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 (Photo: Christophe Olinger)

On l’a peu évoqué dans la sphère médiatique mais on en a beaucoup discuté dans les entreprises, au bureau, autour de la machine à café ou dans les transports en commun: la CNPF (Caisse nationale des prestations familiales) a envoyé des dizaines de milliers de courriers, afin de mettre en ordre la situation administrative des bénéficiaires d’allocations familiales au Luxembourg.

L’action avait commencé au printemps. Elle a, à ce moment, ciblé en priorité les données familiales de travailleurs frontaliers habitant en France. Depuis lors – en juillet et août –, les résidents luxembourgeois ont, eux aussi, reçu un formulaire de «déclaration de situation». Et, assure-t-on à la CNPF, les résidents allemands, belges, portugais et de toute autre nationalité, ayant un lien avec les prestations familiales délivrées au Grand-Duché, recevront également, progressivement, ledit formulaire à compléter par eux, et avec les documents justificatifs d’usage, à délivrer par les administrations de leur lieu de domicile.

La première vague, plus de 24.000 courriers circulaires adressés en France, a pu surprendre. C’était en mars dernier. Certains destinataires se sont offusqués (même si les délégations et syndicats n’ont pas été assaillis de demandes d’informations sur ce sujet). D’autres ont carrément zappé la demande de l’administration luxembourgeoise. D’autres encore ont tout simplement rempli le formulaire et demandé les attestations ad hoc, quitte à négocier parfois avec les préposés de leur mairie, confrontés à des appellations différentes, voire à des documents n’existant pas dans leur code de procédure. «Mais globalement, cela se passe bien», explique Pierre Jaeger, premier conseiller du gouvernement, chargé de la coordination générale et responsable de la division administration générale au ministère de la Famille et de l’Intégration, qui a la tutelle de la CNPF.

Omissions frontalières

Pour le ministère, il n’y a, de fait, pas matière à étonnement, encore moins à subodorer quelque manœuvre ciblée sur une population particulière. Il s’agit, simplement, d’assurer «une bonne gestion». «C’est une procédure tout à fait régulière, précise le haut fonctionnaire. Cette mise à jour des données demandée aux attributaires des prestations familiales a lieu à peu près tous les ans pour les résidents. Cela ne pose aucun souci, notamment parce qu’il est aisé de se baser sur le certificat de résidence», qui reprend les données familiales, le nombre de personnes dans le ménage, le nombre d’enfants à charge…

«Il est évident que, dans l’intérêt de tout le monde, il faut se baser sur des données fiables, exactes.» Dans cet ordre d’idées, tous les deux ans environ, l’administration doit procéder à une nécessaire mise à jour de ses fichiers concernant les non-résidents. Il s’agit de collecter les informations de l’ensemble des allocataires bénéficiant de prestations à travers un versement mensuel. «Cette campagne s’inscrit donc dans un souci de vérification générale et régulier des dossiers en cours et de pouvoir ainsi compléter ou modifier les informations en possession de la CNPF. Le centre administratif commence par les envois les plus massifs, souligne Pierre Jaeger, ce qui explique que les résidents français aient été les premiers destinataires.»

À la CNPF comme au ministère, on glisse néanmoins que cette catégorie de travailleurs frontaliers, la plus importante en nombre, est aussi celle avec laquelle l’administration rencontre le plus de soucis. «Disons qu’il y a peut-être davantage d’omissions dans leur chef», consent un fonctionnaire plus ou moins diplomate.

S’agissant de la «vague de mars», la majorité des dossiers a déjà pu être traitée. «Pour ceux ou une anomalie ayant une influence éventuelle sur le droit aux prestations a été constatée, comme une divergence au niveau de l’état civil ou sur le nombre d’enfants, un appel à pièces a été effectué, aux déclarants mais aussi, le cas échéant, aux caisses étrangères qui ont été contactées directement par nos services», poursuit M. Jaeger.

Les corrections concernent principalement des modifications d’adresses ou «des changements de relations entre intervenants». Les familles qui se décomposent ou se recomposent, les employeurs qui changent ou les déménagements font partie des classiques. «Même s’il s’agit d’une obligation légale, pour les déclarants et les futurs bénéficiaires, de notifier à l’établissement public tout fait pouvant donner lieu à une modification de leurs droits, il n’est pas rare que ces renseignements ne parviennent pas en temps utile, voire pas du tout, à l’administration compétente», observe le haut fonctionnaire.

Il est évident que des modifications d’état civil, du nombre d’enfants à charge (parfois plus à l’un et moins à l’autre…), d’activité, de revenus, de statut pouvant donner éventuellement lieu à un état de cumul, cela n’a rien de neutre. Et c’est vrai que l’on se place du côté de l’allocataire ou du côté de l’État, censé payer tout ou partie (les différentiels sur les allocations familiales par exemple) des prestations… Heureusement qu’il y a les envois automatisés, les traitements informatiques et les croisements de fichiers. «Un des plus grands défis actuels consiste dans le développement et la mise en place d’une nouvelle application informatique dédiée au traitement de l’ensemble des dossiers de la CNPF», expliquait le rapport d’activités du ministère, pour 2012. «À cet effet, une équipe de la CNPF travaille depuis l’été 2012 en étroite collaboration avec le Centre informatique de la sécurité sociale. Le nouveau programme devrait être opérationnel au plus tôt au cours de l’année 2014.»

