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Monsieur Masquelier, vous établissez souvent des parallèles directs entre le trésorier et le CFO. Vous vous définissez d’abord par rapport à la fonction?

«Fondamentalement, le métier est le même. Il y a, à tout le moins, un tronc commun évident, même si les branches du CFO sont plus ouvertes dans de multiples directions. Mais je dirais que l’évolution de ces tâches est comparable et que la remise en question doit être du même ordre.

Nous vivons dans une période de post-crise où la crise des liquidités demeure. Il y a une grande volatilité des marchés et beaucoup de tension. La peur de la faillite est un sujet d’insomnie pour de nombreux responsables financiers d’entreprises qui, jusque-là, sont passées entre les gouttes. Le contexte est assez stressant, mais il est aussi passionnant. Et, dans ce contexte où l’objectif est et reste la création de valeur tout en maîtrisant les coûts, le rôle du trésorier et celui du CFO vont croissant. Le trésorier se rapproche du CFO. Et le CFO se rapproche du CEO.

Quels sont les défis majeurs auxquels le CFO est confronté aujourd’hui?

«Il y a eu une série d’évolutions ces dix dernières années. L’euro a été une révolution dont l’impact n’a pas fini d’être mesuré dans la vie financière des entreprises qui fonctionnent à l’international. Ne fût-ce que parce que, a contrario, des matières premières aux grandes valeurs cotées, tout se mesure en dollars, monnaie de référence et instrument de régulation international, dirigé par une puissance économique énorme.

Mais l’Europe a un rôle important et je dirais même majeur à jouer. Aujourd’hui, un dirigeant de l’Union a sans doute plus d’influence sur le monde économique qu’un dirigeant national… Par contre, les pays dits émergents ont déjà émergé. Le centre de gravité se déplace. Et il y a donc un défi européen à relever. Le CFO doit vivre avec tout ça et les défis qu’il rencontre sont intimement liés à toute une série de normes, de règlements, de lois et de directives.

En vrac, on peut citer les IFRS, la neuvième génération déjà, la présentation au modèle IAS 7 selon la balance cash & cash equivalent, Bâle III, MiFID II, SEPA, les OTC, la huitième directive européenne sur le contrôle interne, la supervision des marchés…

Vous citez aussi, fréquemment, la responsabilité sociale de l’entreprise… Dans quelle mesure le CFO est-il impliqué dans ce concept?

«On est là dans un contexte différent, mais lié. Et cela démontre, effectivement, que le champ d’intervention ou d’implication des trésoriers au sens large est de plus en plus étendu. RTL Group a un green report qui veut dire quelque chose. Et personnellement, c’est un élément auquel je tiens, dans la façon de travailler, dans la culture d’entreprise.

La RSE, cela va au-delà de l’obligation de transparence et au-delà d’un phénomène de mode. Il y a une réelle prise de conscience de la responsabilité sociale et sociétale, dans le processus de développement durable, qui est un tout cohérent. Il y a une prise de conscience et une opportunité sur lesquelles les entreprises misent de plus en plus, dans la mesure où, demain, on nous imposera aussi d’en tenir compte en ce qui concerne les impacts et les calculs financiers. Le CFO est logiquement très impliqué, sur le fond et sur la forme, dans une entreprise responsable. Il faut une gestion intelligente et solidaire, des processus efficaces. Dans la course au carbone neutre, l’équation entre CO2 et CFO saute aux yeux.

Le métier de CFO est donc de plus en plus multiforme?

«Le CFO est un généraliste qui a de plus en plus de spécialités, par la force des choses! Il a, par nature, un rôle majeur dans tout ce qui est vente et achat d’actifs. La notion de création de valeur est son fil rouge. Et il a un rôle de plus en plus actif, je dirais même proactif, de plus en plus opérationnel. Il est devant une série de challenges importants et cela ne va pas s’alléger.

Pour les futures perles rares, les universités et les écoles de commerce vont devoir donner un panel élargi de compétences de base. Les hard­skills ne suffisent plus. Le CFO doit être un stratège qui sort de l’ombre aujourd’hui.

Avant, le trésorier était le gardien du temple. Le CFO ‘classique’ était une sorte de chef comptable, un contrôleur de gestion, doué d’une expertise technique. Aujourd’hui, il doit sortir du temple et casser la baraque.

Le CFO peut idéalement être un grand communicateur, pour parler aux marchés, aux investisseurs, aux agences de notation… De nos jours, le grand CFO a un côté charismatique indéniable. Il doit, en quelque sorte, voir et être vu. Avoir une vision et être transparent. On aurait tort, aussi, de négliger le rôle de lobbyiste qu’il faut pouvoir endosser. Le lobbying est important en Europe.

Le CFO doit encore pouvoir gérer les paradoxes. Il y a une guerre des devises et l’argent est le nerf de la guerre… Il est évident qu’il faut s’entourer, déléguer, apprendre sur le tas et se former sans cesse, assumer un rôle d’intégrateur et avoir, de plus en plus, un véritable esprit d’entrepreneur…

Au quotidien, comment cela se traduit-il?

