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«Qu’on le veuille ou non, d’un point de vue fiscal, le taux d’imposition nominal reste le premier élément pris en considération par un investisseur ou une société à la recherche d’une nouvelle implantation», résume Thierry Lesage, partner Tax Law chez Arendt & Medernach. Au Luxembourg, la réforme fiscale, qui a essentiellement pris ses effets au 1er janvier 2017, a conduit à une réduction du taux de l’impôt sur le revenu des sociétés (IRC). S’il est trop tôt pour en évaluer les effets, cette baisse reste contenue et ne permet pas au pays de rattraper son retard par rapport à d’autres juridictions plus attractives. «Le taux nominal est aujourd’hui d’environ 26% contre 30% précédemment. L’effort doit être souligné, mais il n’est pas suffisant quand on sait que le taux moyen est sous la barre des 24% pour l’ensemble des pays de l’OCDE», constate Camille Seillès, secrétaire général de l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL). «Le coût de la réglementation augmente continuellement et nous n’avons que très peu de prise localement sur ce facteur. Si l’on veut maintenir la compétitivité et l’attractivité, la fiscalité reste l’un des seuls leviers que l’on peut encore activer. Selon l’ABBL, il y a de la marge pour une baisse raisonnée et maîtrisée de l’impôt des sociétés.»

L’effort doit être souligné, mais il n’est pas suffisant quand on sait que le taux moyen est sous la barre des 24% pour l’ensemble des pays de l’OCDE.

Camille SeillèsCamille Seillès, Secrétaire général (ABBL)

Une évolution raisonnée

En contact régulier avec des groupes internationaux qui évaluent les meilleures destinations où s’implanter, Thierry Lesage confirme que le taux d’imposition est l’un des premiers critères étudiés. «Il est certain que le Luxembourg a d’autres atouts à faire valoir. Mais si l’on considère la situation d’un point de vue fiscal uniquement, l’argument ne plaide pas en faveur de notre pays. L’évolution doit être raisonnée. Il n’y a aucune raison de jouer dans la surenchère en affichant subitement le taux nominal le plus bas d’Europe, mais il est opportun de mieux se positionner sur ce point.»

Il est certain que le Luxembourg a d’autres atouts à faire valoir. Mais si l’on considère la situation d’un point de vue fiscal uniquement, l’argument ne plaide pas en faveur de notre pays.

Thierry LesageThierry Lesage, Partner Tax Law (Arendt & Medernach)

Si l’on reste sur le terrain délicat de l’imposition des sociétés, l’impôt sur la fortune est un autre sujet qui fait débat. «Dans la réalité, il s’agit d’un impôt qui touche essentiellement les sociétés holding au sens large», constate Thierry Lesage. Aujourd’hui, certains grands groupes, notamment familiaux, ont décidé de localiser leur holding au Luxembourg. Des financiers, des comptables, des juristes gèrent leur patrimoine. La règle communément admise veut qu’un holding ne paie pas d’impôt. Il encaisse les dividendes de ses filiales à l’étranger, crée une réserve et peut ainsi gérer les liquidités. «Au final, compte tenu de cet impôt sur la fortune appliqué au Luxembourg, ces liquidités retournent dans les filiales pour éviter l’impôt et elles échappent au marché bancaire domestique. Cette position est difficilement lisible en termes d’attractivité», reprend le partner d’Arendt & Medernach, pour qui le sujet doit être abordé sans tabou ni préjugé.

La guerre des talents

Enfin, dans un contexte d’attraction des talents, l’imposition des personnes physiques au Luxembourg constitue également un point d’attention. «Dans le contexte du repositionnement du secteur bancaire, en attendant que l’Université prenne pleinement son envol, il est nécessaire d’aller chercher des talents à l’étranger. Il importe donc de maintenir des mesures fiscales propres à attirer et retenir ces talents», relève Camille Seillès. «On connaît le statut fiscal de non-domicilié appliqué en Grande-Bretagne. L’Italie vient de s’en inspirer à un moment qui me semble fort opportun», précise Thierry Lesage.

L’actuelle coalition gouvernementale a mené sa réforme fiscale. Il faudra donc sans doute attendre pour que le sujet de l’impôt au sens large revienne à la table des négociations. Par contre, il est encore au moins un sujet sur lequel le secteur financier attend que le gouvernement actuel prenne ses responsabilités. Il s’agit de la transposition en droit national de la directive Atad (Anti-Tax Avoidance Directive), qui établit de nouvelles règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur européen. «En la matière, le texte prévoit plusieurs options laissées à l’appréciation des États membres», reprend Camille Seillès. «L’un de ces points touche à la déduction des intérêts débiteurs. Plusieurs États ont d’ores et déjà adopté une approche plutôt souple sur cette question et il serait opportun que le Luxembourg adopte lui-même une position flexible s’il veut préserver sa position de centre bancaire important et attractif.»