l’un concernant la gouvernance de la CSSF et l’autre sur les sanctions. Dans une réponse à une question parlementaire, Pierre Gramegna avait évoqué une réforme progressive selon «une approche incrémentale». Où en sont ces dossiers aujourd’hui?

«Nous sommes confiants que ces projets aboutissent vite. Pour ce qui est des sanctions, nous en avons absolument besoin, puisqu’il y a différentes directives, comme Ucits V, qui prévoient des sanctions plus importantes que celles dont nous disposons aujourd’hui en général. CRD IV, par exemple, prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires.

C’est connu, l’arsenal de sanctions de la CSSF est trop léger. Vous allez donc enfin avoir de vraies armes contre les contrevenants?

«Je ne suis pas forcément d’accord sur ce constat. Les sanctions ne sont pas que pécuniaires. Un retrait d’honorabilité est déjà très important, par exemple. Un retrait de licence aussi! Nous n’avons jamais retiré de licence à des banques, mais nous l’avons déjà proposé pour d’autres sociétés financières.

Et puis au sein d’un groupe, il n’est jamais bien vu qu’une filiale locale ou que l’un de ses dirigeants se fasse sanctionner. Cela peut aussi amener d’autres sanctions internes au groupe.

Mais effectivement, là où je vous rejoins, c’est que dans certains cas, la sanction doit faire mal et les montants doivent être plus importants. Sinon, ce n’est pas une vraie sanction. Cet outil sera donc le bienvenu.

Mais nous avons aussi besoin de cette nouvelle loi pour bien délimiter qui fait quoi dans le processus de sanction et pour éviter ainsi qu’on puisse se retrouver juge et partie et que le processus soit absolument défendeur des droits des entités contrôlées et des personnes contrôlées. C’est très important.

Qu’en est-il du projet de loi sur la gouvernance?

«Nous en avons aussi besoin, mais pour d’autres raisons. Nous nous sommes vu confier de nouvelles missions ces dernières années, et l’exercice de ces missions s’est vu modifié par diverses règles européennes. Par exemple, nous avions par le passé un seul organe de direction. Aujourd’hui, nous avons en plus le conseil de résolution et la garantie des dépôts et des investisseurs. Nous avons pour ainsi dire une direction à géométrie variable, car pour certains thèmes le directeur Résolution siège au sein de la direction CSSF… Et la CSSF donne le support opérationnel à la résolution, tel que c’est défini dans la loi.

En outre, dans le cadre du Mécanisme de surveillance européen, certaines de nos missions sont profondément modifiées. Pour un tas de raisons, il faut donc moderniser la loi organique de la CSSF avec un texte qui prend en compte notre nouveau rôle et nos nouvelles missions.

Est-ce que cela veut dire que vous avez amendé l’avant-projet de loi que votre prédécesseur avait préparé et qu’une nouvelle version a été soumise au ministère?

«Non. Il est très important de bien noter que nous ne sommes pas législateurs ni rédacteurs de ces lois. Nous donnons simplement un support technique là où c’est nécessaire. Ce sont les ministères qui rédigent les projets de loi. Nous ne faisons que suivre l’agenda législatif en général, l’implémentation des directives ou le vote des lois purement ‘luxembourgeoises’.

J’ai bon espoir que tous les outils dont nous aurons besoin arriveront bientôt, encore cette année. Je pense aussi qu’après la fin de la présidence de l’UE, il y a plus de temps pour s’occuper des affaires nationales et faire avancer un certain nombre de projets de loi. Je suis optimiste de nature et tout le monde est conscient de l’importance du sujet.

Jean Guill avait également indiqué que durant tout son mandat, entre 2009 et 2015, il y avait toujours eu un consensus au niveau des décisions du collège de la direction et qu’il n’avait jamais été utile d’avoir recours à un vote. Est-ce aussi le cas depuis votre arrivée?

«Oui, je peux confirmer qu’en deux mois et demi, nous avons eu des bons débats fructueux et animés tous les jours sur tout ce qu’on doit décider, mais qu’au final, il y a toujours eu cette même approche consensuelle et que nous n’avons pas eu besoin de voter formellement.

Est-ce qu’un tel consensus sera plus difficile à trouver lorsqu’il y aura un cinquième directeur?

«Non. Même si chacun des directeurs a ses spécialisations, chacun doit connaître tous les dossiers et participer aux décisions sur tous les dossiers.

Quelle est votre position concernant les taxes de surveillance? Vont-elle bientôt augmenter?

