Le futur siège de Ketterthill à Esch Belval  (Photo: archives paperJam)

Le futur siège de Ketterthill à Esch Belval  (Photo: archives paperJam)

Il est difficile d’y voir encore clair dans les raisons qui ont poussé le 14 janvier dernier le groupe Cerba European Lab (CEL), la maison mère de Ketterthill, à se séparer sans ménagement de Jean-Luc Dourson, l’administrateur délégué du laboratoire luxembourgeois, mais aussi membre du directoire du groupe français. CEL s’est contenté d’un communiqué de presse laconique renseignant uniquement d’un changement d’administrateur délégué. De son côté Jean-Luc Dourson a observé un silence radio laissant subodorer que son départ brutal de l’entreprise s’est fait dans la douleur. «Nous nous sommes séparés pour des raisons graves qui nous appartiennent» explique Catherine Courboillet, présidente du directoire de CEL, dans un entretien à paperJam.lu. Elle évoque aussi des «évènements exceptionnels», sans vouloir en dire plus. 

La semaine dernière, on apprenait que l’hémorragie de dirigeants s’était poursuivie: Osman Uslu, le directeur administratif et financier a claqué la porte du laboratoire privé qui emploie plus de 200 personnes. Un départ pour des raisons personnelles a fait savoir Catherine Courboillet, en balayant d’un revers de main le lien que cette démission pourrait avoir avec l’utilisation de la trésorerie du laboratoire luxembourgeois par sa maison mère en France.

Des «curiosités» soulignées

Le limogeage de Dourson le 14 janvier 2014 est en tout cas intervenu au lendemain d’une lettre qu’il adressa au réviseur de Ketterthill, exploitant le laboratoire sous le nom de Laboratoire luxembourgeois d’analyses médicales (LLAM), pour signaler un certain nombre de «curiosités» dans le bilan 2013 et dont il n’aurait pas été informé au préalable, alors qu’il en était le patron. Le Mémorial C ne renseigne toutefois que des chiffres de 2012. De source proche du laboratoire, on explique que c’est Jean-Luc Dourson qui aurait mis lui-même le feu au baril en réclamant d’urgence la convocation d’une assemblée générale extraordinaire. Il aurait fait précéder cette demande de convocation d’AGE pour se désolidariser des engagements financiers par une mise en demeure auprès des autres dirigeants du groupe français (Dourson faisait partie du directoire de CEL), pour obtenir des explications sur des engagements financiers de l’entreprise qu’il avait rachetée en 2007 pour la revendre en 2011 à CEL en échange d’une participation dans la maison mère française. Toutefois, la valorisation actuelle de sa participation minoritaire dans CEL n’aurait plus rien à voir avec la valeur de Ketterthill.

Frais de gestion problématiques

L’ex-administrateur délégué de LLAM aurait en tout cas considéré les engagements financiers incompatibles avec l’intérêt social de l’entreprise qu’il dirigeait alors. On a du mal à s’imaginer qu’un patron puisse dénoncer les défaillances de sa propre entreprise. Mais aussi cocasse que la situation paraisse, ce serait tout de même bien la raison ayant poussé ensuite les actionnaires majoritaires du labo à mettre Dourson, le whistle-blower, à la porte.

Parmi les engagements financiers pointés du doigt figurait la facturation par la maison mère CEL de frais de gestion liés à la rémunération de prestation de services de gestion administrative. Or, ces ‘management fees’ n’auraient pas eu de justification économique étant donné que toutes les fonctions de supports comme l’informatique, la logistique, les services administratifs et financiers étaient assurés en interne par Ketterthill. Ce qui en faisait d’ailleurs une entité indépendante. Ces frais auraient atteint plus de 400.000 euros en 2013. Dourson aurait en outre signalé des imputations de frais de gestion sur des exercices comptables déjà clôturés ainsi que l’existence d’un contrat antidaté pour justifier des prélèvements auprès du commissaire aux comptes. Un risque fiscal que l’administrateur délégué aurait donc dénoncé en se faisant, de ce fait, harakiri. La riposte de CEL arrivera le lendemain de sa dénonciation.

Contactée par la rédaction de paperJam.lu, la dirigeante de CEL dément et qualifie les informations et les propos de «mensongers». À l'en croire, il n’auraient qu’un but: «nuire à la société et faire pression». «La gestion comptable, fiscale et sociale se fait dans le strict respect des règles», indique-t-elle. «Monsieur Dourson est un chef d’entreprise qui a vendu son entreprise en 2011 dans des conditions extrêmement favorables pour lui. Ce monsieur n’a pas accepté de ne plus en avoir été le propriétaire», souligne Mme Courboillet en indiquant n’avoir connaissance d’aucune action en justice de la part de l’ex-administrateur délégué, ni en France ni au Luxembourg.

Emprunt high yield à 7,5%

À ces facturations de frais de gestion que CEL chargeait à sa filiale luxembourgeoise se sont ajoutées d’autres «surprises» comme des frais financiers imputés à LLAM liés au remboursement d’un emprunt à haut rendement (7,5% d’intérêt) contracté par la maison-mère pour financer sa dette (350 millions d’euros). Rien que les frais d’honoraires liés à cet emprunt atteignaient une dizaine de millions d’euros. Toutefois, Dourson, un des trois membres du directoire avait signé les documents relatifs à ce prêt.

Il était clair qu’il y avait des divergences de vues entre Ketterthill et sa maison-mère sur la stratégie de développement de l’entreprise et il était encore plus évident que Jean-Luc Dourson avait envisagé le divorce, après deux ans de vie commune avec Cerba, contrôlée à 75% par le fond de private equity PAI Partners. Jean-Luc Dourson, qui avait perdu le contrôle de Ketterthill, a perdu la partie et s’est fait débarquer, bien que l’ancien patron du labo luxembourgeois reste actionnaire de CEL, même s’il a été logiquement révoqué fin janvier de ses fonctions au sein du directoire et que sa participation dans Cerba ne vaut sans doute pas ou plus la valeur du laboratoire luxembourgeois qu’il a fait passer de 150 personnes en 2007 à 210 employés en 2013.