Un coup de frein sur les dépenses

En attendant ces améliorations techniques, avec (fin 2012) plus de 105.000 familles et plus de 183.000 enfants bénéficiaires du montant complet des allocations familiales, on comprend aisément que tout écart entre la réalité et les données encodées puisse rapidement illustrer que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Toutefois, l’impact financier des corrections apportées suite au traitement des dossiers mis à jour n’a rien de spectaculaire, assure le ministère de tutelle. «Les corrections peuvent s’opérer dans les deux sens», observe-t-on à la CNPF, qui gère les dossiers.

En tout cas, le budget de la Caisse reste conséquent: il dépassait encore le milliard d’euros en 2012 (1,1 milliard), avec plus de 711 millions d’euros pour le seul total des allocations familiales (allocation de rentréescolaire comprise). C’était à peine moins (-0,14%) qu’en 2011. Sachant que, au niveau de la politique familiale, un tournant avait été pris avec la loi du 26 juillet 2010 (nouveau mécanisme de bourses et prêts pour études supérieures aux résidents en compensation de suppression des allocations familiales au-delà de 18 ans, pour tous), l’effort entrepris n’est pas encore impressionnant. Pour 2010, le montant des prestations familiales était de 1,146 milliard d’euros, contre 1,140 milliard en 2009 (boni enfant inclus pour les deux exercices) octroyé aux familles par la CNPF. Cela étant, comme le nombre d’allocataires – augmentation de la population résidente et maintien du niveau de travailleurs non résidents – a continué à augmenter, et que d’autres prestations (chèques-services accueil notamment) sont à prendre en compte, le transfert d’une partie des allocations familiales vers l’aide aux études (sous la tutelle d’un autre ministère) a au moins permis de freiner les dépenses allouées à la CNPF. Quitte à gonfler la note par ailleurs.

Comme l’expliquait le ministère de la Famille et de l’Intégration (rapport d’activités de 2010), «la politique doit pouvoir concilier deux approches fort différentes, d’une part l’exportation de nos prestations au niveau international et, d’autre part, le niveau de vie au Luxembourg». Dans tous les cas, les bases de travail, que sont les bases de données, doivent être impeccables.

Aides aux études

Nouveaux critères, anciens dossiers

La loi de juillet 2010, instituant le système d’aide financière pour études supérieures, attribuait des aides forfaitaires aux seuls étudiants résidents. On sait que cette «loi Biltgen» a été torpillée par la Cour de justice de l’Union européenne. Une nouvelle mouture du texte (en juillet dernier), sous la férule de Martine Hansen, ministre de l’Enseignement supérieur, prévoit l’application des nouveaux critères à partir de l’année académique 2013/2014. Ils introduisent surtout une aide possible pour les non-résidents, ayant un lien de travail ininterrompu au Luxembourg depuis cinq ans.

On sait pourtant déjà que cette deuxième version est, aussi, transitoire. La ministre Hansen travaille à une refonte de sa copie, pour introduire, entre autres, des critères sociaux. Politiquement suicidaire juste avant les législatives anticipées? Sans doute. Difficile à réaliser aussi, sachant que, tant pour le texte initial que pour son évolution, le Conseil d’État n’a eu de cesse de reprocher son caractère bâclé et précipité à cette façon de traiter une matière aussi importante.

Pour l’instant, le Cedies (Centre de documentation et d’information sur l’enseignement supérieur) fait le tri dans les «anciens dossiers», ceux qui ont fait l’objet de recours. Argument: la CJUE a répondu «non» à la question du critère de résidence mais a suggéré elle-même, dans son arrêt, le délai raisonnable de cinq ans de travail dans le pays.

L’objectif des défenseurs des frontaliers est, à présent, d’avoir une jurisprudence, basée sur un arrêt clair du tribunal administratif de Luxembourg. Saisi des centaines de recours contre le refus par le Cedies d’octroyer l’aide à des non-résidents, c’est lui qui avait posé la question préjudicielle à la CJUE. Armé de l’arrêt européen, il va devoir trancher sur le fond. Un premier dossier (déposé au nom d’un frontalier ayant plus de cinq ans au Luxembourg) doit être plaidé le 7 octobre. «Logiquement, tous les éléments sont réunis pour que le tribunal ordonne la liquidation de ce dossier, sur la même base que celle des résidents», observe Me Pascal Peuvrel, conseil du GEIE solidarité frontaliers européens. Le principe, admis par l’État, est qu’un dossier «nominatif» devienne emblématique et transposable. Les dossiers similaires (familles avec lien économique et social au Grand-Duché depuis au moins cinq ans) devraient alors être liquidés. Et les aides versées.

Le second dossier concerne un demandeur qui ne peut pas établir le lien économique et social de cinq ans d’âge. Cette affaire doit être plaidée le 18 novembre. Et le jugement du tribunal sera très attendu.

D’autres devraient suivre, avec vocation à éclairer des cas moins limpides. Le LCGB entend couvrir trois cas de figure. Le premier dossier pose la question de la responsabilité civile de l’État, face à quelqu’un qui a vu sa demande d’aide refusée par le Cedies mais n’a pas introduit de recours. Le deuxième concerne une personne qui n’a pas demandé d’aide et s’en mord les doigts. Le troisième explore le vécu d’un non-résident qui s’est vu refuser le formulaire de demande qu’il sollicitait à l’administration…

Dans l’immédiat, à l’heure des inscriptions et des frais, c’est le moment des demandes d’aide pour l’année académique 2013-2014. Pour le semestre d’hiver, le formulaire doit être téléchargé sur le site du Cedies, jusqu’au 31 octobre. Et le dossier complet, formulaire et pièces justificatives (pas toutes simples à se procurer, notamment sur le non-droit à des bourses dans le pays d’origine), doit être renvoyé pour le 30 novembre.