C’est l’indignation qui a poussé Catherine Gaeng, la compagne d’Enrico Lunghi, à écrire ce livre. (Photo: D.R.)

C’est l’indignation qui a poussé Catherine Gaeng, la compagne d’Enrico Lunghi, à écrire ce livre. (Photo: D.R.)

Madame Gaeng, quel a été votre moteur pour écrire ce livre? Pourquoi en avoir eu le besoin?

«Mon moteur a été mon indignation par rapport à des faits que j’estime inacceptables. Qu’une télévision qui a en partie une mission de service public truque un reportage pour manipuler les auditeurs. Qu’un Premier ministre juge et condamne par anticipation et dans la précipitation. Qu’un conseil d’administration profite de cette condamnation pour tenter de soumettre le directeur et de contourner ainsi le projet sur lequel il a été choisi et nommé… Tout cela est vraiment inacceptable et rendait le livre nécessaire. C’est aussi le moyen de garder une trace d’un moment qui a marqué les médias et l’opinion.

Comment avez-vous conçu la rédaction du livre?

«Pour bien rendre compte de tous les aspects, il fallait mener une sorte d’enquête. Ce que, dans mon travail d’historienne, je réalise régulièrement. Mais je me heurtais à deux obstacles: l’actualité des faits qui rend l’accès à certains documents et archives impossible et ma position très proche du sujet de l’enquête (Catherine Gaeng est la compagne d’Enrico Lunghi, ndlr) qui empêchait toute distance. Pourtant, je ne voulais pas confier la rédaction du livre à un auteur, je voulais en faire un récit avec du vécu. C’est ainsi que j’ai travaillé à un récit à partir de tout ce que la presse a dit et écrit. J’introduis alors une distance et je fais écho de l’importance médiatique qui a été donnée à l’affaire.

Ma position de proximité devenait un atout pour combler les blancs avec des informations et des documents que les journalistes n’avaient pas.

 Catherine Gaeng, compagne d’Enrico Lunghi et auteur de «Lynchage médiatique et abus de pouvoir. Chronique de l’affaire Lunghi-RTL-Bettel»

Vous avez donc épluché plusieurs mois de presse?

«Oui, j’ai collecté tous les articles, émissions de télé et de radio. Je les ai analysés, organisés, découpés et traduits en français. J’ai articulé le récit de manière chronologique. Parce que je n’y avais pas accès, je n’ai pas pris en compte ce qui s’est dit ou écrit sur les réseaux sociaux. Ma position de proximité devenait un atout pour combler les blancs avec des informations et des documents que les journalistes n’avaient pas. C’est pour cela que je l’ai sous-titré ‘chronique’ – un clin d’œil aux chroniques médiévales, mais aussi un moyen de dire que je parle de l’intérieur.

Donc, il y a des révélations ou de nouvelles informations dans le livre?

«J’ai pu décortiquer et revoir dans tous les sens les rushes de l’émission de RTL. Dans le livre, je détaille et dénonce la manière dont l’ensemble a été monté avec, par exemple, des questions posées en voix off qui n’étaient pas les mêmes que celles posées en direct. Ou avec des vues sur un livre qui est censé parler de Doris Drescher, mais en fait parle de Jürgen Drescher. J’ai aussi pu m’appuyer sur les 77 pages très éclairantes du rapport d’enquête du commissaire de gouvernement.

Après coup, quelle est votre analyse de cette affaire? Pourquoi a-t-elle suscité autant de réactions?

«Les motivations de chacun ne sont pas claires. Ma conviction est que RTL avait besoin d’un scoop et de faire parler, mais que la machine s’est accélérée quand le Premier ministre a condamné Enrico. Il a préféré sa casquette de ministre des Médias à celle de ministre de la Culture et a ainsi rendu service à ceux qui préfèrent avoir des directeurs soumis ou des fonctionnaires qui ne font pas de vagues. Je ne crois pas du tout à un complot organisé, mais je pense à une série de précipitations, d’opportunismes, de maladresses et de manques de rigueur.

La principale leçon, c’est qu’il faut apprendre à regarder les images, à décortiquer ce qu’est un montage, une voix off.

 Catherine Gaeng, compagne d’Enrico Lunghi et auteur de «Lynchage médiatique et abus de pouvoir. Chronique de l’affaire Lunghi-RTL-Bettel»

Quelles leçons peut-on en tirer pour l’avenir?

«Certains ont trouvé qu’Enrico n’aurait pas dû répondre à cette interview. Je pense que c’est normal qu’un directeur réponde sur sa politique d’exposition ou d’acquisition. Ce serait triste et dangereux d’en arriver à ne plus faire parler que des porte-parole et des professionnels de la communication qui ont un discours aseptisé et vide. En revanche, la principale leçon, c’est qu’il faut apprendre à regarder les images, à décortiquer ce qu’est un montage, une voix off. Ce serait salutaire de mieux enseigner cela. J’espère que mon livre servira aussi à cela, comme témoignage pour ceux qui s’intéressent au fonctionnement des médias.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris au cours de ces mois?

«J’ai été surprise de découvrir de l’animosité, de l’absence de scrupules, de l’impunité et de la lâcheté chez plusieurs protagonistes de cette affaire.

Et qu’est-ce qui vous a le plus touché?

«Nous avons, Enrico et moi, été touchés par le soutien inconditionnel et immédiat de notre entourage. Au-delà de nos proches ou nos collègues, c’est le monde de la culture, y compris à l’international, qui nous a fait preuve d’engagement. Même des inconnus croisés dans la rue ou au restaurant lui apportaient leur soutien. Je pense que c’est grâce à cela qu’il a tenu.»

«Lynchage médiatique et abus de pouvoir. Chronique de l’affaire Lunghi-RTL-Bettel» sera disponible à la librairie Alinéa à partir du 7 mars lors d’une présentation à 18h30.

360 pages, 20€, en auto-édition.

Lire un premier extrait en avant-première de l’ouvrage