«Dans le contexte actuel, de sortie de crise, on a tendance à sur-réagir. Or, nous sommes dans une période où, stratégiquement et quotidiennement, le report­ing a pris une place de plus en plus importante, aux côtés de la bonne gouvernance et de l’éthique. Il faut aller au-delà du reporting pour le transformer en analyse prospective.

Le CFO doit être un régulateur, doit être transparent, doit être à même de montrer, en permanence, qu’il maîtrise tous les processus de l’entreprise. C’est valable chez RTL Group comme dans une PME à la limite, mais avec des échelles différentes évidemment, notamment pour tout ce qui touche au risk management. On doit couvrir un maximum de domaines, être à la fois dans les coulisses et sur le terrain, dans le virtuel et dans le réel.

La carrure du CFO doit être de plus en plus large! Il est devenu, ces dernières années, le numéro deux de l’entreprise. Parce que l’on doit garantir tout ce qui se passe chez nous. Alors, le day to day business est important. Il faut assurer les liquidités, pour faire face au marché. On est dans le cash flow forecast. On doit avoir du fonds de roulement et éviter tout risque sur le working capital.

Quand on travaille sur plusieurs pays dans la zone euro, on fait du nivellement de trésorerie, du cash pooling, pour ramener ses valeurs en liquidités – réparties par exemple sur la France, la Belgique et le Luxembourg – sur un seul pool de traitement comptable pour la gestion quotidienne. Il faut gérer les transferts, miser sur les centres d’excellence et jouer sur l’économie d’échelle. Même approche pour la gestion des relations clients et fournisseurs, afin de maintenir une tension supportable sur les délais de paiement, notamment. C’est une attention de chaque instant.

L’importance de l’IT est-elle, à ce niveau notamment, tout à fait capitale?

«Les instruments informatiques sont effectivement devenus des éléments clés. Et de fait, le CFO chapeaute de plus en plus les départements informatiques. En termes d’investissements judicieux bien entendu, mais aussi pour être doté des meilleurs outils: système ERP (SAP ou Oracle), tout ce qui est facturation électronique pour que l’ensemble du processus de facturation soit conforme notamment à la TVA (de l’émission de la facture à son archivage certifié pour l’expertise comptable), etc.

La financial supply chain doit être développée et maîtrisée pour tous les besoins de l’entreprise. Dans tous les cas, la proactivité est une qualité du CFO moderne. Il est probable que les nouvelles régulations, issues de l’ère post-Lehman ou des positions du G20, seront des opportunités pour les entreprises. C’est peut-être le catalyseur qui était nécessaire pour lancer des projets de meilleure automatisation des systèmes, de revue des procédures, de nouvelle approche des risques de crédit… Beaucoup de CFO se sont équipés en infrastructures IT et ont revisité leurs procédures et structures pour anticiper les fluctuations économiques futures…

La fonction de trésorier et de CFO a donc pris de la valeur avec la crise?

«La fonction est devenue plus analytique et surtout plus stratégique. Cette récession économique mondiale a scellé le retour aux principes fondamentaux de la finance. Le trésorier a désormais encore plus de pouvoir, mais il doit gérer des risques nouveaux ou accrus, renforcer le suivi des couvertures et des expositions aux risques financiers, alors que la volatilité des marchés et l’amplitude des variations de valeur obligent à couvrir plus que jamais. Par ailleurs, l’accès au crédit est devenu délicat.

Certaines banques se retirent du marché du prêt aux entreprises ou, lorsqu’elles y restent, les tickets sont sérieusement réduits. On aperçoit des lueurs positives et des crédits sont à nouveau octroyés, mais les prix ont flambé. La relation bancaire, pour beaucoup, a changé. Le monde est réellement différent aujourd’hui. Et pour le CFO, il est plus vaste sans doute. Si le cash est roi, la garde royale est forcément confiée à la trésorerie…»

 

CV - Un trésorier qui compte

François Masquelier, directeur de la trésorerie et du corporate finance de RTL Group, est président honoraire de l’Association des trésoriers d’entreprise de la zone euro (EACT), dont il est un des membres fondateurs, et président de l’ATEL (Association des Trésoriers d’Entreprise du Luxembourg).

Avant de rejoindre, en 1997, le leader européen du secteur média, il a travaillé à la Sakura Bank à Bruxelles, Eridania Béghin-Say puis chez ABN AMRO Bank, en Belgique et au Luxembourg. Licencié en droit, diplômé de droit fiscal, d’économie et de gestion de l’Université et de l’Ecole d’Administration des Affaires de Liège, il possède un post-graduat de management (Ecole de Commerce Solvay – Université Libre de Bruxelles) et s’est spécialisé en finance d’entreprises et financements structurés.

Auteur de trois ouvrages édités chez Larcier, François Masquelier publie régulièrement dans des magazines spécialisés, dirige le Magazine du Trésorier, est régulièrement sollicité lors de forums, conférences et séminaires, organise des formations avec la Chambre de Commerce de Luxembourg et a donné de nombreux cours et lectures, notamment à la Banque Mondiale (New York) ou à Bruxelles. En 2007, il a fait partie des «50 trésoriers qui font la différence», selon Eurofinance…