Gilles Rod: «Nous avons toujours réussi à trouver des solutions, plutôt que de contempler nos problèmes.» (Photo: Ann Sophie Lindström)

Gilles Rod: «Nous avons toujours réussi à trouver des solutions, plutôt que de contempler nos problèmes.» (Photo: Ann Sophie Lindström)

Monsieur Rod, vous dirigez depuis 10 ans le Comité national de défense sociale (CNDS). Pouvez-vous tout d’abord nous préciser quel est cet organisme et quelles sont ses missions?

«Le CNDS est une association sans but lucratif qui a été créée en 1967. Elle travaille autour des trois thèmes que sont le logement, le travail et l’aide aux personnes toxicomanes, et compte aujourd’hui une centaine de personnels encadrants.

Au départ, les objectifs de l’association étaient de venir en aide aux personnes qui sortaient de prison ou bénéficiaient d’un congé pénitentiaire, pour lesquelles il n’existait rien à l’époque pour les aider à se loger ou à s’occuper. C’est ainsi que des structures comme Nei Aarbecht ou les Services de l’entraide, qui existent toujours aujourd’hui, ont vu le jour.

Et ce principe, ou ces objectifs, ont évolué…

«Ces objectifs ont évolué, même si nous avons toujours été au service des plus démunis, comme des personnes sans domicile fixe, des familles en grande détresse sociale, des personnes souffrant de maladies psychiques ou d’autres encore présentant des handicaps pas assez lourds pour travailler dans une structure pour personnes handicapées, mais trop lourds pour travailler dans la société dite ‘normale’.

Nous rencontrons et prenons en charge beaucoup de personnes qui viennent vers nous et qui doivent faire face à des problèmes des plus divers: mauvaise santé physique ou mentale, surendettement, alcoolisme et toxicomanie, violences conjugales, etc. Ce sont toutes des personnes socialement très défavorisées.

Nous avons des personnes qui viennent nous voir depuis plus de 20 ans

Gilles Rod – Directeur du CNDS

Le CNDS est donc un généraliste de l’aide sociale?

«Absolument. Nous n’avons jamais été spécialisés dans un domaine spécifique, à part peut-être la prise en charge de personnes toxicomanes. Mais nous sommes effectivement des généralistes du travail social pour pouvoir accueillir le plus de personnes dans le besoin. Et s’il faut des spécialistes, nous accompagnons les personnes qui viennent nous trouver vers des structures spécialisées dans des domaines où nous ne pouvons pas leur apporter une plus-value.

Un autre principe du CNDS est aussi de donner une première chance à des personnes dans le besoin, puis une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, etc.

Et nous avons ainsi des personnes qui viennent nous voir, pour certaines, depuis plus de 20 ans. Avec des améliorations pour certaines, et des récidives pour d’autres.

Pensez-vous que le CNDS est bien connu ou suffisamment connu du grand public?

«Je ne crois pas que nous soyons très connus par la population en général, non. Mais nous sommes par contre très connus par les professionnels du secteur qui, eux, savent tous ce qu’est le CNDS. Ils savent où nous trouver et orienter des gens vers nous lorsqu’ils n’ont pas d’autre solution.

Comment votre travail est-il organisé?

«Au fil du temps, et toujours en commençant petit, nous avons créé différentes structures, telles que Nei Aaarbecht ou les Services de l’entraide, dont je vous ai parlé. La première collecte des objets – meubles, vêtements ou objets divers – dont les gens n’ont plus besoin pour les remettre éventuellement en état et les revendre dans nos magasins de seconde main à des prix accessibles à tous.

Les Services de l’entraide proposent, quant à eux, une aide à l’emploi dans de nombreux domaines tels que l’environnement, l’entretien des espaces verts, le jardinage, la cuisine ou encore la menuiserie.

Il y a également la «fixerstuff» Abrigado, à Bonnevoie, qui vient en aide et prend en charge des toxicomanes; et le CNDS Wunnen, qui offre aux plus nécessiteux des solutions de logement dans des foyers, des studios ou des chambres seules à différents endroits du pays.

Et puis, il y a encore la Vollekskichen – elle aussi à Bonnevoie –, qui propose tous les jours de l’année des repas à des prix modestes à des personnes isolées ou qui n’ont pas les moyens de se payer à manger, et encore le CNDS Naturaarbechten, qui offre à des personnes très éloignées du marché du travail une aide socio-thérapeutique à travers une mesure d’occupation dans le secteur des services en matière de conservation de la nature.