«C’est un thème qui revient très régulièrement. Oui, il faudra augmenter les taxes. Nous sommes passés en quelques années de 300 à 630 agents et nous avons encore besoin de personnel. C’est le poste budgétaire le plus important. Or, nous sommes financés à 100% par les taxes. Il faudra donc le faire. Quand? Nous en discuterons avec le conseil en octobre lorsque nous présenterons le budget 2017. Nous n’avons pas encore établi les calculs d’évaluation de nos prévisions et de nos besoins.

Nous évitons d’augmenter les taxes tous les ans de manière linéaire et progressive, car cela crée des discussions avec les entités surveillées. Ce n’est pas une approche pragmatique.

Je précise que notre volonté est que ces taxes restent raisonnables. Elles le sont et le resteront, même si nous les augmentons...

Comment la CSSF se positionne-t-elle devant les développements de thèmes tels que les fintech, qui semblent prendre une place de plus en plus importante aujourd’hui?

«Il faut d’abord voir qu’au Luxembourg, on fait du fintech depuis 30 ans. Mais maintenant se pose clairement la question de la réglementation des fintech. Et là, c’est évidemment un domaine dans lequel nous cherchons le dialogue avec toutes les parties concernées, que ce soit le ministère, LFF, l’ABBL, l’Alfi, mais aussi certains experts externes comme des avocats, réviseurs, consultants.

Nous devons distinguer deux axes de réflexion. D’un côté, identifier les nouveaux acteurs et définir les besoins éventuels d’une nouvelle licence, ou non. Et de l’autre côté, accompagner les profonds changements qui se profilent dans les processus d’organisation interne des entités surveillées. Je pense par exemple au thème de l’outsourcing dans des régions plus ou moins lointaines ou décentralisées, difficiles à identifier.

Nous sommes donc autant occupés par les nouveaux entrants voulant s’établir comme PSF de support ou opérateur de système de paiement que par les banques ou les sociétés financières voulant demander des modifications significatives dans leur organisation interne.

Ensuite va se poser une autre question à la réflexion de laquelle nous devons participer, même sans être l’acteur principal: qu’est-ce qui doit être réglementé? Et qu’est-ce qui ne doit pas l’être? Et à quel endroit faut-il de la réglementation là où il n’y en a pas aujourd’hui?

Dans une récente conférence où il était question de regtech, c’est à dire l’utilisation des fintech à des fins réglementaires, j’ai entendu des gens réclamer la mise en place d’un certain cadre réglementaire au Luxembourg! C’est très révélateur, alors qu’on a plutôt l’habitude de réclamer moins de réglementation! Mais il est facile de voir qu’une certaine réglementation peut permettre à des acteurs d’obtenir un passeport européen.

Nous allons donc créer un groupe de travail sur ce volet fintech et réglementation. Pas forcément très grand ni très formel, mais avec les bonnes personnes pour réfléchir uniquement à ces aspects de la question.

Un groupe de travail fintech de plus… L’ABBL, l’Alfi, LFF ont déjà le leur. Cela n’en fait-il pas un peu trop?

«Je ne pense pas qu’aucun de ces groupes ne considère vraiment l’aspect réglementaire et régulation. Outre les questions liées à l’outsourcing, d’autres problèmes commencent à être identifiés. Est-il par exemple judicieux pour un établissement financier d’utiliser un cloud public pour ses activités de back-office? Il est essentiel d’y réfléchir dès maintenant afin que, lorsque les demandes viendront dans les prochains mois, nous soyons préparés. Cela ne touche pas qu’un ou deux spécialistes fintech dans la maison, mais tous les agents qui sont actifs dans le contrôle de leurs métiers respectifs.

Il sera aussi intéressant de voir ce que donnent les recherches ou les études menées au sein des autorités européennes.»

Bio express
Du privé au public

  • 1990   Né le 11 novembre 1966, Claude Marx est diplômé d’une maîtrise en droit de l’Université de Paris II Panthéon-Assas et d’un master of law in international business law à l’Université de Londres. Il commence sa carrière en 1990 en tant qu’avocat à la Cour au sein de l’étude Zeyen Beghin Feider (devenue ensuite Allen & Overy).
  • 1994   Il rejoint la banque Safra Republic Holding en tant que secrétaire général. Après le rachat en 2000 par le groupe HSBC, il est promu directeur général adjoint de HSBC Private Bank.
  • 2011   Il choisit de quitter le secteur bancaire pour aller chez les «voisins» de l’assurance: il devient administrateur-délégué de Lombard International Assurance.
  • 2015   Il quitte ses fonctions en septembre 2015, et réfléchit à l’un ou l’autre projet entrepreneurial dans le secteur financier. Mais son dossier de candidature à la direction générale de la CSSF, déposé en juin, est finalement retenu. Sa nomination est annoncée en conseil de gouvernement le 16 décembre 2015 et il prend officiellement ses fonctions le 5 février 2016.