Certains pensent à la quitter, d’autres à s’y installer pour se maintenir sur le marché britannique. (Photo: Wikipedia)

Certains pensent à la quitter, d’autres à s’y installer pour se maintenir sur le marché britannique. (Photo: Wikipedia)

Avec un peu de recul, peut-on mieux analyser ce que le Brexit va changer pour l’Union européenne?

Charles Muller: «Avant le Brexit, à Londres, dans le domaine des fonds d’investissement, on entendait beaucoup d’informations excessives. Ceux qui étaient favorables au Brexit se réjouissaient de pouvoir se débarrasser de la réglementation européenne jugée stupide; ceux qui étaient contre parlaient, eux, de catastrophe, imaginant la fin de la City.

Aujourd’hui, les esprits se sont calmés. Dans la capitale britannique, les asset managers travaillent très schématiquement pour comprendre ce que le Brexit peut avoir comme impact, quand cela risque de se passer et pour trouver des solutions. Par ailleurs, au niveau des acteurs européens, certains s’inquiètent aussi de savoir comment, à l’avenir, ils vont vendre leurs produits sur le marché britannique, une fois que celui-ci aura perdu l’usage du passeport européen. Il y a donc des incertitudes des deux côtés.

En un peu moins de trois mois, la situation n’a finalement guère évolué…

«Il n’y a pas eu de grandes décisions, mais on a vu une évolution dans la réflexion. Maintenant qu’on sait que le Brexit va se concrétiser, les réflexions se précisent. Les acteurs basés à Londres se demandent clairement s’ils ne feraient pas mieux de déménager certaines activités. Et ceux qui ne sont pas à Londres envisagent de s’y installer afin de détenir des produits spécifiques pour le marché britannique. Les plans des uns et des autres vont commencer à se préciser. Mais les décisions ne vont pas être prises rapidement.

En coulisse, ça doit quand même beaucoup s’agiter… Les places financières ne sont-elles pas entrées en concurrence?

«Les grandes places financières européennes sont effectivement en train d’agir pour pouvoir accueillir une partie des activités qui risquent de quitter la City. Donc, oui, ça bouge de tous les côtés. Les Irlandais, notamment, sont très actifs, voire très agressifs.

Le Luxembourg est suffisamment connu à Londres pour être placé sur la liste des destinations potentielles.

Charles Muller, partner chez KPMG Luxembourg

Comment le Luxembourg s’est-il profilé dans ce débat?

«Le gouvernement luxembourgeois a, semble-t-il, opté pour une approche plus en douceur. Ça me paraît judicieux. Même après le Brexit, Londres restera un partenaire important pour notre place financière. Or, je constate que la City apprécie très peu le discours de ceux qui essaient déjà de convaincre des sociétés de déplacer leurs activités. Ceci dit, nous avons l’avantage d’être connus à Londres. Peut-être pas autant que les Irlandais, mais suffisamment en tout cas pour être placés sur la liste des destinations potentielles.

Quels atouts pouvons-nous faire valoir?

«Lorsqu’un asset manager londonien devra déterminer une future destination, il établira une liste des plus et des moins en fonction de certains critères, et notamment le fait de savoir où il détient déjà une activité. Or, beaucoup d’acteurs sont déjà à Luxembourg, où ils pourraient se contenter de renforcer l’équipe existante. D’autres, qui ne sont qu’à Londres, regarderont avant tout où ils seront les mieux accueillis. D’où l’importance de se montrer ouverts.

Pour l’instant, ils se demandent s’ils pourront obtenir facilement un permis de travail, s’ils pourront facilement se déplacer, et ils mettent en balance le taux d’imposition des sociétés. Un dernier point pour lequel nous ne sommes pas les meilleurs.

À quel niveau le Luxembourg peut-il tirer profit du Brexit?

«La question se pose de savoir s’il y a concrètement des activités à gagner. La réponse est oui. Par rapport à la taille de la City, l’activité qui sera perdue à Londres ne sera pas conséquente. Par contre, si cette activité se déplaçait vers le Luxembourg, ce serait pour nous un apport important, mais peut-être pas en termes de personnes. Des acteurs de la City cherchent bel et bien à transférer des activités pour continuer à pouvoir profiter du passeport européen, mais en faisant bouger le moins de monde possible. Ce qui n’est peut-être pas mauvais non plus. Un raz-de-marée en provenance du Royaume-Uni ne serait pas facile à gérer. Nous avons plus besoin de nouvelles activités que de personnes.

Le gouvernement luxembourgeois assure que le Brexit est plus une mauvaise nouvelle qu’une bonne, que la City et Luxembourg sont plus complémentaires que concurrentes. C’est un sentiment que vous partagez?

«On a beaucoup parlé des avantages, voyons donc un peu les inconvénients. Nous perdons un allié qui voyait le monde de la même façon que nous. Nous perdons aussi une place financière avec laquelle nous sommes très complémentaires. Il faudra donc travailler activement pour que cette complémentarité subsiste et que les ponts ne soient pas trop coupés. Du côté politique, il y a sans doute plus à perdre qu’à gagner, mais d’un point de vue économique, il y a du bon et du moins bon des deux côtés.»