Comment sont financées toutes ces activités?

«Les salaires des quelque 200 personnes qui sont encadrées aujourd’hui dans nos structures de travail sont assurés par le Fonds national de solidarité. Quant à nous, en dehors de nos activités commerciales dont les profits sont réinvestis, nous fonctionnons grâce à des conventions signées avec le ministère de la Famille d’abord, mais également avec le ministère du Travail, celui de la Santé, ainsi qu’avec le ministère du Tourisme. Pour cette année, cela représente un budget de l’ordre d’un peu moins de 8 millions d’euros.

Pour les plus démunis, les prix des logements sont éliminatoires

Gilles Rod – Directeur du CNDS

Quelles sont vos principales difficultés dans votre travail au quotidien?

«Tout est difficile, et pour chaque difficulté, il faut trouver une solution. Mais personnellement, étant de nature plutôt optimiste, je réfléchis toujours en termes de possibilités. Et je peux dire que nous avons toujours réussi à trouver des solutions, plutôt que de contempler nos problèmes.

Mais s’il y a un problème persistant, c’est celui du logement, du fait d’un marché immobilier catastrophique. Quand vous avez deux enfants et que vous ne touchez que le revenu minimum – même s’il est plus élevé qu’ailleurs – comment pouvez-vous vous loger au Luxembourg?

La moindre chambre meublée un minimum en état coûte entre 800 et 1.000 euros par mois. Sous cette fourchette, c’est un trou à rats! Au Grand-Duché, la pauvreté est étroitement liée à ce problème du logement, dont les prix sont éliminatoires.

Il est, de plus, impossible de louer quoi que ce soit pour des personnes qui n’ont pas de contrat de travail à durée indéterminée. C'est pourquoi nous louons pour sous-louer. C’est une perte d’autonomie pour ces personnes, puisque leur autonomie est entre nos mains.

Et puis, j’ajouterai encore – plutôt que de parler de problèmes – des difficultés au niveau du marché du travail, qui devient de plus en plus spécialisé et qui est donc difficile à intégrer pour des personnes sans qualification. C’est dommage. Car le travail est quelque chose de structurant, qui donne une stabilité aux adultes qui peuvent aider une famille.

La pauvreté ne va pas en reculant, bien au contraire

Gilles Rod – Directeur du CNDS

Quel regard portez-vous sur la situation et l’évolution de la pauvreté au Luxembourg aujourd’hui?

«Je serais heureux si le CNDS pouvait fermer ses portes. Mais malheureusement, ce n’est pas encore pour demain. Car le problème ne va pas en reculant, bien au contraire. Et cela n’est pas près de changer.

Vous avez des projets?

«Des projets immobiliers, puisque nous planifions l’aménagement d’un nouveau complexe de logements pour une vingtaine de personnes à Mersch, dans un ancien foyer, et un nouveau bâtiment à Troisvierges, qui abritera le CNDS Naturaarbechten et les Services de l’entraide.

Nous souhaiterions également à l’avenir louer davantage de chambres et de studios à l’extérieur de nos structures, de manière à permettre à leurs locataires de rester les plus autonomes possible.

Vous avez décidé d’éditer une brochure spéciale à l’occasion de ce 50e anniversaire. Pourquoi?

«Il s’agissait au départ d’un travail photographique d’Ann Sophie Lindström, à qui nous avons donné carte blanche pour un regard personnel sur nos activités. Nous lui avons ouvert toutes nos portes, à charge pour elle de voir ce qu’il fallait voir. Et j’ai été tellement impressionné par son travail que je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de ces photos.

D’où l’idée de cette publication en forme de portfolio, avec les photos d’Ann Sophie. Nos activités sont tellement diverses et changent si souvent qu’on ne pourra jamais en faire un catalogue complet, mais une photo précise, à un moment donné. Et c’est ce qu’a réalisé Ann Sophie. C’est un travail remarquable, d’une sensibilité vraiment étonnante. Elle a su capter toute l’humanité qu’il y a dans notre travail et la transmettre à travers ses clichés.

Le résultat est donc une publication de 24 pages, mise en forme par Maison Moderne, et qui sera distribuée lors de la fête que nous organisons ce soir.»